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à moins de frais, l'emportent fur les autres. Il est vray, repris-1e, & ce n'est que par-là qu'on peut attraper le Plan fut lequel la Nature a fait fon Ouvrage. Elle est d'une épargne extraordinaire; tout ce qu'elle pourra faire d'une maniere qui luy coûtera nn peu moins, quand ce moins ne feroit prefque rien, foïez feure qu'elle ne le fera que de cette maniere-là. Cette épargne neanmoins s'accorde avec une magnificence furprenante qui brille dans tout ce qu'elle a fait. C'est que la magnificence est dans le deffein, & l'épargne dans l'execution. Il n'y a rien de plus beau qu'un grand deffein que l'on execute à peu de frais. Nous autres nous fommes fujets à renverser souvent tout cela dans nos idées. Nous mettons l'épargne dans le deffein qu'a eu la Nature, & la magnificence dans l'execution. Nous luy donnons un petit deffein, qu'elle execute avec dix fois plus de dépenfe qu'il ne faudroit; cela eft tout-à fait ridicule. Je feray bien aife, dit-elle, que le Siftême dont vous m'allez parler, imite de fort prés lá Nature, car ce grand ménage-là tournera au profit de mon imagination, qui n'aura pas tant de peine à comprendte ce que vous me direz. Il n'y a plus icy d'embaras inutiles, repris-je. Figurez vous un Allemand nommé Copernic, qui fait main baffe fur tous ces Cercles différens, & fur tous ces Cieux folides qui avoient efté imaginez par l'Antiquité. Il détruit les uns, il met les autres en pieces. Saifi d'une noble fureur d'Aftronome, il prend la Terre, & l'envoye bien loin du centre de

centre de l'Univers, où elle s'eftoit placée & dans ce centre, il y met le Soleil, à qui cet honneur eftoit bien mieux dû. Les Planetes ne tournent plus autour de la Terre, & ne l'enferment plus au milieu du Cercle qu'elles décrivent. Si elles nous éclairent, c'est en quelque forte par hazard, & parce qu'elles nous rencontrent en leur chemin. Tout tourne prefentement autour du Soleil; la Terre y tourne elle-mefine, & pour la punir du long repos qu'elle s'eftoit attribué, Copernic la charge le plus qu'il peut de tous les mouvemens qu'elle donnoit aux Planetes & aux Cieux. Enfin de tout cet équipage celefte dont cette petite Terre fe faifoit accompagner & environner, il ne luy est demeuré que la Lune qui tourne encore autour d'elle. Attendez un peu, dit la Marquife, il vient de vous prendre un enthousiasme qui vous a fait expliquer les chofes fi pompeusement que je ne croy pas les avoir entenduës. Le Soleil est au centre de l'Univers, & là il eft immobile; aprés luy qu'est-ce qui fuit? C'eft Mercure, répondis-je, il tourne autour du Soleil, en forte que le Soleil eft le centre du Cercle que Mercure décrit, Au deffus de Mercure eft Venus, qui tourne de mefme autour du Soleil. Enfuite vient la Terre, qui eftant plus élevée que Mercure & Venus, décrit autour du Soleil un plus grand Cercle que ces Planetes. Enfin fuivent Mars, Jupiter, Saturne, felon l'ordre où je vous les nomme, & vous voyez bien B

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que Saturne doit décrire autour du Soleil le plus grand Cercle de tous; auffi employet-il plus de temps qu'aucune Planete à faire fa révolution. Et la Lune? vous l'oubliez,interrompit elle. Je la retrouveray bien, repris-je. La Lune tourne autour de la Terre, & ne l'abandonne point; mais_comme_la Terre avance toûjours dans le Cercle qu'elle décrit autour du Soleil, la Lune la fuit en tournant toûjours autour d'elle, & fi elle tourne autour du Soleil, ce n'est que pour ne point quitter la Terre.

Je vous entens, répondit-elle, & j'aime la Lune, de nous eftre restée, lorfque toutes les autres Planetes nous abandonnoient. Avouez que fi voftre Allemand cust pû nous la faire perdre, il l'auroit fait volontiers, car je vois dans tout fon procedé qu'il eftoit bien mal intentionné pour la Terre. Je luy fçay bon gré, repliquai-je, d'avoir rabatu la vanité des hommes, qui s'estoient mis à la plus belle place de l'Univers, & j'ay du plaifir à voir prefentement la Terre dans la foule des Planetes. Bon, répondit-elle, croyezvous que la vanité des hommes s'étende jufqu'à l'Aftronomie? Croyez-vous m'avoir humiliée pour m'avoir appris que la Terre tourne autour du Soleil? Je vous jure que je ne m'en eftime pas moins. Mon Dieu, Madame, repris-je, je fçay bien qu'on fera moins jaloux du rang qu'on tient dans l'Univers que de celuy qu'on croit devoir tenir dans une chambre, & que la préfeance de

deux Planetes ne fera jamais une fi grande affaire, que celle de deux Ambaffadcurs. Cependant la mefme inclination qui fait qu'on veut avoir la place la plus honorable dans une Ceremonie, fait qu'un Philofophe dans un Siftême fe met au centre du Monde, s'il peut. Il eft bien-aife que tout foit fait pour luy; il fuppofe, peut-eftre fans s'en appercevoir, ce principe qui le flatte, & fon cœur ne laiffe pas de s'intereffer à une affaire de pure fpeculation. Franchement, repliqua-t-elle, c'eft-là une calomnie que vous avez inventée contre le Genre humain. On n'auroit donc jamais dû recevoir le Sistême de Copernic, puis qu'il eft fi humiliant. Auffi, repris-je, Copernic luy-mesme se défioit-il fort du fuccés de fon opinion. Il fut tres-long-temps à ne la vouloir pas publier. Enfin il s'y refolut à la priere de Gens tresconfiderables; mais auffi le jour qu'on luy apporta le premier Exemplaire imprimé de fon Livre, fçavez-vous ce qu'il fit ? Il mourut. Il ne voulut point effuyer toutes les contradictions qu'il prévoyoit, & fe tira habilement d'affaire. Ecoutez, dit la Marquife, il faut rendre juftice à tout le monde. Il eft feur qu'on a de la peine à s'imaginer qu'on tourne autour du Soleil, car enfin on ne change point de place, & on fe retrouve toujours le matin où l'on s'eftoit couché le foir. Je voy, ce me femble, à vostre air, que vous m'allez dire, que comme la Terre toute entiere marche... AffuB 2

rément, interrompis-je, c'eft la mefme chofe que fi vous vous endormiez dans un Bateau qui allaft fur la Riviere, vous vous retrouveriez à voftre réveil dans la mefme place & dans la mesme fituation à l'égard de toutes les parties du Bateau. Oüy, mais, repliqua-t-elle, voicy une difference, je trouverois à mon réveil le rivage changé, & cela me feroit bien voir que mon Bateau auroit changé de place. Mais il n'en va pas de mefme de la Terre, j'y retrouve toutes chofes comme je les avois laissées. Non pas, Madame, répondis-je, non pas, le rivage cft changé auffi. Vous fçavez qu'au delà de tous les Cercles des Planetes font les Etoiles fixes, voilà noftre rivage. Je fuis fur la Terre, & la Terre décrit un grand Cercle autour du Soleil. Je regarde au centre de ce Cercle j'y voy le Soleil. S'il n'effaçoit point les Étoiles, en pouffant ma veuë en ligne droite au delà du Soleil, je le verrois neceffairement répondre à quelques Etoiles fixes, mais je voy aisément pendant la nuit à quelles Etoiles il a répondu le jour, & c'est exactement la mesme chose. Si la Terre ne changeoit point de place fur le Cercle où elle eft, je verrois toûjours le Soleil répondre aux mefmes Etoiles fixes; mais dés qu'elle change de place, il faut que je le voye répondre à d'autres. C'eft-là le rivage qui change tous les jours, & comme la Terre fait fon Cercle en un an autour du Soleil, je voy le Soleil en l'efpace d'une année ré

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