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Puis que j'ay rendu compte de ces Entretiens au Public, je croy ne luy devoir plus rien cacher fur cette matiere. Je publieray un nouvel Entretien, qui vint long-temps aprés les autres, mais qui fut précifement de la mefme efpece. Il portera le nom de Soir, puis que autres l'ont porté, il vaut mieux que tout foit fous le mefme titre.

les

SIXIE ME

SIXIEME SOIR.

Nouvelles pensées qui confirment celles des Entretiens précedens. Dernieres Découvertes qui ont efté faites dans le Ciel.

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y avoit long-temps que nous ne parlions & moy, & nous commencions mesme à oublier que nous en euffions jamais parlé, lorfque j'allay un jour chez elle, & y entray juftement comme deux hommes d'efprit, & af Lez connus dans le monde, en fortoient. Vous voyez bien, me dit-elle auffi-toft qu'elle me vit, quelle vifite je viens de recevoir; je vous avoüeray qu'elle m'a laiffée avec quelque foupçon que vous pourriez bien m'avoir gåté l'efprit. Je ferois bien glorieux, luy répondisje, d'avoir eu tant de pouvoir fur vous, je ne Croy pas qu'on puft rien entreprendre de plus difficile. Je crains pourtant que vous ne l'ayez fait, reprit-elle. Je ne fçay comment la Converfation s'eft tournée sur les Mondes, avcc ces deux hommes qui viennent de fortir; peut ere ont-ils amené ce difcours malicieusement. Je n'ay pas manqué de leur dire auffi-toft que toutes les Planetes eftoient habitées. L'un d'eux m'a dit qu'il eftoit fort perfuadé que je ne le croyois pas; moy avec toute la naïveté poffible, je luy ay foutenu que je le croyois, il a toujours pris eela pour une feinte d'une

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perfonne qui vouloit fe divertia, & j'ay crût que ce qui le rendoit fi opiniaftre à ne me pas croire moy-mefme fur mes fentimens, c'eft qu'il m'eftimoit trop pour s'imaginer, que je fufle capable d'une opinion fi extravagante. Pour l'autre, qui ne m'eftime pas tant, il m'a crue fur ma parole. Pourquoy m'avez-vous enteftée d'une chofe que les gens qui m'efti ment ne peuvent pas croire que je foutienne ferieufement; Mais, Madame, luy répondisje, pourquoy la fouteniez-vous ferieufement avec des gens que je fuis feur qui n'entroient dans aucun raifonnement qui fuft un peu fe rieux? Eft-ce ainfi qu'il faut commettre les Habitans des Planetes? Contentons-nous d'eftre une petite troupe choific qui les croyons, & ne divulguons pas nos misteres dans le Peuple. Comment, s'écria-t-elle, appellez-vous peuple les deux hommes qui fortent d'icy? Ils ont bien de l'efprit, repliquay-je, mais ils ne raisonnent jamais. Les raisonneurs qui font gens durs, les appelleront peuple fans difficulté. D'autre part ces gens-cy s'en vengent en tournant les raifonncurs en ridicules, & c'eft, ce me femble, un ordre tresbien établi que chaque efpece méprise ce qui luy manque. Il faudroit, s'il eftoit poffible, s'accommoder à chacune; il euft bien mieux valu plaifanter des Habitans des Planetes avec ces deux hommes que vous venez de voir, puis qu'ils fçavent plaifanter, que d'en raifonner, puis qu'ils ne le fçavent pas faire. Vous en feriez fortie avec leur cftime, & les Plane

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tes n'y auroient pas perdu un feul de leurs Habitans Trahir la verité, dit la Marquife! vous n'avez point de confcience. Je vous avoue, répondis-je, que je n'ay pas un grand zele pour ces veritez-là, & que je les facrifie volontiers aux moindres commoditez de la Societé. Je voy, par exemple, à quoy il tent, & à quoy il tiendra toujours que l'opinion des Habitans des Planetes ne paffe pour auffi vray-femblable qu'elle l'eft; les Planetes fe prefentent toujours aux yeux comme des corps qui jettent de la lumiere, & non point comme de grandes Campagnes ou de grandes Prairies; nous croirions bien que dès Prairies & des Campagnes feroient habitées, mais des corps lumineux, il n'y a pas moyen. La raifon a beau venir nous dire qu'il y a dans les Planetes des Campagnes, des Prairies, la raifon vien trop tard, le premier coup d'œil a fait fon effet fur trous avant elle, nous ne la voulons plus écouter les Planetes ne font que des corps lumineux; & puis, comment feroient faits leurs Habitans? Il faudroit que noftre imagination nous reprefentaft auffi-toft leurs figures, elle ne le peut pas, c'est le plus court de croire qu'ils ne font point. Voudriez-vous que pour établir les Habitans des Planetes dont les interests me touchent d'afflez loin, j'allaffe attaquer ces redoutables puiffances qu'on appelle les Sens & l'Imagination; Il faudroit bien du courage pour cette entreprife; on ne perfuade pas facilement aux hommes de mettre leur raifon en la

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place de leurs yeux. Je voy quelquefois bien des gens affez raifonnables pour vouloir bien croire, aprés mille preuves, que les Planetes font des Terres, mais ils ne le croyent pas de la mefine façon qu'ils le croiroient s'ils ne les avoient pas veuës fous une apparence differente; il leur fouvient toujours de la premiere idée qu'ils en ont prife, & ils n'en reviennent pas bien. Ce font ces gens-là qui en croyant noftre opinion, femblent cependant luy faire grace, & ne la favorifer qu'à caufe d'un certain plaifir que leur fait fa fingularité.

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Et quoy, interrompit-elle, n'en est-ce pas affez, pour une opinion qui n'eft que vrayfemblable; Vous feriez bien étonnée repris-je, fi je vous difois que le terme de vrayfemblable eft affez modefte. Eft il fimplement vray-femblable qu'Alexandre ait efteé? Vous vous en tenez fort feure. & turquoy eft fondée cette certitude? Sur ce que vous en avez toutes les preuves que vous pouvez fouhaiter en pareille matiere, & qu'il ne fe presente pas le moindre fujet de douter, qui fufpende & qui arrefte voftre efprit, car durefte, vous n'avez jamais veu Alexandre, & vous n'avez pas de démouftration Mathematique qu'il ait dû cftre; mais que diriez-vous fi les Habi tans des Planetes, eftoient à peu prés dans le mefme cas? On ne fçauroit vous les faire voir, & vous ne pouvez pas demander qu'on vous les démontre comme l'on feroit une affaire de Mathematique, mais toutes les preu

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