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Attendait-on de lui cette sévérité

Qui de tout ornement prive la vérité ?

Cicéron, moins rigide et plus sage sans doute,
Aime à cueillir les fleurs qu'il trouve sur sa route.
Chez lui, la Métaphore, artifice innocent,

Prête à la raison même un charme plus puissant 1.
Les hommes sont distraits et souvent peu flexibles;
Il faut, pour les toucher, des images sensibles;

» tune. » Mais il est aisé de répondre à cette argutie sophistique, surtout par le goût naturel pour saisir l'imitation et les ressemblances des choses, qui est inné dans tous les hommes. Le monde est une scène toute pleine d'images, et l'homme lui-même en est une, et in imagine pertransit. II aime les rapports et les rapprochemens; et il en trouve d'autant plus, qu'il a plus vu et mieux observé. De tous les lieux communs, celui de la similitude est donc un des plus agréables, et ce n'est pas le moins utile. Voyez encore la note suivante.

'Suivant CICERON, il n'y a rien qui plaise davantage que des Métaphores bien placées : Nihil enim tùm gratius, tùm delectat magis, quàm metaphoræ in loco usurpatæ. (De Oratore, 3, 38.) Ailleurs, il nomme une hérésie l'opinion de ceux qui ne veulent point de fleurs dans le discours, et qui, en conséquence, s'abstiennent des Métaphores. In ed est hæresi quæ nullum sequitur florem orationis, etc. Saint AUGUSTIN, aussi, prouve admirablement, dans une épître expresse, l'utilité des paraboles et des similitudes. Avec le secours des images, on saisit mieux l'entendement; et c'est, selon lui, le moyen de secouer et d'exciter la paresse de notre esprit, etc.

D. AUGUST. ep. 119.

8

Et les Tropes heureux, de leur dégoût vainqueurs,
Captivent les esprits et subjuguent les cœurs.
Oui : l'art d'écrire est l'art de peindre la pensée.

Si pourtant cette règle était trop loin poussée,
On pourrait, arrêté par des scrupules vains,
Borner trop la carrière ouverte aux écrivains.
Ici, je suis forcé de combattre Voltaire;
Et mon respect pour lui ne me fera

pas

taire.

Les Tropes, à son gré, doivent être proscrits,
Lorsqu'on ne peut les peindre ainsi qu'ils sont écrits.
Il n'en excepte aucun. Cet arrêt d'un grand maître
N'est pourtant qu'une erreur facile à reconnaître,
Et son autorité n'y peut mettre le sceau.
Non: la plume n'est pas l'esclave du pinceau !
Des couleurs sur la vue et des mots sur l'oreille
La puissance n'est pas exactement pareille;

Car, ce que les couleurs ne sauraient nous montrer,
Dans notre entendement les mots le font entrer.
L'imagination librement se promène

Dans les deux infinis qui forment son domaine :
Elle peut combiner, en ses pensers rêveurs,
Les bruits, les mouvemens, les parfums, les saveurs;

« Toute métaphore doit être une image qu'on puisse » peindre.... C'est une règle qui ne souffre point d'excep» tion. » (VOLTAIRE, Commentaire sur l'Héraclius de CORNEILLE.)

La nuit même ne peut lui cacher la nature.
Voilà ce que jamais n'atteindra la peinture!
Ce qui n'est pas visible avec elle est perdu
Et le monde invisible est le plus étendu.
Ainsi la règle est fausse et même dangereuse :
Elle nous priverait de mainte image heureuse
Que l'esprit aisément peut transmettre au papier,
Et qu'en vain sur la toile on voudrait copier '.
Mais l'oreille, superbe en sa délicatesse,
De toute Métaphore exige la justesse.
Ce Trope, toujours prêt à servir au besoin,
Ne veut être cherché ni trop bas, ni trop loin.
Raillant sur le déluge, un écrivain peu sage
Dit que Dieu « lava bien la tête à son image 2. »
Un autre, en ce fléau qui punit nos travers,
N'a vu qu'une lessive à blanchir l'univers 3.

'Les hommes les plus prévenus en faveur des arts du dessin, sont obligés de convenir que ce langage a ses limites, plus étroites que celles du langage ordinaire, et surtout de la poésie.

« Ce serait se flatter vainement que de croire, avec quel» ques modernes, qu'on peut porter l'allégorie assez loin » pour parvenir jusqu'à peindre une ode; les anciens ar»tistes même y auraient échoué; et un semblable tableau >> exigerait un commentaire plus volumineux que toutes » les odes de Pindare. » WINKELMANN, Essai sur l'Allégorie, c. I.

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Le grand Rousseau lui-même, abusant de sa force,
Des eaux, par les zéphirs, a fait fondre l'écorce'.
Il a d'une âme, ailleurs, maçonné les remparts 2.
Parmi bien des beautés ces défauts sont épars;
Mais le style, toujours fidèle aux convenances,
Est un concert parfait, qui craint les dissonances.
La Métaphore veut que les rapports soient vrais :
Plus ils sont naturels, et plus elle a d'attraits.

Surtout, que la première offerte à la pensée, ~ D'une autre, au même instant, ne soit pas repoussée! Toutes deux, à ce choc, reculeraient d'effroi.

« Prends ta foudre Louis », dit Malherbe à son roi 3! Fort bien; mais en lion quand ce roi se transforme, Le goût n'en peut souffrir la disparate énorme.

I Et déjà les zéphirs, par leurs chaudes haleines,
Ont fondu l'écorce des eaux.

dit

J.-B. ROUSSEAU, Odes.

* Le même, dans ses Épîtres, peint un Midas, dont il que la nature,

En maçonnant les remparts de son âme,

Songea bien plus au fourreau qu'à la lame.

C'est dans les grands écrivains qu'il faut relever ces fautes, parce qu'on s'en autorise. Ainsi, de ce que le même J.-B. Rousseau avait mis dans une épître :

Fatuité sur sottise greffée,

Un autre auteur a cru pouvoir renchérir sur cette image, en nommant je ne sais quel Midas, orgueilleux et bête, Un paon greffé sur un dindon.

3 Prends ta foudre, Lonis, et va comme un lion, etc.

MALHERBE, ode au roi (Louis XIII) partant le siége de la Rochelle.

pour

Cependant l'abbé FRAGUIER a remarqué, dans des mé

Il n'admet pas non plus un Trope redoublé.
De l'oiseau de Junon faire un avril ailé1,
C'est grouper follement image sur image.
Je sais bien que du paon le superbe plumage
A pu vous rappeler, par ses vives couleurs,
Le riche émail du mois qui voit naître les fleurs ;
Mais vous gâtez l'éclat de ces fleurs naturelles,
Quand vous les confondez et les brouillez entre elles;
Voulant trop renforcer un tableau si charmant,
D'un plaisir à l'esprit vous faites un tourment.
Connaissez mieux son goût, et suivez mieux sa pente.
Si votre Métaphore est fidèle et frappante,

Il n'est aucun objet qui n'en soit embelli,
Aucun détail commun qui n'en soit ennobli.
Sans affectation comme sans bigarrure,
L'habit de la pensée en devient la parure.

dailles de Dioclétien et de Maximien, un lion qui tient un foudre dans sa gueule, et il allègue ce fait « pour justifier » en passant, s'il se peut, le vers de MALHERBE. >> Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, tom. 2.

QUINTILIEN observe, à ce sujet, qu'il ne faut pas, après avoir commencé par une tempête, finir par un embrasement. C'est ce que rencontra tout juste un subdélégué, qui, rendant compte à un intendant de province d'un accident arrivé par le feu, lui écrivit : « En un mot, monseigneur, » l'incendie était si violent et les flammes faisaient tant de » progrès, que, sans de prompts secours, nous y aurions tous fait naufrage. »

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« Il ne faut pas redoubler ses métaphores, c'est-à-dire,

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