Page images
PDF
EPUB

Autre difficulté qui mérite attention les sages qui veulent parler au vulgaire leur langage au lieu du sien n'en sauraient être entendus. Or il y' a mille sortes d'idées qu'il est impossible de traduire dans la langue du peuple. Les vues trop générales et les objets trop éloignés sont également hors de sa portée : chaque individu', ne goûtant d'autre plan de gouvernement que celui qui se rapporte à son intérêt particulier, aperçoit difficilement les avantages qu'il doit retirer des privations continuelles qu'imposent les bonnes lois. Pour qu'un peuple naissant pût goûter les saines. maximes de la politique et suivre les règles fondamentales de la raison d'état, il faudrait que l'effet pût devenir la cause; que l'esprit social, qui doit être l'ouvrage de l'institution, présidât à l'institution même, et que les hommes fussent avant les lois ce qu'ils doivent devenir par elles. Ainsi donc le législateur ne pouvant employer ni

la force ni le raisonnement, c'est une nécessité qu'il recoure à une autorité d'un autre ordre, qui puisse entraîner sans violence et persuader sans convaincre.

Voilà ce qui força de tout temps les pères des nations de recourir à l'intervention du ciel et d'honorer les dieux

de leur propre sagesse, afin que les peuples, soumis aux lois de l'état comme à celles de la nature, et reconnaissant le même pouvoir dans la formation de l'homme et dans celle de la cité, obéissent avec liberté, et portassent docilement le joug de la félicité publique.

Cette raison sublime qui s'élève audessus de la portée des hommes vulgaires, est celle dont le législateur met les décisions dans la bouche des immortels, pour entraîner par l'autorité divine ceux que ne pourrait ébranler la prudence humaine (1). Mais il n'ap

(1) E veramente, dit Machiavel, mai non

partient pas à tout homme de faire parler les dieux, ni d'en être cru quand il s'annonce pour être leur interprète. La grande âme du législateur est le vrai miracle qui doit prouver sa mission. Tout homme peut graver des tables de pierre, ou acheter un oracle, ou feindre un secret commerce avec quelque divinité, ou dresser un oiseau pour lui parler à l'oreille, ou trouver d'autres moyens grossiers d'en imposer au peuple. Celui qui ne saura que cela pourra même assembler par hasard une troupe d'insensés, mais il ne fondera jamais un empire, et son extravagant ouvrage périra bientôt avec lui. De vains prestiges forment un lien passager; il n'y a que la sagesse qui le

fù alcuno ordinatore di leggi straordinarie in un popolo, che non ricorresse à Dio, perchè altrimenti non sarebbero accettate; perchè sono molti beni conosciuti da uno prudente, i quali non hanno in se raggioni evidenti da potergli persuadere ad altrui. Discorsi sopra Tito Livio, 1. I, c. XI.

rende durable. La loi judaïque toujours subsistante, celle de l'enfant d'Ismaël, qui depuis dix siècles régit la moitié du monde, annoncent encore aujourd'hui les grands hommes qui les ont dictées, et tandis que l'orgueilleuse philosophie ou l'aveugle espritde parti ne voit en eux que d'heureux imposteurs, le vrai politique admire dans leurs institutions ce grand et puissant génie qui préside aux établissemens durables.

pas

Il ne faut r Ide tout ceci conclure, avec Warburton, que la politique et la religion aient parmi nous un objet commuu, mais que, dans l'origine des nations, l'une sert d'instrument à l'autre.

CHAPITRE VIII.

Du peuple.

COMME avant d'élever un grand édifice l'architecte observe et sonde le sol pour voir s'il en peut soutenir le

poids, le sage instituteur ne commence pas par rédiger de bonnes lois en elles-mêmes, mais il examine auparavant si le peuple auquel il les destine est propre à les supporter. C'est pour cela que Platon refusa de donner des lois aux Arcadiens et aux Cyréniens, sachant que ces deux peuples étaient riches et ne pouvaient souffrir l'égalité : c'est pour cela qu'on vit en Crète de bonnes lois et de méchans hommes, parce que Minos n'avait discipliné qu'on peuple chargé de vices.

Mille nations ont brillé sur la terre,

qui n'auraient jamais pu souffrir de bonnes lois; et celles mêmes qui l'auraient pu n'ont eu, dans toute leur durée, qu'un temps fort court pour cela. La plupart des peuples ainsi que des hommes ne sont dociles que dans leur jeunesse; ils deviennent incorrigibles en vieillissant. Quand une fois les coutumes sont établies et les préjugés enracinés, c'est une entreprise dangereuse et vaine de vouloir

« PreviousContinue »