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tique, fit que l'état cessa d'être un, et causa les divisions intestines qui n'ont jamais cessé d'agiter les peuples chrétiens. Or, cette idée nouvelle d'un royaume de l'autre monde n'ayant jamais pu entrer dans la tête des païens, ils regardèrent toujours les chrétiens comme de vrais rebelles, qui, sous une hypocrite soumission, ne cherchaient que le moment de se rendre ́indépendans et maîtres, et d'usurper adroitement l'autorité qu'ils feignaient de respecter dans leur faiblesse, Telle fut la cause des persécutions.

Ce que les païens avaient craint est arrivé : alors tout a changé de face; les humbles chrétiens ont changé de langage, et bientôt on a vu ce prétendu royaume de l'autre monde devenir, sous un chef visible, le plus violent despotisme dans celui-ci.

Cependant, commme il y a toujours eu un prince et des lois civiles, il a résulté de cette double puissance un perpétuel conflit de juridiction qui a

rendu toute bonne politique impossible dans les états chrétiens; et l'on n'a jamais pu venir à bout de savoir auquel du maître ou du prêtre on était obligé d'obéir.

Plusieurs peuples cependant, même dans l'Europe ou à son voisinage, ont voulu conserver ou rétablir l'ancien système, mais sans succès; l'esprit du christianisme a tout gagné. Le culte sacré est toujours resté ou devenu indépendant du souverain, et sans liaison nécessaire avec le corps de l'état. Mahomet eut des vues très-saines; il lia bien son système politique, et, tant que la forme de son gouvernement subsista sous les califes ses successeurs, ce gouvernement fut exactement un, et bon en cela. Mais les Arabes, devenus florissans, lettrés, polis, mous et liches, 'furent subjugués par des barbares; alors la division entre les deux puissances recommença. Quoiqu'elle soit moins apparente chez les mahométans que chez les chrétiens,

elle y est pourtant, surtout dans la secte d'Ali; et il y a des états, tels que la Perse, où elle ne cesse de se faire sentir.

Parmi nous, les rois d'Angleterre se sont établis chefs de l'église; autant en ont fait les czars: mais, par ce titre, ils s'en sont moins rendus les maîtres que les ministres; ils ont moins acquis le droit de la changer que le pouvoir de la maintenir : ils n'y sont pas législateurs, ils n'y sont que princes. Partout où le clergé fait un corps (1), il est maître et législateur

(1) Il faut bien remarqner que ce ne sont pas tant des assemblées formelles, comme celles de France, qui lient le clergé en un corps, que la communion des églises. La communion et l'excommuncation sont le pacte social du clergé, pacte avec lequel il sera toujours le maître des peuples et des rois. Tous les prêtres qui communiquent ensemble Font concitoyens, fussent-ils des deux bouts du monde. Cette invention est un chefd'oeuvre en politique. Il n'y avait rien de semblable parmi les prêtres païens, aussi n'ont-ils jamais fait un corps de clergé.

dans sa patrie. Il y a donc deux puissances, deux souverains, en Angleterre et en Russie, tout comme ailleurs.

De tous les auteurs chrétiens, le philosophe Hobbes est le seul qui ait bien vu le mal et le remède, qui ait osé proposer de réunir les deux têtes de l'aigle, et de tout ramener à l'unité politique, sans laquelle jamais état ni gouvernement ne sera bien constitué. Mais il a dû voir que l'esprit dominateur du christianisme était incompatible avec son système, et que l'intérêt du prêtre serait toujours plus fort que celui de l'état. Ce n'est pas tant ce qu'il y a d'horrible et de faux dans sa politique, que ce qu'il y a de juste et de vrai, qui l'a rendue odieuse (1).

Je crois qu'en développant sous ce

(1) Voyez, entre autres, dans une lettre de Grotius à son frère, du 11 avril 1643, ce que ce savant homme approuve et ce qu'il

point de vue les faits historiques, on réfuterait aisément les sentimens opposés de Bayle et de Warburton, dont l'un prétend que nulle religion n'est utile au corps politique, et dont l'autre soutient, au contraire, que le christianisme en est le plus ferme appui. On prouverait au premier que jamais état ne fut fondé que la religion ne lui servit de base; et au second, que la loi chrétienne est au fond lus nuisible qu'utile à la forte constitution de l'état. Pour achever de me faire entendre, il ne faut que donner un peu plus de précision aux idées trop vagues de religion relatives à mon sujet.

La religion, considérée par rapport à la société, qui est ou générale ou particulière, peut aussi se diviser

blâme dans le livre De cive. Il est vrai que, porté à l'indulgence, il paraît pardonner à l'auteur le bien en favenr du mal : mais tout le monde n'est pas si clément.

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