La raison pour laquelle il ne suivit pas dans la dernière classe cette même division des jeunes et des vieux, c'est qu'on n'accordait point à la populace, dont elle était composée, l'honneur de porter les armes pour la patrie; il fallait avoir des foyers pour obtenir le droit de les défendre; et de ces innombrables troupes de gueux, dont brillent aujourd'hui les armées des rois, il n'y en a pas un peut-être qui n'eût été chassé avec dédain d'une cohorte romaine, quand les soldats étaient les défenseurs de la liberté. On distingua pourtant encore, dans la dernière classe, les prolétaires de ceux qu'on appelait capite censi. Les premiers, non tout-à-fait réduits à rien, donnaient au moins des citoyens à l'état, quelquefois même des soldats dans les besoins pressans. Pour ceux qui n'avaient rien du tout et qu'on ne pouvait dénombrer que par leurs têtes, ils étaient tout-à-fait regardés comme nuls, et Marius fut le premier qui daigna les enrôler. Sans décider ici si ce troisième dénombrement était bon ou mauvais en lui-même, je crois pouvoir affirmer qu'il n'y avait que les mœurs simples des premiers Romains, leur désintéressement, leur goût pour l'agriculture, leur mépris pour le commerce et pour l'ardeur du gain, qui pussent le rendre praticable. Où est le peuple moderne chez lequel la dévorante avidité, l'esprit inquiet, l'intrigue, les déplacemens continuels, les perpétuelles révolutions des fortunes, pussent laisser durer vingt ans un pareil établissement sans bouleverser tout l'état ? Il faut même bien remarquer que les mœurs et la censure, plus fortes que cette institution, en corrigèrent le vice à Rome, et que tel riche se vit relégué dans la classe des pauvres pour avoir étalé sa richesse. De tout ceci on peut comprendre aisément pourquoi il n'est presque jamais fait mention que de cinq classes, quoiqu'il y en eût réellement six. La sixième ne fournissant ni soldats à l'armée, ni votans au Champ-deMars (1), et n'étant presque d'aucun usage dans la république, était rarement comptée pour quelque chose. Telles furent les différentes divisions du peuple romain. Voyons à présent l'effet qu'elles produisaient dans les assemblées. Ces assemblées légitimement convoquées, s'appelaient comices elles se tenaient ordinairement dans la place de Rome ou au Champde-Mars, et se distinguaient en comices par curies, comices par centuries, et comices par tribus, selon celle de ces trois formes sur laquelle elles étaient ordonnées. Les comices par cu (1) Je dis Champ-de-Mars, parce que c'était là que s'assemblaient les comices par centuries dans les deux autres formes le peuple s'assemblait au forum ou ailleurs ; et alors les capite censi avaient autant d'influence et d'autorité que les premiers citoyens. ries étaient de l'institution de Romulus; ceux par centuries, de Servius; ceux par tribus, des tribus du peuple. Aucune loi ne recevait la sanction, aucun magistrat n'était élu que dans les comices; et comme il n'y avait aucun citoyen qui ne fût inscrit dans une curie, dans une centurie, ou dans une tribu, il s'ensuit qu'aucun citoyen n'était exclu du droit de suffrage, et que le peuple romain était véritablement souverain de droit et de fait Pour que les comices fussent légitimement assemblés, et que ce qui s'y faisait eût force de loi, il fallait trois conditions: la première, que le corps ou le magistrat qui les convoquait fût revêtu pour cela de l'autorité nécessaire; la seconde, que l'assemblée se fît un des jours permis par la loi; la troisième, que les augures fussent favorables. La raison du premier réglement n'a besoin d'être expliquée. Le second est une affaire de police; ainsi il n'é pas tait pas permis de tenir les comices les jours de férie et de marché, où les gens de la campagne, venant à Rome pour leurs affaires, n'avaient pas le temps de passer la journée dans la place publique. Par le troisième, le sénat tenait en bride un peuple fier et remuant, et tempérait à propos l'ardeur des tribuns séditieux; mais ceuxci trouvèrent plus d'un moyen de se délivrer de cette gêne. Les lois et l'élection des chefs n'étaient pas les seuls points soumis au jugement des comices; le peuple romain ayant usurpé les plus importantes fonctions du gouvernement, on peut dire que le sort de l'Europe était réglé dans ses assemblées. Cette variété d'objets donnait lieu à diverses formes que prenaient ces assemblées, selon les matières sur lesquelles il avait à prononcer. Pour juger de ces diverses formes il suffit de les comparer. Romulus, |