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la place. Il habitat un climat doux; il n'était point avide; des esclaves faisaient ses travaux; sa grande affaire était sa liberté. N'ayant plus les mêmes avantages, comment observer les mêmes droits? Vos climats plus durs vous donnent plus de besoins (1) ; six mois de l'année la place publique n'est pas tenable; vos langues sourdes ne peuvent se faire entendre en plein air, vous donnez plus à votre gain qu'à votre liberté, et vous craignez bien moins l'esclavage que la misère.

Quoi! la liberté ne se maintient qu'à l'appui de la servitude? Peutêtre les deux excès se touchent. Tout ce qui n'est point dans la nature a ses inconvéniens, et la société civile plus que tout le reste. Il y a telles positions malheureuses où l'on ne peut

(1) Adopter dans les pays froids le luxe et la mollesse des orientaux, c'est vouloir se donner leurs chaînes ; c'est s'y soumettre en core plus nécessairement qu'eux.

conserver sa liberté qu'aux dépens de celle d'autrui, et où le citoyen ne peut être parfaitement libre que l'esclave ne soit extrêment esclave. Telle était la position de Sparte. Pour vous, peuples modernes, vous n'avez point d'esclaves, mais vous l'êtes; vous payez leur liberté de la vôtre. Vous avez beau vanter cette préférence, j'y trouve plus de lâcheté que d'huma

nité.

Je n'entends point par tout cela qu'il faille avoir des esclaves, ni que le droit d'esclavage soit légitime, puisque j'ai prouvé le contraire je dis seulement les raisons pourquoi les peuples modernes qui se croient libres ont des représentans, et pourquoi les peuples anciens n'en avaient pas. Quoi qu'il en soit, à l'instant qu'un peuple se donne des représentans, il n'est plus libre; il n'est plus.

Tout bien examiné, je ne vois pas qu'il soit désormais possible au souverain de conserver parmi nous l'exer

cice de ses droits, si la cité n'est trèspetite. Mais si elle est très-petite elle sera subjuguée? Non. Je ferai voir ciaprès (1) comment on peut réunir la puissance extérieure d'un grand peuple avec la police aisée et le bon ordre d'un petit état.

CHAPITRE XVI.

Que l'institution du gouvernement ne’st point un contrat.

Le pouvoir législatif une fois bien établi, il s'agit d'établir de même le pouvoir exécutif; car ce dernier, qui n'opère que par des actes particuliers, n'étant pas de l'essence de l'autre, en est naturellement séparé. S'il était

(1) C'est ce que je m'étais proposé de faire dans la suite de cet ouvrage, lorsqu'en traitant des relations externes j'en serais venu aux.confédérations. Matière toute neuve, et où les principes sont encore à établir.

possible que le souverain, considéré comme tel, eût la puissance exécutive, le droit et le fait seraient tellement confondus qu'on ne saurait plus ce qui est loi et ce qui ne l'est pas; et le corps politique, ainsi dénaturé, serait bientôt en proie à la violence contre laquelle il fut institué.

Les citoyens étant tous égaux par le contrat social, ce que tous doivent faire, tous peuvent le prescrire, au lieu que nul n'a droit d'exiger qu'un autre fasse ce qu'il ne fait pas lui-même. Or, c'est proprement ce droit, indispensable pour faire vivre et mouvoir le corps politique, que le souverain donne au prince en instituant le gou

vernement.

Plusieurs ont prétendu qué l'acte de cet établissement était un contrat entre le peuple et les chefs qu'il se donne, contrat par lequel on stipulait entre les deux parties les conditions sous lesquelles l'une s'obligeait à commander et l'autre à obéir. On con

viendra, je m'assure, que voilà une étrange manière de contracter. Mais voyons si cette opinion est soutenable.

Premièrement, l'autorité suprême

ne peut pas plus se modifier que s'aliéner; la limiter c'est la détruire. Il est absurde et contraditoire que le. souverain se donne un supérieur ; s'obliger d'obéir à un maître, c'est se mettre en pleine liberté.

De plus il est évident que ce contrat du peuple avec telles ou telles personnes serait un acte particulier; d'où il suit que ce contrat ne saurait être une loi ni un acte de souveraineté, et que par conséquent il serait illégitime.

On voit encore que les parties contractantes seraient entre elles sous la seule loi de nature et sans aucun garant de leurs engagemens réciproques, ce qui répugne de toutes manières à l'état civil celui qui a la force en main étant toujours le maître de l'exécution, autant vaudrait donner le

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