Page images
PDF
EPUB

son siècle, il vécut en paix avec les écrivains médiocres; ce qui paroît un peu difficile. Pauvre, mais sans humeur, et comme à son insu, libre de chagrins domestiques, d'inquiétude sur son sort, possédant le repos, de douces rêveries, et le vrai dormir, dont il fait de grands éloges, ses jours parurent couler négligemment comme ses vers. Aussi, malgré son amour pour la solitude, malgre son goût pour la campagne, ee goût si ami des arts auxquels il offre de plus près leur modele, il se trouvoit bien partout. Il s'écrie, dans l'ivresse des plus doux sentiments, qu'il aime à la fois la ville, la campagne, que tout est pour lui le souverain bien :

Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique, Les chimères, le rien, tout est bon.

Il retrouve en tout lieu le bonheur qu'il porte en lui-même, et dont les sources intarissables sont l'innocente simplicité de son ame et le sentiment d'une imagination souple et légère. Les yeux s'arrêtent, se reposent avec délices sur le spectacle d'un homme qui, dans un monde trompeur, soupçonneux, agité de passions et d'intérêts divers, marche avec l'abandon d'une paisible sécurité, trouve sa sûreté dans sa confiance même, et s'ouvre un accès dans tous les cœurs, sans autre artifice que d'ouvrir le sien, d'en laisser échapper tous les mouvements, d'y laisser lire même ses foiblesses, garants d'une aimable indulgence pour les foiblesses d'autrui. Aussi La Fontaine inspira t-il toujours cet intérêt qu'on accorde involontai rement à l'enfance. L'un se charge de l'éducation et de la fortune de son fils; car il avoit cédé aux désirs de sa famille, et un soir il se trouva marié : l'autre lui donne un asile dans sa maison; il se croit parmi des frères; ils vont le devenir en effet, et la société reprend les vertus de l'âge d'or pour celui qui en a la candeur et la bonne foi, il reçoit des bienfaits : il en a le droit, car il rendroit tout sans croire s'être acquitté. Peut-être il est des ames qu'une simplicité noble élève naturellement au-dessus de la fierté; et, sans blâmer le philosophe, qui écarte un bienfaiteur dans la crainte de se donner un tyran, sait se priver, souffrir et se taire, n'est il pas plus beau peutêtre, n'est-il pas du moins plus doux de voir La Fontaine montrer à son ami ses besoins comme ses pensées, abandonner généreusement à l'amitié le droit précieux qu'elle réclame, et lui rendre hommage par le bien qu'il reçoit d'elle ? Il aimoit, c'étoit sa reconnoissance, et ce fut celle qu'il fit éclater envers le malheureux Fouquet. J'admirerai sans doute, il le faut bien, un chef-d'œuvre de poésie et de sentiment dans sa touchante élégie sur cette fameuse disgrâce; mais si je le vois, deux ans après la chute de son bienfaiteur, pleurer à l'aspect du château où Fouquet avoit été détenu s'il s'arrête volontairement autour de cette fatale

prison dont il ne s'arrache qu'avec peine; si je trouve l'expression de cette sensibilité, non dans un écrit public, monument d'une reconnoissance souvent fastueuse, mais dans l'épanchement d'un commerce secret, je partagerai sa douleur : j'ai merai l'écrivain que j'admire. O La Fontaine ! essuie tes larmes, écris cette fable charmante des deux Amis; et je sais où tu trouves l'éloquence du cœur et le sublime de sentiment : je reconnois le maître de cette vertu qu'il nomme, par une expression nouvelle, le don d'être ami. Qui l'avoit mieux reçu de la nature, ce don si rare ? Qui a mieux éprouvé les illusions du sentiment? Avec quel intérêt, avec quelle bonne foi naïve, associant dans un même recueil plusieurs de ses immortels écrits à la traduction de quelques harangues anciennes, ouvrage de son ami Maucroix, ne se livre-t-il pas à l'espérance d'une commune immortalité! Que mettre au-dessus de son dévouement à ses amis, si ce n'est la noble confiance qu'il avoit lui-même en eux ? O vous, messieurs, vous qui savez si bien, puisque vous chérissez sa mémoire, sentir et apprécier ce charme inexprimable de la facilité dans les vertus, partage des mœurs antiques; qui de vous allant offrir à son ami l'hospice de sa maison, n'éprouveroit l'émo tion la plus douce, et même le transport de la joie, s'il en recevoit cette réponse aussi attendrissante qu'inattendue, J'y allois ? Ce mot si simple, cette expression si naïve d'un abandon sans ré serve, est le plus digne hommage rendu à l'humanité généreuse; et jamais bienfaiteur, digne de l'être, n'a reçu une si belle récompense de son bienfait.

Telle est l'image que mes foibles yeux ont pu saisir de ce grand homme d'après ses ouvrages mêmes, plus encore que d'après une tradition ré. cente, mais qui, trop souvent infidèle, s'est plu, sur la foi de quelques plaisanteries de société, à montrer, comme un jeu bizarre de la nature, un homme qui en fut véritablement un prodige ; qui offrit le singulier contraste d'un conteur trop libre et d'un excellent moraliste; reçut en partage l'esprit le plus fin qui fut jamais, et devint en tout le modèle de la simplicité; posséda le génie de l'observation, même de la satire, et ne passa ja mais que pour un bon homme; déroba, sous l'air d'une négligence quelquefois réelle, les artifices de la composition la plus savante; fit ressembler l'art au naturel, souvent même à l'instinct; cacha son génie par son génie même; tourna au profit de son talent l'opposition de son esprit et de son ame, et fut dans le siècle des grands écrivains, sinon le premier, du moins le plus étonnant. Mal gré ses défauts, observés même dans son éloge, il sera toujours le plus relu de tous les auteurs; et l'intérêt qu'inspirent ses ouvrages s'étendra toujours sur sa personne. C'est que plusieurs de ses défauts même participent quelquefois des quali

tés aimables qui les avoient fait naître; c'est qu'on juge l'homme et l'auteur par l'assemblage de ses qualités habituellement dominantes; et La Fontaine, désigné de son vivant par l'épithète de bon, ressemblance remarquable avec Virgile, conser

vera, comme écrivain, le surnom d'inimitable, titre qu'il obtint avant même d'être tout-à-fait apprécié, titre confirmé par l'admiration d'un siècle, et devenu, pour ainsi dire, inseparable de

son nom.

A

MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.

MONSEIGNEUR,

S'IL y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Ésope a débité sa morale Il seroit veritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu'ils n'y étoient pas inutiles. J'ose, MONSEIGNEUE, vous en présenter quelques essais. C'est un entre tien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des ré flexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fa

bles que nous devons à Ésope. L'apparence en est puérile, je le confesse; mais ces puérilités servent d'enveloppes à des vérités importantes.

Je ne doute point, MONSEIGNEUR, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables: car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre : la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une ame les semences de la vertu, et lui apprend à se connoître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très heureusement celui sur lequel Sa Ma jesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous apprenez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espé rons infiniment davantage : ce sont, MONSEIGNEUR, les qualités que notre invincible monarque vous a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins, quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner l'agitation de

l'Europe et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs regnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des éléments; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste, avouez le vrai, MONSEIGNEUR, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années: vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez pas, MONSEIGNEUR; vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage et de grandeur d'ame, que vous faites paroître à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre monarque; mais c'est un specta cle bien agréable pour l'univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations.

Je devrois m'étendre sur ce sujet; mais, comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c'est, MONSEIGNEUR, que je suis, avec un zèle respec

tueux.

Votre très humble, trés obéissant,

et très fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE

DE

LA FONTAINE.

L'INDULGENCE que l'on a eue pour quelquesunes de mes fables me donne lieu d'espérer la même grâce pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maîtres de notre éloquence n'ait désapprou. vé le dessein de les mettre en vers: il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun; que d'ailleurs la contrainte de la poésie, jointe à la sévérité de notre langue, m'embarras seroit en beaucoup d'endroits, et banniroit de la plupart de ces récits la brièveté, qu'on peut fort bien appeler l'ame du conte, puisque sans elle il faut nécessairement qu'il languisse. Cette opi. nion ne sauroit partir que d'un homme d'excellent goût; je demande rois seulement qu'il en relâchât quelque peu, et qu'il crût que les grâces lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses françaises, que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point à conséquence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poésie, que le Parnasse a jugé ceci de son apanage. A peine les fables qu'on attribue à Ésope virent le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des Muses. Ce que Platon en rapporte est si agréable, que je ne puis m'empêcher d'en faire un des ornements de cette préface. Il dit que, Socrate étant condamné au dernier supplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de certaines fêtes. Cébès l'alla voir le jour de sa mort. Socrate lui dit que les dieux l'avoient averti plusieurs fois, pendant son sommeil, qu'il devoit s'appliquer à la musique avant qu'il mourût. Il n'avoit pas entendu d'abord ce que ce songe signifioit: car, comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, à quoi bon s'y attacher? Il falloit qu'il y eût du mystère là-dessous, d'autant plus que les dieux ne se lassoient point de lui envoyer la même inspiration. Elle lui étoit encore venue une de ces fêtes. Si bien qu'en songeant aux choses que le ciel pouvoit exiger de lui, il s'étoit avisé que la musique et la poésie ont tant de rapport, que possible étoit-ce de la dernière qu'il s'agissoit. Il n'y a point de bonne poésie sans harmonie mais il n'y en a point non plus sans

fictions; et Socrate ne savoit que dire la vérité. Enfin il avoit trouvé un tempérament; c'étoit de choisir des fables qui continssent quelque chose de véritable, telles que sont celles d'Esope. Il employa donc à les mettre en vers les derniers moments de sa vie.

Socrate n'est pas le seul qui ait considéré comme sœurs la poésie et nos fables. Phèdre a témoigné qu'il étoit de ce sentiment; et, par l'excellence de son ouvrage, nous pouvons juger de celui du prince des philosophes, Après Phèdre, Avienus a traité le même sujet. Enfin les modernes les ont suivis : nous en avons des exemples, non-seulement chez les étrangers, mais chez nous. Il est vrai que, lorsque nos gens y ont travaillé, la langue étoit si différente de ce qu'elle est, qu'on ne les doit considérer que comme étran gers. Cela ne m'a point détourné de mon entreprise au contraire, je me suis flatté de l'espérance que, si je ne courois dans cette carrière avec succès, on me donneroit au moins la gloire de l'avoir ouverte.

Il arrivera possible que mon travail fera naître à d'autres personnes l'envie de porter la chose plus loin. Tant s'en faut que cette matière soit épuisée, qu'il reste encore plus de fables à mettre en vers que je n'en ai mis. J'ai choisi véritablement les meilleures, c'est à-dire celles qui m'ont semblé telles mais, outre que je puis m'être trompé dans mon choix, il ne sera pas bien difficile de donner un autre tour à celles-là mêmes que j'ai choisies; et si ce tour est moins long, il sera sans doute plus approuvé. Quoi qu'il en arrive, on m'aura toujours obligation, soit que ma témérité ait été heureuse, et que je ne me sois point trop écarté du chemin qu'il falloit tenir soit que j'aie seulement excité les autres à mieux faire.

Je pense avoir justifié suffisamment mon dessein quant à l'exécution, le public en sera juge. On ne trouvera pas ici l'élégance ni l'extrême brièveté qui rendent Phèdre recommandable: ce sont qualités au-dessus de ma portée. Comme il m'étoit impossible de l'imiter en cela, j'ai cru qu'il falloit en récompense égayer l'ouvrage plus qu'il n'a fait. Non que je le blâme d'en être demeuré dans ces termes: la langue latine n'en

demandoit pas davantage ; et si l'on y veut prendre garde, on reconnoîtra dans cet auteur le vrai carac tère et le vrai génie de Térence. La simplicité est magnifique chez ces grands hommes: moi, qui n'ai pas les perfections du langage comme ils les ont eues, je ne la puis élever à un si haut point. Il a done fallu se récompenser d'ailleurs : c'est ce que j'ai fait avec d'autant plus de hardiesse, que Quintilien dit qu'on ne sauroit trop égayer les narrations. Il ne s'agit pas ici d'en apporter une raison: c'est assez que Quintilien l'ait dit. J'ai pourtant considéré que, ces fables étant sues de tout le monde, je ne ferois rien si je ne les rendois nou. velles par quelques traits qui en relevassent le goût. C'est ce qu'on demande aujourd'hui on veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n'appelle pas gaieté ce qui excite le rire; mais un certain charme, un air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux.

Mais ce n'est pas tant par la forme que j'ai donnée à cet ouvrage qu'on en doit mesurer le prix, que par son utilité et par sa matière : car qu'y a-t-il de recommandable dans les productions de l'esprit qui ne se rencontre dans l'apologue? C'est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l'antiquité ont attribué la plus grande partie de ces fables à Socrate, choisissant, pour leur servir de père, celui des mortels qui avoit le plus de communication avec les dieux. Je ne sais comme ils n'ont point fait descendre du ciel ces mêmes fables, et comme ils ne leur ont point assigné un dieu qui en eût la direction, ainsi qu'à la poésie et à l'éloquence. Ce que je dis n'est pas tout-à-fait sans fondement, puisque, s'il m'est permis de mêler ce que nous avons de plus sacré parmi les erreurs du paganisme, nous voyons que la Vérité a parlé aux hommes par paraboles et la parabole est-elle autre chose que l'apologue, c'est-à-dire un exemple fabuleux, et qui s'insinue avec d'autant plus de facilité et d'effet qu'il est plus commun et plus familier? Qui ne nous proposeroit à imiter que les maîtres de la sagesse nous fourniroit un sujet d'excuse: il n'y en a point quand des abeilles et des fourmis sont capables de cela même qu'on nous demande.

C'est pour ces raisons que Platon, ayant banni Homère de sa république, y a donné à Ésope une place très honorable. Il souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait; il recommande aux nourrices de les leur apprendre : car on ne sauroit s'accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu. Plutôt que d'être réduits à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu'elles sont encore indifférentes au bien ou au mal. Or, quelle méthode y peut contribuer plus utilement que ces fables? Dites à un enfant que Crassus, allant contre les Parthes, s'engagea dans leur pays sans

considérer comment il en sortiroit, que cela le fit périr lui et son armée, quelque effort qu'il fit pour se retirer. Dites au mème enfant que le renard et le bouc descendirent au fond d'un puits pour y éteindre leur soif; que le renard en sortit s'étant servi des épaules et des cornes de son camarade comme d'une échelle; au contraire, le bouc y demeura pour n'avoir pas eu tant de prévoyance; et par conséquent il faut considérer en toute chose la fin; je demande lequel de ces deux exemples fera le plus d'impression sur cet enfant. Ne s'arrêtera-t-il pas au dernier, comme plus conforme et moins disproportionné que l'autre à la petitesse de son esprit? Il ne faut pas m'alléguer que les pensées de l'enfance sont d'elles-mêmes assez enfantines, sans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries ne sont telles qu'en apparence; car, dans le fond, elles portent un sens très solide. Et comme, par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d'autres principes très familiers, nous parvenons à des connoissances qui mesurent enfin le ciel et la terre, de même aussi, par les raisonnements et consé quences que l'on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable des grandes choses.

Elles ne sont pas seulement morales, elles donnent encore d'autres connoissances : les propriétés des animaux et leurs divers caractères y sont exprimés; par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes l'abrégé de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. Quand Prométhée voulut former l'homme, il prit la qualité dominante de chaque bête de ces pièces si différentes il composa notre espèce; il fit cet ouvrage qu'on appelle le Petit-Monde. Ainsi ces fables sont un tableau où chacun de nous se trouve dépeint. Ce qu'elles nous représentent confirme les personnes d'âge avancé dans les connoissances que l'usage leur a données, et apprend aux enfants ce qu'il faut qu'ils sachent. Comme ces derniers sont nouveaux venus dans le monde, ils n'en connoissent pas encore les habitants; ils ne se connoissent pas eux-mêmes: on ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu'on peut; il leur faut apprendre ce que c'est qu'un lion, un renard, ainsi du reste, et pourquoi l'on compare quelquefois un homme à ce renard ou à ce lion. C'est à quoi les fables travaillent les premières notions de ces choses proviennent d'elles.

J'ai déjà passé la longueur ordinaire des préfaces; cependant je n'ai pas encore rendu raison de la conduite de mon ouvrage.

L'apologue est composé de deux parties, dont on peut appeler l'une le corps, l'autre, l'ame. Le corps est la fable; l'ame, la moralité. Aristote n'admet dans la fable que les animaux;

« PreviousContinue »