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JUPITER eut un fils, qui, se sentant du lieu
Dont il tiroit son origine,

Avoit l'ame toute divine.

L'enfance n'aime rien: celle du jeune dieu
Faisoit sa principale affaire

Des doux soins d'aimer et de plaire.
En lui l'amour et la raison

Devancèrent le temps, dont les ailes légères
N'amènent que trop tôt, hélas! chaque saison.
Flore aux regards riants, aux charmantes manières,
Toucha d'abord le cœur du jeune Olympien.
Ce

que la passion peut inspirer d'adresse,
Sentiments délicats et remplis de tendresse,
Pleurs, soupirs, tout en fut: bref, il n'oublia rien.
Le fils de Jupiter devoit, par sa naissance,
Avoir un autre esprit, et d'autres dons des cieux,
Que les enfants des autres dieux :

Il sembloit qu'il n'agît que par réminiscence,
Et qu'il eût autrefois fait le métier d'amant,
Tant il le fit parfaitement!

Jupiter cependant voulut le faire instruire.

Il assembla les dieux, et dit : J'ai su conduire,
Seul et sans compagnon, jusqu'ici l'univers;
Mais il est des emplois divers
Qu'aux nouveaux dieux je distribue.
Sur cet enfant chéri j'ai done jeté la vue:
C'est mon sang; tout est plein déjà de ses autels.
Afin de mériter le rang des immortels,
Il faut qu'il sache tout. Le maître du tonnerre
Eut à peine achevé, que chacun applaudit.
Pour savoir tout, l'enfant n'avoit que trop d'esprit.
Je veux, dit le dieu de la guerre,
Lui montrer moi-même cet art
Par qui maints héros ont eu part

Aux honneurs de l'Olympe et grossi cet empire.
Je serai son maître de lyre,

Dit le blond et docte Apollon,

Et moi, reprit Hercule à la peau de lion,

Son maître à surmonter les vices,

A dompter les transports, monstres empoisonneurs, Comme hydres renaissant sans cesse dans les cœurs, Ennemi des molles délices,

FABLE III.

Le Fermier, le Chien, et le Renard.

Le loup et le renard sont d'étranges voisins!
Je ne bâtirai point autour de leur demeure.
Ce dernier guettoit à toute heure

Les poules d'un fermier; et, quoique des plus fins,
Il n'avoit pu donner d'atteinte à la volaille.
D'une part l'appétit, de l'autre le danger,
N'étoient pas au compère un embarras léger.
Hé quoi, dit-il, cette canaille
Se moque impunément de moi!
Je vais, je viens, je me travaille,
J'imagine cent tours: le rustre, en paix chez soi,
Vous fait argent de tout, convertit en monnoie
Ses chapons, sa poulaille; il en a même au croc;
Et moi, maître passé, quand j'attrape un vieux coq,
Je suis au comble de la joie!
Pourquoi sire Jupin m'a-t-il done appelé
Au métier de renard? Je jure les puissances
De l'Olympe et du Styx, il en sera parlé.
Roulant en son cœur ses vengeances,

Il choisit une nuit libérale en pavots:
Chacun étoit plongé dans un profond repos;
Le maître du logis, les valets, le chien même,
Poules, poulets, chapons, tout dormioit. Le fermier,
Laissant ouvert son poulailler,
Commit une sottise extrême.

Le voleur tourne tant, qu'il entre au lieu guetté,
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité.
Les marques de sa cruauté
Parurent avec l'aube on vit un étalage
De corps sanglants et de carnage.
Peu s'en fallut que le soleil

Ne rebroussât d'horreur vers le manoir liquide.
Tel, et d'un spectacle pareil,
Apollon irrité contre le fier Atride
Joncha son camp de morts: on vit

presque détruit

L'ost des Grecs; et ce fut l'ouvrage d'une nuit.
Tel encore autour de sa tente
Ajax, à l'ame impatiente,

De moutons et de boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse
Et les auteurs de l'injustice

Par qui l'autre emporta le prix.

Le renard, autre Ajax aux volailles funeste,
Emporte ce qu'il peut, laisse étendu le reste.
Le maître ne trouva de recours qu'à crier
Contre ses gens, son chien: c'est l'ordinaire usage.
Ah! maudit animal, qui n'es bon qu'à noyer,
Que n'avertissois-tu dès l'abord du carnage! -
Que ne l'évitiez-vous? c'eût été plus tôt fait :
Si vous, maître et fermier, à qui touche le fait,
Dormez sans avoir soin que la porte soit close,
Voulez que moi, chien, qui n'ai rien à la chose,
Sans aucun intérêt je perde le repos?

Ce chien parloit très à propos :
Son raisonnement pouvoit être

Fort bon dans la bouche d'un maître,
Mais, n'étant que d'un simple chien,
On trouva qu'il ne valoit rien:

On vous sangla le pauvre drille.

Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille
(Et je ne t'ai jamais envié cet honneur),
T'attendre aux yeux d'autrui quand tu dors,c'est erreur!
Couche-toi le dernier, et vois fermer ta porte.

Que si quelque affaire t'importe,
Ne la fais point par procureur.

FABLE IV.

Le Songe d'un Habitant du Mogol.

JADIS Certain Mogol vit en songe un visir
Aux champs elysiens possesseur d'un plaisir
Aussi pur qu'infini, tant en prix qu'en durée:
Le même songeur vit en une autre contrée
Un ermite entouré de feux,
Qui touchoit de pitié même les malheureux.
Le cas parut étrange, et contre l'ordinaire ;
Minos en ces deux morts sembloit s'être mépris.
Le dormeur s'éveilla, tant il en fut surpris!
Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystère,
Il se fit expliquer l'affaire.
L'interprète lui dit : Ne vous étonnez point;
Votre songe a du sens; et, si j'ai sur ce point
Acquis tant soit peu d'habitude,

C'est un avis des dieux. Pendant l'humain séjour,
Ce visir quelquefois cherchoit la solitude;
Cet ermite aux visirs alloit faire sa cour.

Si j'osois outer au mot de l'interprète,
J'inspirerois ici l'amour de la retraite :

Elle offre à ses amants des biens sans embarras,
Biens purs, présents du Ciel, qui naissent sous les pas.
Solitude, où je trouve une douceur secrète,
Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,
Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais!
Oh! qui m'arrêtera sous vos sombres asiles!

Quand pourront les neuf sœurs, loin des cours et des villes,

M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux
Les divers mouvements inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartés errantes
Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes!
Que si je ne suis né pour de si grands projets,
Du moins que les ruisseaux m'offrent de doux objets!
Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie!
La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie,
Je ne dormirai point sous de riches lambris:
Mais voit-on que le somme en perde de son prix?
En est-il moins profond, et moins plein de délices?
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.

FABLE V.

Le Lion, le Singe, et les deux Anes.

Le lion, pour bien gouverner,
Voulant apprendre la morale,

Se fit, un beau jour, amener

Le singe, maître-és-arts chez la gent animale.
La première leçon que donna le régent

Fut celle-ci Grand roi, pour régner sagement,
Il faut que tout prince préfère

Le zèle de l'état à certain mouvement

Qu'on appelle communément
Amour-propre; car c'est le père,
C'est l'auteur de tous les défauts
Que l'on remarque aux animaux.

Vouloir que de tout point ce sentiment vous quitte,
Ce n'est pas chose si petite

Qu'on en vienne à bout en un jour :

C'est beaucoup de pouvoir modérer cet amour.
Par là, votre personne auguste
N'admettra jamais rien en soi
De ridicule ni d'injuste.
Donne-moi, repartit le roi,
Des exemples de l'un et l'autre.
Toute espèce, dit le docteur,
Et je commence par la nôtre,

Toute profession s'estime dans son cœur,
Traite les autres d'ignorantes,

Les qualifie impertinentes ;

Et semblables discours qui ne nous coûtent rien. L'amour propre, au rebours, fait qu'au degré suprême On porte ses pareils; car c'est un bon moyen

De s'élever aussi soi-même.

De tout ce que dessus j'argumente très bien
Qu'ici-bas maint talent n'est que pure grimace,
Cabale, et certain art de se faire valoir,
Mieux su des ignorants que des gens de savoir.

L'autre jour, suivant à la trace

Deux ânes qui, prenant tour à tour l'encensoir, Se louoient tour à tour, comme c'est la manière, J'ouïs que l'un des deux disoit à son confrère: Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste et bien sot L'homme, cet animal si parfait ? Il profane

Notre auguste nom, traitant d'àne
Quiconque est ignorant, d'esprit lourd, idiot:
Il abuse encore d'un mot,

Et traite notre rire et nos discours de braire.
Les humains sont plaisants de prétendre exceller
Par-dessus nous! Non, non, c'est à vous de parler,

A leurs orateurs de se taire :

Voilà les vrais braillards. Mais laissons là ces gens:
Vous m'entendez, je vous entends;
Il suffit. Et quant aux merveilles
Dont votre divin chaut vient frapper les oreilles,
Philomèle est, au prix, novice dans cet art :
Vous surpassez Lambert. L'autre baudet repart:
Seigneur, j'admire en vous des qualités pareilles.
Ces ânes, non contents de s'être ainsi grattés,
S'en allèrent dans les cités

L'un l'autre se prôner: chacun d'eux croyoit faire,
En prisant ses pareils, une fort bonne affaire,
Prétendant que l'honneur en reviendroit sur lui.

J'en connois beaucoup aujourd'hui,
Non parmi les baudets, mais parmi les puissances,
Que le Ciel voulut mettre en de plus hauts degrés,
Qui changeroient entre eux les simples excellences,
S'ils osoient, en des majestés.

J'en dis peut-être plus qu'il ne faut, et suppose
Que votre majesté gardera le secret.
Elle avoit souhaité d'apprendre quelque trait

Qui lui fit voir, entre autre chose,
L'amour-propre donnant du ridicule aux gens.
L'injuste aura son tour: il y faut plus de temps.
Ainsi parla ce singe. On ne m'a pas su dire
S'il traita l'autre point, car il est délicat ;
Et notre maître-ès-arts, qui n'étoit pas un fat,
Regardoit ce lion comme un terrible sire.

Voici pourtant un cas où tout l'honneur échut
A l'hôte des terriers. Un soir il aperçut

La lune au fond d'un puits: l'orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisoient le liquide élément :

Notre renard, pressé par une faim canine,
S'accommode en celui qu'au haut de la machine
L'autre seau tenoit suspendu.

Voilà l'animal descendu,

Tiré d'erreur, mais fort en peine,

Et voyant sa perte prochaine :

Car comment remonter, si quelque autre affamé, De la même image charmé,

Et succédant à sa misère,

Par le même chemin ne le tiroit d'affaire?
Deux jours s'étoient passés sans qu'aucun vînt au puits.
Le temps,qui toujours marche, avoit pendant deux nuits
Échancré, selon l'ordinaire,

De l'astre au front d'argent la face circulaire.
Sire renard étoit désespéré.

Compère loup, le gosier altéré,

Passe par là. L'autre dit: Camarade,

Je vous veux régaler voyez-vous cet objet?
C'est un fromage exquis. Le dieu Faune l'a fait,
La vache lo donna le lait.
Jupiter, s'il étoit malade,

Reprendroit l'appétit en tâtant d'un tel mets.

J'en ai mangé cette échancrure;

Le reste vous sera suffisante pâture.

Descendez dans un seau que j'ai là mis exprès.
Bien qu'au moins mal qu'il put il ajustât l'histoire,
Le loup fut un sot de le croire :

Il descend: et son poids, emportant l'autre part,
Reguinde en haut maître renard.

Ne nous en moquons point: nous nous laissons séduire Sur aussi peu de fondement;

Et chacun croit fort aisément

Ce qu'il craint et ce qu'il désire.

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Son menton nourrissoit une barbe touffue;

Toute sa personne velue

Représentoit un ours, mais un ours mal léché
Sous un sourcil épais il avoit l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,
Portoit sayon de poil de chèvre,

Et ceinture de joncs marins.

Cet homme, ainsi bâti, fut député des villes
Que lave le Danube. Il n'étoit point d'asiles
Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors et ne portât les mains.

Le député vint done, et fit cette harangue :
Romains, et vous sénat assis pour m'écouter,
Je supplie avant tout les dieux de m'assister:
Veuillent les Immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris!
Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits
Que tout mal et toute injustice:

Faute d'y recourir, on viole leurs lois.
Témoins nous que punit Ja romaine avarice :
Rome est, par nos forfaits, plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.

Craignez, Romains, craignez que le Ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,

Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et pourquoi sommes-nous les vôtres? Qu'on me die
En quoi vous valez mieux que cent peuples divers.
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers ?
Pourquoi venir troubler une innocente vie?
Nous cultivions en paix d'heureux champs;et nos mains
Étoient propres aux arts ainsi qu'au labourage.

Qu'avez-vous appris aux Germains?

Ils ont l'adresse et le courage:
S'ils avoient eu l'avidité,
Comme vous, et la violence,

Peut-être en votre place ils auroient la puissance,
Et sauroient en user sans inhumanité.
Celle que vos préteurs ont sur nous exercée

N'entre qu'à peine en la pensée.
La majesté de vos autels
Elle-même en est offensée ;
Car sachez que les Immortels

Ont les regards sur nous. Grâces à vos exemples,
Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,
D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome:
La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts superflus.

Retirez-les on ne veut plus

Cultiver pour eux les campagnes.

Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes ;
Nous laissons nos chères compagnes;
Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,

Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime.

Quant à nos enfants déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés: Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime. Retirez-les ils ne nous apprendront

Que la mollesse et que le vice;

Les Germains comme eux deviendront

Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présent à faire.

Point de pourpre à donner; c'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois encor leur ministère
A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.
Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère.

A ces mots, il se couche; et chacun étonné Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence, Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritoit. On choisit
D'autres préteurs; et par écrit

Le sénat demanda ce qu'avoit dit cet homme,
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.
On ne sut pas long-temps à Rome
Cette éloquence entretenir.

FABLE VIII.

Le Vieillard et les trois jeunes Hommes.

Ux octogénaire plantoit.

Passe encor de bâtir; mais planter à cet âge!
Disoient trois jouvenceaux, enfants du voisinage :
Assurément il radotoit.

Car, au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir?
Autant qu'un patriarche il vous faudroit vieillir.
A quoi bon charger votre vie

Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous?
Ne songez désormais qu'à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir et les vastes pensées;

Tout cela ne convient qu'à nous.

Il ne convient pas à vous-mêmes, Repartit le vieillard. Tout établissement Vient tard, et dure peu. La main des Parques blêmes De vos jours et des miens se joue également. Nos termes sont pareils par leur courte durée. Qui de nous des clartés de la voûte azurée Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment Qui vous puisse assurer d'un second seulement ? Mes arrière-neveux me devront cet ombrage: Eh bien défendez-vous au sage De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ? Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui :

J'en puis jouir demain, et quelques jours encore; Je puis enfin compter l'aurore

Plus d'une fois sur vos tombeaux.

Le vieillard cut raison : l'un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port, allant à l'Amérique;
L'autre, afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la république,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisième tomba d'un arbre

Que lui-même il voulut enter;

Et, pleurés du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter.

FABLE IX.

Les Souris et le Chat-Huant.

Il ne faut jamais dire aux gens:
Ecoutez un bon mot, oyez une merveille.
Savez-vous si les écoutants

En feront une estime à la vôtre pareille?
Voici pourtant un cas qui peut être excepté :
Je le maintiens prodige, et tel que d'une fable
Il a l'air et les traits, encor que véritable.

On abattit un pin pour son antiquité,
Vieux palais d'un hibou, triste et sombre retraite
De l'oiseau qu'Atropos prend pour son interprète.
Dans son trone caverneux, et miné par le temps,
Logeoient, entre autres habitants,

Force souris sans pieds, toutes rondes de graisse.
L'oiseau les nourrissoit parmi des tas de blé,
Et de son bec avoit leur troupeau mutilé.
Cet oiseau raisonnoit: il faut qu'on le confesse.
En son temps, aux souris le compagnon chassa :
Les premières qu'il prit du logis échappées,
Pour y remédier, le drôle estropia

Tout ce qu'il prit ensuite; et leurs jambes coupées
Firent qu'il les mangeoit à sa commodité,

Aujourd'hui l'une, et demain l'autre.
Tout manger à la fois, l'impossibilité
S'y trouvoit, joint aussi le soin de sa santé.
Sa prévoyance alloit aussi loin que la nôtre:
Elle alloit jusqu'à leur porter
Vivres et grains pour subsister.
Puis, qu'un cartésien s'obstine

A traiter ce hibou de montre et de machine!
Quel ressort lui pouvoit donner

Le conseil de tronquer un peuple mis en mue?

Si ce n'est pas là raisonner,

La raison m'est chose inconnue.

Voyez que d'arguments il fit:

Quand ce peuple est pris, il s'enfuit; Done il faut le croquer aussitôt qu'on le happe. Tout il est impossible. Et puis pour le besoin N'en dois-je point garder! Done il faut avoir soin De le nourrir sans qu'il échappe. Mais comment? Otons-lui les pieds. Or, trouvez-moi Chose par les humains à sa fin mieux conduite ? Quel autre art de penser Aristote et sa suite Enseignent-ils, par votre foi?

Ceci n'est point ane fable; la chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement arrivée. J'ai peut-être porté trop loin la prévoyance de ce hibou; car je ne prétends pas établir dans les bêtes un progrès de raisonnement tel que celui-ci : mais ces exagérations sont permises à la poésie, surtout dans la manière d'écrire dont je me

sers.

EPILOGUE.

C'EST ainsi que ma muse, aux bords d'une onde pure,
Traduisoit en langue des dieux

Tout ce que disent sous les cieux
Tant d'êtres empruntant la voix de la nature.
Truchement de peuples divers,

Je les faisois servir d'acteurs en mon ouvrage :
Car tout parle dans l'univers;

Il n'est rien qui n'ait son langage.
Plus éloquents chez eux qu'ils ne sont dans mes vers,
Si ceux que j'introduis me trouvent peu fidèle,
Si mon œuvre n'est pas un assez bon modèle,
J'ai du moins ouvert le chemin :
D'autres pourront y mettre une dernière main.
Favoris des neuf Sœurs, achevez l'entreprise;
Donnez mainte leçon que j'ai sans doute omise:
Sous ces inventions il faut l'envelopper.
Mais vous n'avez que trop de quoi vous occuper :
Pendant le doux emploi de ma muse innocente,
Louis dompte l'Europe; et, d'une main puissante,
Il conduit à leur fin les plus nobles projets
Qu'ait jamais formés un monarque.
Favoris des neuf Sœurs, ce sont là des sujets
Vainqueurs du Temps et de la Parque.

FIN DU LIVRE ONZIÈME.

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