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Pour la dame étrangère ayant peu de respect,
Lui donnoient fort souvent d'horribles coups de bec.
D'abord elle en fut affligée;

Mais, sitôt qu'elle eut vu cette troupe enragée
S'entrebattre elle-même et se percer les flancs,
Elle se consola. Ce sont leurs mœurs, dit-elle;
Ne les accusons point, plaignons plutôt ces gens:
Jupiter sur un seul modèle

N'a pas formé tous les esprits;

Il est des naturels de coqs et de perdrix.
S'il dépendoit de moi, je passerois ma vie
En plus honnête compagnie.

Le maître de ces lieux en ordonne autrement;
Il nous prend avec des tonnelles,

Nous loge avec des coqs, et nous coupe les ailes :
C'est de l'homme qu'il faut se plaindre seulement.

FABLE IX.

Le Chien à qui on a coupé les oreilles.

QU'AI-JE fait, pour me voir ainsi
Mutilé par mon propre maître ?
Le bel état où me voici !

Devant les autres chiens oserai-je paroître ?
O rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,

Qui vous feroit choses pareilles !

Ainsi crioit Mouflar, jeune dogue; et les gens,
Peu touchés de ses cris douloureux et perçants,
Venoient de lui couper sans pitié les oreilles.
Mouflar y croyoit perdre. Il vit avec le temps
Qu'il y gagnoit beaucoup; car, étant de nature
A piller ses pareils, mainte mésaventure
L'auroit fait retourner chez lui

Avec cette partie en cent lieux altérée :
Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée.

Le moins qu'on peut laisser de prise aux dents d'autrui,
C'est le mieux. Quand on n'a qu'un endroit à défendre,
On le munit, de peur d'esclandre.
Témoin maître Mouflar armé d'un gorgerin;
Du reste ayant d'oreille autant que sur ma main,
Un loup n'eût su par où le prendre.

FABLE X.

Le Berger et le Roi.

DEUX démons à leur gré partagent notre vie,
Et de son patrimoine ont chassé la raison;
Je ne vois point de cœur qui ne leur sacrifie :
Si vous me demandez leur état et leur nom

J'appelle l'un, Amour; et l'autre, Ambition.
Cette dernière étend le plus loin son empire;
Car même elle entre dans l'amour.

Je le ferois bien voir; mais mon but est de dire
Comme un roi fit venir un berger à sa cour.
Le conte est du bon temps, non du siècle où nous

sommes.

Ce roi vit un troupeau qui couvroit tous les champs,
Bien broutant, en bon corps, rapportant tous les ans,
Grâce aux soins du berger, de tres notables sommes.
Le berger plut au roi par ses soins diligents.
Tu mérites, dit-il, d'être pasteur de gens:
Laisse là tes moutons, viens conduire des hommes;

Je te fais juge souverain.

Voilà notre berger la balance à la main.
Quoiqu'il n'eût guère vu d'autres gens qu'un ermite,
Son troupeau, ses mâtins, le loup, et puis c'est tout,
Il avoit du bon sens ; le reste vint ensuite :

Bref, il en vint fort bien à bout.
L'ermite son voisin accourut pour lui dire :
Veillé-je? et n'est-ce point un songe que je vois?
Vous, favori! vous, grand! Défiez-vous des rois;
Leur faveur est glissante: on s'y trompe; et le pire,
C'est qu'il en coûte cher: de pareilles erreurs
Ne produisent jamais que d'illustres malheurs.
Vous ne connoissez pas l'attrait qui vous engage:
Je vous parle en ami; craignez tout. L'autre rit;
Et notre ermite poursuivit:

Voyez combien déjà la cour vous rend peu sage.
Je crois voir cet aveugle à qui, dans un voyage,
Un serpent engourdi de froid

Vint s'offrir sous la main : il le prit pour un fouet:
Le sien s'étoit perdu, tombant de sa ceinture.
Il rendoit grâce au Ciel de l'heureuse aventure,
Quand un passant cria: Que tenez-vous! 6 dieux!
Jetez cet animal traître et pernicieux,
Ce serpent! C'est un fouet. - C'est un serpent,
vous dis-je.

A me tant tourmenter quel intérêt m'oblige?
Prétendez-vous garder ce trésor ? Pourquoi non?
Mon fouet étoit usé, j'en retrouve un fort bon?
Vous n'en parlez que par envie.
L'aveugle enfin ne le crut pas;
Il en perdit bientôt la vie :

L'animal dégourdi piqua notre homme au bras.
Quant à vous, j'ose vous prédire
Qu'il vous arrivera quelque chose de pire.
Eh!

que me sauroit-il arriver que la mort ?
Mille dégoûts viendront, dit le prophète ermite.
Il en vint en effet l'ermite n'eut pas tort.
Mainte peste de cour fit tant, par maints ressorts,
Que la candeur du juge, ainsi que son mérite
Furent suspects au prince. On cabale, on suscite
Accusateurs, et gens grevés par ses arrêts.
De nos biens, dirent-ils, il s'est fait un palais.
Le prince voulut voir ses richesses immenses.

Il ne trouva partout que médiocrité,
Louange du désert et de la pauvreté :

C'étoient là ses magnificences.

Son fait, dit-on, consiste en des pierres de prix:
Un grand coffre en est plein, fermé de dix serrures.
Lui-même ouvrit ce coffre, et rendit bien surpris
Tous les machineurs d'impostures.

Le coffre étant ouvert, on y vit des lambeaux,
L'habit d'un gardeur de troupeaux,
Petit chapeau, jupon, panetière, boulette,
Et, je pense, aussi sa musette.

Doux trésors, ce dit-il, chers gages, qui jamais
N'attirâtes sur vous l'envie et le mensonge,
Je vous reprends: sortons de ces riches palais
Comme l'ou sortiroit d'un songe !

Sire, pardonnez-moi cette exclamation:
J'avois prévu ma chute en montant sur le faîte.
Je m'y suis trop complu: mais qui n'a dans la tête
Un petit grain d'ambition?

FABLE XI.

Les Poissons, et le Berger qui joue de la flûte.

TICIS, qui pour la scule Annette
Faisoit résonner les accords

D'une voix et d'une musette

Capables de toucher les morts,

Chantoit un jour, le long des bords,
D'une onde arrosant des prairies

Dont Zéphyre habitoit les campagnes fleuries.
Annette cependant à la ligne pêchoit;

Mais nul poisson ne s'approchoit:
La bergère perdoit ses peines.
Le berger, qui par ses chansons

Eût attiré des inhumaines,

Crut, et crut mal, attirer des poissons.
Il leur chanta ceci : Citoyens de cette onde,
Laissez votre Naiade en sa grotte profonde;
Venez voir un objet mille fois plus charmant.
Ne craignez point d'entrer aux prisons de la belle :
Ce n'est qu'à nous qu'elle est cruelle.

Vous serez traités doucement;;
On n'en veut point à votre vie :

Un vivier vous attend, plus clair que fin cristal;
Et, quand à quelques-uns l'appât seroit fatal,
Mourir des mains d'Annette est un sort que j'envie.
Ce discours éloquent ne fit pas grand effet;
L'auditoire étoit sourd aussi-bien que muet:
Tircis eut beau prêcher. Ses paroles miellées
S'en étant au vent envolées,

Il tendit un long rets. Voilà les poissons pris;
Voilà les poissons mis aux pieds de la bergère.

O vous, pasteurs d'humains et non pas de brebis, Rois, qui croyez gagner par raison les esprits

D'une multitude étrangère,

Ce n'est jamais par là que l'on en vient à bout!
Il y faut une autre manière:
Servez-vous de vos rets; la puissance fait tout.

FABLE XII.

Les deux Perroquets, le Roi, et son Fils.

DEUX perroquets, l'un père et l'autre fils,
Du rôt d'un roi faisoient leur ordinaire:
Deux demi-dieux, l'un fils et l'autre père,
De ces oiseaux faisoient leurs favoris.
L'âge lioit une amitié sincère
Entre ces gens: les deux pères s'aimoient;
Les deux enfants, malgré leur cœur frivole,
L'un avec l'antre aussi s'accoutumoient,
Nourris ensemble, et compagnons d'école.
C'étoit beaucoup d'honneur au jeune perroquet ;
Car l'enfant étoit prince, et son père monarque.
Par le tempérament que lui donna la Parque,
Il aimoit les oiseaux. Un moineau fort coquet,
Et le plus amoureux de toute la province,
Faisoit aussi sa part des délices du prince.
Ces deux rivaux un jour ensemble se jouants,
Comme il arrive aux jeunes gens,
Le jeu devint une querelle.
Le passereau, peu circonspect,
S'attira de tels coups de bee,
Que, demi-mort et traînant l'aile,
On crut qu'il n'en pourroit guérir.
Le prince indigné fit mourir

Son perroquet. Le bruit en vint au père.
L'infortuné vieillard crie et se désespère,
Le tout en vain, ses cris sont superflus;
L'oiseau parleur est déjà dans la barque :
Pour dire mieux, l'oiseau ne parlant plus
Fait qu'en fureur sur le fils du monarque
Son père s'en va fondre, et lui erève les yeux.
Il se sauve aussitôt, et choisit pour asile

Le haut d'un pin: là, dans le sein des dieux,
Il goûte sa vengeance en lieu sûr et tranquille.
Le roi lui-même y court, et dit pour l'attirer:
Ami, reviens chez moi; que nous sert de pleurer?
Haine, vengeance et deuil, laissons tout à la porte.
Je suis contraint de déclarer,

Encor que ma douleur soit forte, Que le tort vient de nous; mon fils fut l'agresseur : Mon fils! non; c'est le Sort qui du coup est l'auteur. La Parque avoit écrit de tout temps en son livre Que l'un de nos enfants devoit cesser de vivre, L'autre de voir, par ce malheur. Consolons-nous tous deux, et reviens dans ta cage. Le perroquet dit: Sire roi,

Crois-tu qu'après un tel outrage

Je me doive fier à toi?

Tu m'allègues le Sort: prétends-tu, par ta foi, Me leurrer de l'appât d'un profane langage? Mais que la Providence, ou bien que le Destin

Règle les affaires du monde,

Il est écrit là-haut qu'au faîte de ce pin,
Ou dans quelque forêt profonde,
J'achèverai mes jours loin du fatal objet

Qui doit t'être un juste sujet

De haine et de fureur. Je sais que la vengeance Est un morceau de roi ; car vous vivez en dieux. Tu veux oublier cette offense;

Je le crois cependant il me faut, pour le mieux,
Éviter ta main et tes yeux.

Sire roi, mon ami, va-t'en; tu perds ta peine :
Ne me parle point de retour:
L'absence est aussi bien un remède à la haine,
Qu'un appareil contre l'amour.

FABLE XIII.

La Lionne et l'Ours.

MERE lionne avoit perdu son faon : Un chasseur l'avoit pris. La pauvre infortunée Poussoit un tel rugissement,

Que toute la forêt étoit importunée.

La nuit ni son obscurité,

Son silence et ses autres charmes,

De la reine des bois n'arrêtoient les vacarmes :
Nul animal n'étoit du sommeil visité.

L'ours enfin lui dit : Ma commère,
Un mot sans plus; tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N'avoient-ils ni père ni mère? —
Ils en avoient. S'il est ainsi,

Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi? —
Moi, me taire moi malheureuse !
Ah! j'ai perdu mon fils! il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse! --

Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ?-
Hélas! c'est le Destin qui me hait. - Ces paroles
Ont été de tous temps en la bouche de tous.

Misérables humains, ceci s'adresse à vous!
Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque, en pareil cas, se croit hai des cieux,
Qu'il considère Hécube, il rendra grâce aux dieux.

FABLE XIV.

Les deux Aventuriers et le Talisman.

AUCUN chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
Je n'en veux pour témoin qu'Hercule et ses travaux :
Ce dieu n'a guère de rivaux;

J'en vois peu dans la fable, encor moins dans l'histoire.
En voici pourtant un, que de vieux talismans
Firent chercher fortune au pays des Romans.

Il voyageoit de compagnie :

Son camarade et lui trouvèrent un poteau

Ayant au haut cet écriteau :
Seigneur aventurier, s'il te prend quelque envie
De voir ce que n'a vu nul chevalier errant,
»Tu n'as qu'à passer ce torrent;

Puis, prenant dans tes bras un éléphant de pierre
» Que tu verras couché par terre,

» Le porter, d'une haleine, au sommet de ce mont
» Qui menace les cieux de son superbe front ».
L'un des deux chevaliers saigna du nez. Si l'onde
Est rapide autant que profonde,
Dit-il.... et supposé qu'on la puisse passer,
Pourquoi de l'éléphant s'aller embarrasser ?
Quelle ridicule entreprise!

Le sage l'aura fait par tel art et de guise,
Qu'on le pourra porter peut-être quatre pas :
Mais jusqu'au haut du mont ! d'une haleine ! il n'est pas
Au pouvoir d'un mortel; à moins que la figure
Ne soit d'un éléphant nain, pygmée, avorton,
Propre à mettre au bout d'un bâton :
Auquel cas, où l'honneur d'une telle aventure?
On nous veut attraper dedans cette écriture;
Ce sera quelque énigme à tromper un enfant :
C'est pourquoi je vous laisse avec votre éléphant.
Le raisonneur parti, l'aventureux se lance,
Les yeux clos, à travers cette eau.
Ni profondeur ni violence

Ne purent l'arrêter; et, selon l'écriteau,

Il vit son éléphant couché sur l'autre rive,

Il le prend, il l'emporte, au haut du mont arrive,
Rencontre une esplanade, et puis une cité.
Un eri par l'éléphant est aussitôt jeté :

Le peuple aussitôt sort en armes.
Tout autre aventurier, au bruit de ces alarmes,
Auroit fui celui-ci, loin de tourner le dos,
Veut vendre au moins sa vie, et mourir en héros.
Il fut tout étonné d'ouïr cette cohorte

Le proclamer monarque au lieu de son roi mort.
Il ne se fit prier que de la bonne sorte ;
Encor que le fardeau fût, dit-il, un peu fort.
Sixte en disoit autant quand on le fit saint Père:
(Seroit ce bien une misère

Que d'être pape ou d'être roi )?

On reconnut bientôt son peu de bonne foi.

Fortune aveugle suit aveugle hardiesse.
Le sage quelquefois fait bien d'exécuter
Avant que de donner le temps à la Sagesse
D'envisager le fait, et sans la consulter.

FABLE XV.

Les Lapins.

DISCOURS A M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULT.

Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L'homme agit, et qu'il se comporte

En mille occasions comme les animaux :
Le roi de ces gens-là n'a pas moins de défauts
Que ses sujets; et la Nature

A mis dans chaque créature

Quelques grains d'une masse où puisent les esprits:
J'entends les esprits-corps, et pétris de matière.
Je vais prouver ce que je dis.

A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour,
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe,
Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe,
Je foudroie à discrétion

En lapin qui n'y pensoit guère.
Je vois fuir aussitôt toute la nation

Des lapins qui, sur la bruyère,
L'œil éveillé, l'oreille au guet,

S'égayoient, et de thym parfumoient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande

S'en va chercher sa sûreté

Dans la souterraine cité :

Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande
S'évanouit bientôt ; je revois les lapins,
Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains.

Ne reconnoît-on pas en cela les humains?

Dispersés par quelque orage,

A peine ils touchent le port,
Qu'ils vont hasarder encor
Même vent, méme naufrage :
Vrais lapins, on les revoit
Sous les mains de la Fortune.

Joignons à cet exemple une chose commune.

Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit

Qui n'est pas de leur détroit,

Je laisse à penser quelle fête !

Les chiens du lieu, n'ayant en tête

Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents
Vous accompagnent ces passants

Jusqu'aux confins du territoire.

Un intérêt de bien, de grandeur et de gloire,
Aux gouverneurs d'états, à certains courtisans,
A gens de tous métiers, en fait tout autant faire.
On nous voit tous, pour l'ordinaire,

Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l'auteur sont de ce caractère :
Malheur à l'écrivain nouveau !

Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau,
C'est le droit du jeu, c'est l'affaire.
Cent exemples pourroient appuyer mon discours;
Mais les ouvrages les plus courts

Sont toujours les meilleurs. En cela j'ai pour guide
Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser
Dans les plus beaux sujets quelque chose à

Ainsi ce discours doit cesser.

penser:

Vous, qui m'avez donné ce qu'il a de solide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur
La louange la plus permise,

La plus juste et la mieux acquise:
Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages
Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages,
Comme un nom qui, des ans et des peuples connu,
Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde
Qu'aucun climat de l'univers,

Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde Que vous m'avez donné le sujet de ces vers.

FABLE XVI.

Le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre,, et le Fils de roi.

QUATRE chercheurs de nouveaux mondes,
Presque nus, échappés à la fureur des ondes,
Un trafiquant, un noble, un pâtre, un fils de roi,
Réduits au sort de Bélisaire,
Demandoient aux passants de quoi
Pouvoir soulager leur misère.

De raconter quel sort les avoit assemblés,
Quoique sous divers points tous quatre ils fussent nés,

C'est un récit de longue haleine.

Ils s'assirent enfin au bord d'une fontaine :
Là, le conseil se tint entre les pauvres gens.
Le prince s'étendit sur le malheur des grands.
Le pâtre fut d'avis qu'éloignant la pensée
De leur aventure passée

Chacun fit de son mieux, et s'appliquât au soin
De pourvoir au commun besoin.
La plainte, ajouta-t-il, guérit-elle son homme ?
Travaillons: c'est de quoi nous mener jusqu'à Rome.

Un påtre ainsi parler! Ainsi parler? croit-on
Que le Ciel n'ait donné qu'aux têtes couronnées
De l'esprit et de la raison;

Et

que

de tout berger, comme de tout mouton, Les connoissances soient bornées ?

L'avis de celui-ci fut d'abord trouvé bon

Par les trois échoués aux bords de l'Amérique.
L'un, c'étoit le marchand, savoit l'arithmétique;
A tant par mois, dit-il, j'en donnerai leçon.
J'enseignerai la politique,

Reprit le fils de roi. Le noble poursuivit :
Moi, je sais le blason ; j'en veux tenir école.
Comme si, devers l'Inde, on eût eu dans l'esprit
La solte vanité de ce jargon frivole!

Le pâtre dit: Amis, vous parlez bien; mais quoi !
Le mois a trente jours: jusqu'à cette échéance
Jeûnerons-nous, par votre foi?
Vous me donnez une espérance

Belle, mais éloignée, et cependant j'ai faim.
Qui pourvoira de nous au dîner de demain ?
Ou plutôt sur quelle assurance
Fondez-vous, dites-moi, le souper d'aujourd'hui ?
Avant tout autre, c'est celui
Dont il s'agit. Votre science

Est courte là-dessus: ma main y suppléera.

A ces mots le pâtre s'en va

Dans un bois il y fit des fagots, dont la vente, Pendant cette journée et pendant la suivante, Empêcha qu'un long jeúne à la fin ne fit tant, Qu'ils allassent là-bas exercer leur talent.

Je conclus de cette aventure

Qu'il ne faut pas tant d'art pour conserver ses jours;
Et, grâce aux dons de la nature,
La main est le plus sûr et le plus prompt secours.

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Le Lion.

SULTAN leopard autrefois

Eut, ce dit-on, par mainte aubaine

Force bœufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,

Force moutons parmi la plaine.

Il naquit un lion dans la forêt prochaine.
Après les compliments et d'une et d'autre part,
Comme entre grands il se pratique,
Le sultan fit venir son visir le renard,

Vieux routier, et bon politique.

Tu crains, ce lui dit-il, lionceau mon voisin :
Son père est mort; que peut-il faire?
Plains plutôt le pauvre orphelin.
Il a chez lui plus d'une affaire ;

Et devra beaucoup au Destin

S'il garde ce qu'il a, sans tenter de conquête.
Le renard dit, branlant la tête :

Tels orphelins, seigneurs, ne me font point pitié;
Il faut de celui-ci conserver l'amitié,

Ou s'efforcer de le détruire

Avant que la griffe et la dent

Lui soit crue, et qu'il soit en état de nous nuire. N'y perdez pas un seul moment.

Ce sera le meilleur lion
Pour ses amis, qui soit sur terre:
Tachez donc d'en être; sinon

Tâchez de l'affoiblir. La harangue fut vaine.
Le sultan dormoit lors; et dedans son domaine
Chacun dormoit aussi, bêtes, gens: tant qu'eufin
Le lionceau devint vrai lion. Le tocsin
Sonne aussitôt sur lui; l'alarme se promène
De toutes parts; et le visir,
Consulté là-dessus, dit avec un soupir:
Pourquoi l'irritez-vous? La chose est sans remède.
En vain nous appelons mille gens à notre aide :
Plus ils sont, plus il coûte; et je ne les tiens bons
Qu'à manger leur part des moutons.
Apaisez le lion seul il passe en puissance
Ce monde d'alliés vivant sur notre bien.
Le lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, sa force, avec sa vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton;
S'il n'en est pas content, jetez-en davantage :
Joignez y quelque bœuf; choisissez, pour ce don,

Tout le plus gras du pâturage.

Sauvez le reste ainsi. Ce conseil ne plut pas.
Il en prit mal; et force états
Voisins du sultan en patirent:

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