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FABLE XVIII.

Le Renard et la Cigogne.

COMPÈRE le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'aprêts:
Le galant, pour toute besogne,
Avoit un brouet clair; il vivoit chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette:

La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis

Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis

De la cigogne son hôtesse;

Loua très fort sa politesse;
Trouva le dîner cuit à point:

Pon appétit surtout; renards n'en manquent point.
Il se réjouissoit à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyoit friande.

On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvoit bien
passer;
Mais le museau du sire étoit d'autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule auroit pris, Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris: Attendez-vous à la pareille.

Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connoître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand:
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que songer
Au moyen d'exercer leur langue.
Eh! mon ami, tire-moi de danger:
Tu feras après ta harangue.

FABLE XX.

Le Coq et la Perle.

Us jour un coq détourna
Une perle, qu'il donna
Au beau premier lapidaire.

Je la crois fine, dit-il ;

Mais le moindre grain de mil
Seroit bien mieux mon affaire.
Un ignorant hérita

D'un manuscrit, qu'il porta
Chez son voisin le libraire.

Je crois, dit il, qu'il est bon;
Mais le moindre ducaton
Seroit bien mieux mon affaire.

FABLE XIX.

L'Enfant et le Maitre d'école.

DANS ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.

Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir,
En badinant sur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu'un saule se trouva
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d'école.
L'enfant lui crie: Au secours! je péris!
Le magister, se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave, à contre-temps s'avise
De le tancer. Ah! le petit babouin !
Voyez, dit il, où l'a mis sa sottise!
Et puis, prenez de tels fripons le soin!
Que les parents sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!

FABLE XXI.

Les Frelons et les Mouches à miel.

A l'œuvre on connoît l'artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent: Des frelons les réclamèrent:

Des abeilles s'opposant,

Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il étoit malaisé de décider la chose:

Les témoins déposoient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avoient long-temps paru. Mais quoi ! dans les frelons
Ces enseignes étoient pareilles.

La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.

Le point n'en put être éclairci.
De grâce, à quoi bon tout ceci?
Dit une abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gate.

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Un roitelet, pour vous, est un pesant fardeau ou

Le moindre vent qui, d'aventure,

Fait rider da face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête.

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,

Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrois de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste,
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci :

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables; Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flanes.
L'arbre tient bon; le roseau plic.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine

Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.

}

FIN DU LIVRE PREMIER.

LIVRE SECOND.

FABLE PREMIERE.

Contre ceux qui ont le goût difficile.

QUAND J'aurois, en naissant, reçu de Calliope
Les dons qu'à ses amants cette muse a promis,
Je les consacrerois aux mensonges d'Ésope:

Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse,
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions:
On le peut; je l'essaie; un plus savant le fasse
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau
J'ai fait parler le loup et répondre l'agnean:

J'ai passé plus avant; les arbres et les plantes
Sont devenus, chez moi, créatures parlantes.
Qui ne prendroit ceci pour un enchantement?
Vraiment, me diront nos critiques,
Vous parlez magnifiquement

De cinq ou six contes d'enfant.

Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d'un style plus haut? En voici. Les Troyens, Après dix ans de guerre autour de leurs murailles, Avoient lassé les Grecs, qui, par mille moyens,

Par mille assauts, par cent batailles, N'avoient pu mettre à bout cette fière cité ; Quand un cheval de bois, par Minerve inventé,

D'un rare et nouvel artifice,

Dans ses énormes flanes reçut le sage Ulysse

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