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et qui ne vous a été envoyée que samedi dernier. J'ai vu mademoiselle Thérèse depuis cela, pour obéir à vos ordres, mais pour mon plaisir, et très grand plaisir. Elle avoit le plus beau teint que fille que j'aie vue de ma vie. Ne vous allez pas imaginer que nous nous laissions mourir de chagrin pendant votre absence. C'est une chose qui se dit toujours, et qui n'arrive jamais. Je suis au désespoir de vous avoir fait les remontrances que je vous ai faites: non qu'elles ne soient raisonnables; mais votre lettre ne permet pas qu'on écoute la raison en façon du monde, et vous renverserez l'esprit de qui vous voudrez, et quand vous voudrez, fût-ce un philosophe du temps passé. Il me semble par la vôtre que vous ne voulez point de réponse; car vous dites que vous ne me marquez point le lieu où vous êtes. Cependant, on vous y a envoyé ma lettre et d'autres encore. On ne sauroit imaginer une plus agréable compagnie que celle que vous avez. Dieu vous la conserve, et ramenez là au plus tôt, si vous m'en croyez non que la campagne doive finir toutà-l'heure mais, comme on dit que le prince d'Orange s'en retourne en Angleterre, nos princes et nos grands seigneurs pourroient bien s'en revenir au plus vite. Je n'oserois m'étendre sur le chapitre qui vous a fait partir, et qui vous pourroit arrêter un peu trop long-temps; il me paroît, par la vôtre, que vous ne le souhaitez pas. Je verrai souvent mademoiselle votre fille, et penserai un peu plus souvent à vous, bien certain que, de votre part, vous n'avez garde de m'oublier.

A M. DE MAUCROIX.

Tu te trompes assurément, mon cher ami, s'il est bien vrai, comme M. de Soissons me l'a dit, que tu me croies plus malade d'esprit que de corps. Il me l'a dit pour tâcher de m'inspirer du courage, mais ce n'est pas de quoi je manque. Je t'assure que le meilleur de tes amis n'a plus à compter sur quinze jours de vie. Voilà deux mois que je ne sors point, si ce n'est pour aller un peu à l'Académie, afin que cela m'amuse. Hier, comme j'en revenois, il me prit, au milieu de la rue du Chantre, une si grande foi blesse, que je crus véritablement mourir. O mon cher mourir n'est rien mais songes-tu que je vais comparoître devant Dieu ? Tu sais comme j'ai vécu. Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l'éternité seront peut-être ouvertes pour moi.

10 fevrier 1695.

LETTRES.

LETTRE

DU R. P. POUJET,

PRÊTRE DE L'ORATOIRE,

A M. L'ABBÉ D'OLIVET,

DE L'ACADÉMIE FRANÇOISE,

OU

RELATION DE LA CONVERSION DE M. DE LA FONTAINE,

De l'Académie françoise.

Il est juste, Monsieur, de répondre au louable empressement avec lequel vous m'avez fait l'honneur de me demander un récit circonstancié de ce qui s'est passé au sujet de la conversion du célèbre feu M. de La Fontaine, qui me fit sa confession générale, et reçut de ma main le saint Viatique en 1693. Je vais, Monsieur, vous en faire une relation exacte les faits sont aussi présents à ma mémoire, que si l'histoire étoit arrivée depuis peu de jours; et je ne suis pas fâché qu'il se présente naturellement une occasion de rendre publique la circonstance de la vie de feu M. de La Fontaine qui lui a fait le plus d'honneur. On y lira en même temps avec joie une des plus belles actions que feu monseigneur le Dauphin, qu'on nommoit alors monseigneur le duc de Bourgogne, ait faites dans son enfance; action au reste dont peu de gens sont intruits, et que l'auteur de la vie de ce Prince n'auroit pas manqué d'insérer dans son livre, s'il l'eût sue.

Vers le milieu du mois de décembre 169a, M. de La Fontaine, qui demeuroit alors sur la paroisse de Saint-Roch, à Paris, tomba dangereusement malade en la soixante-quinzième année de son age. Il y avoit alors six semaines que j'étois vicaire de la paroisse de Saint-Roch, n'étant âgé que de vingt-six ans, et j'étois docteur de Sorbonne depuis six mois. Je n'avois encore assisté ni confessé aucun malade. M. le curé de SaintRoch ayant su cette maladie, me pria d'aller voir M. de La Fontaine, pour lui donner les secours qui dépendroient de mon ministère. Je fis ce que je pus pour m'en défendre, représentant que j'é tois trop jeune pour un homme de cet âge-là, qui d'ailleurs ayant vécu d'une manière peu conforme aux règles du christianisme, et étant fort connu par des ouvrages scandaleux et infiniment pernicieux à la jeunesse, avoit besoin d'un guide plus éclairé et plus expérimenté que je n'étois. M. le curé de Saint-Roch voulut absolument j'y allasse. J'obéis. Je pris avec moi un ami commun, homme de beaucoup d'esprit, qui étoit intime de M. de La Fontaine, ne voulant pas me présenter d'abord en qualité de pasteur, mais comme ami, qui venois m'informer de l'état de

que

sa santé de la part de mon père, qui vivoit alors, et chez qui M. de La Fontaine venoit quelquefois. Je chargeai l'ami qui m'accompagnoit de lui dire que j'étois vicaire de la paroisse, pour me mettre par là insensiblement sur les voies de lui parler de Dieu et de son salut.

Cette première visite dura deux heures. Après les compliments ordinaires, je mis insensiblement et naturellement la conversation sur des matières de piété et de religion. M. de La Fontaine me fit plusieurs objections. J'avois dit qu'un homme de bon sens, qui vouloit examiner les choses à tête reposée, ne pouvoit se dispenser de convenir, après cet examen, que la religion chrétienne étoit véritable; et que, supposé sa vérité, c'étoit une folie que de vivre, comme font la plupart des hommes, d'une manière absolument opposée à ce qu'on fait profession de croire. J'appuyai cela de tous les raisonnements qui se présentèrent alors à mon esprit. M. de La Fontaine, qui étoit un homme fort ingénu et fort simple, avec beaucoup d'esprit, me dit avec une naïveté plaisante. « Je me » suis mis, dit-il, depuis quelque temps à lire le Nouveau-Testament. Je vous assure, ajouta-t-il, » que c'est un fort bon livre, oui, par ma foi, c'est un bon livre: mais il y a un article sur lequel je ne suis pas rendu ; c'est celui de l'éternité des peines. Je ne comprends pas, dit-il, » comment cette éternité peut s'accorder avec la bonté de Dieu. » Je lui répondis, qu'il n'étoit pas nécessaire qu'il le comprît; qu'il y a des cho ses plus incompréhensibles qu'il étoit obligé de croire que généralement tous les mystères sont incompréhensibles; qu'il suffit d'examiner la vérité de la révélation; et que quand on est sûr que Dieu a parlé, et qu'il s'est expliqué nettement, il faut que la raison humaine se taise et se soumette à un Dieu qui parle et qui s'explique : qu'après cela, il étoit aisé de lui faire voir que l'éternité des peines n'avoit rien que de juste et de fondé en raison; et je lui expliquai sur cela, avec étendue et vivacité, les principes de saint Augustin, des autres pères, et des théologiens. J'avois ces matieres fort présentes, parce que je sortois de dessus les banes de Sorbonne, où ces questions sont fort agitées. Après plusieurs répliques de la part de M. de La Fontaine, je le mis enfin en état de n'avoir plus rien à répondre; et il se rendit. Je finis la conversation: nous nous séparâmes fort contents l'un de l'autre. Il me pria de revenir. Je lui promis de le voir tous les jours, pendant que dureroit sa maladie. Quand je fus sorti, il dit à l'ami que j'avois mené, et avec qui j'étois convenu qu'il demeureroit après moi, il lui dit qu'il étoit très satisfait de notre conversation; qu'il avoit encore d'autres difficultés, sur lesquelles il vouloit m'entretenir : et que si jamais il prenoit le parti de se confesser. il ne vouloit pas d'autre confesseur que moi.

Je retournai chez lui le jour même après midi : nous parlâmes assez long-temps tête à tête, et la conversation roula toujours sur les preuves de la religion chrétienne. M. de La Fontaine n'avoit jamais été absolument mécréant; mais aussi c'étoit un homme qui, comme tout le monde sait, n'avoit jamais fait de la religion son capital. C'étoit un homme abstrait, qui ne pensoit guère de suite, qui avoit quelquefois de très agréables saillies, qui d'autres fois paroissoit avoir peu d'esprit, qui ne s'embarrassoit de rien, et qui ne prenoit rien fort à cœur. Sa maladie le mit en état de faire des réflexions sérieuses. Je lui ai toujours connu pendant ce temps-là un grand fonds de bon sens. Il saisissoit le vrai, et il s'y rendoit : il ne cherchoit point à chicaner. Il me parut agir avec droiture et bonne foi; et il me dit que, s'il prenoit le parti de se confesser, je verrois qu'il le feroit tout de son mieux, et qu'il ne joueroit pas la comédie. Je l'exhortois toujours, après avoir traité des matières spéculatives de religion, à rentrer en luimême, à implorer le secours de Dieu, à se confier en sa miséricorde, et à faire réflexion que son âge et sa maladie, qui paroissoit devoir traîner en longueur, ne lui donnoient pas lieu d'espérer encore une longue vie. Enfin, après dix ou douze jours de conversation que j'eus avec lui tête à tête deux fois par jour, il me dit qu'il étoit convaincu de la vérité de tout ce que je lui avois dit jusqu'alors; qu'il vouloit penser sérieusement à vivre et à mourir en chrétien; qu'il se sentoit vivement pressé par la grâce; qu'il voyoit bien qu'il falloit faire une confession générale, mais que cet ou vrage l'embarrassoit infiniment; que ce n'étoit pas une petite affaire que le récit de soixantequinze ans d'une vie comme la sienne; que, plus il y pensoit, plus il voyoit de chaos, et ne savoit comment il pourroit s'en tirer. Je le consolai, je l'animai: je lui dis que Dieu ne demandoit pas l'impossible; qu'il n'étoit jamais trop tard pour revenir à lui quand on le faisoit de bonne foi; que, dans la parabole de l'Évangile, ceux qui avoient été appelés à l'onzième heure du jour à travailler à la vigne avoient été récompensés par pere de famille, comme ceux qui avoient été appelés à la première heure; que c'étoit le cœur que Dieu vouloit; qu'en le lui donnant on lui donnoit tout que Dieu l'aideroit lui-même à se bien confesser, quand il seroit déterminé à le faire tout de son mieux; qu'après cela son confesseur le soulageroit beaucoup par les différentes questions qu'il lui feroit par rapport à chaque âge de sa vie, sur les commandements de Dieu et de l'Église, sur les différents péchés qu'on peut avoir commis, sur les obligations générales et particulières du christianisme, sur les différents lieux, sur les, différents emplois, les différentes conjonctures où il s'étoit trouvé, et les différentes liaisons qu'il pouvoit avoir eues : qu'en un mot on lui facilite

le

roit beaucoup les choses, et qu'il viendroit à bout, à sa satisfaction, de cette importante affaire.

Je fis ce que je pus pour l'engager à prendre de ma main un autre confesseur que moi, m'excusant sur ma jeunesse et sur mon peu d'expérience, lui offrant au surplus de continuer à le voir et à l'aider de mes conseils. Il ne voulut jamais consentir à cette proposition, et me dit que, puisque la divine Providence m'avoit adressé à lui, et que Dieu s'étoit servi de mon ministère pour convainere son esprit et toucher son cœur, il me prioit de ne le pas abandonner, et de continuer jusqu'à la fin à faire à son égard les fonctions de pasteur. Je crus devoir me rendre à ses désirs et à ses empressements; mais je lui dis qu'avant d'entrer en matière il étoit nécessaire que nous convinssions ensemble sur deux choses.

La première regardoit le livre infâme de ses Contes; livre très licencieux et infiniment pernicieux, qui avoit été imprimé une infinité de fois, qui, à ce qu'il m'avoit appris lui-même, s'imprimoit encore actuellement en Hollande avec sa participation, et qui, tant que la langue fran çoise subsisteroit, contribueroit à pervertir les mœurs de ceux qui le liroient, et les pervertiroit d'autant plus infailliblement, qu'on le lisoit avec plaisir par la naïveté du style, et par le naturel qui y est répandu; joint au fond des choses, qui par leur corruption même attiroient la curiosité.

Je lui dis qu'il y avoit deux choses à faire par rapport à cet ouvrage, sans quoi les ministres de l'Eglise ne pouvoient en conscience l'admettre à la participation des sacrements. L'une étoit, qu'il falloit qu'il fit une espèce de satisfaction publique et d'amende honorable devant le saint Sacrement, s'il étoit obligé de le recevoir dans sa maladie, ou, supposé qu'il revînt en santé, dans l'assemblée de l'Académie françoise, la première fois qu'il s'y trouveroit pour témoigner le déplaisir qu'il avoit d'avoir composé un tel livre, et en demander pardon à Dieu et à l'Églige. L'autre, qu'il falloit qu'il promit publiquement et de bonne foi de ne contribuer jamais à l'impression ni au débit de ce livre, de n'en tirer jamais aucun profit pecuniaire, et, si Dieu lui rendoit la santé, d'employer le reste de ses jours aux exercices d'une vie pénitente et édifiante; enfin de ne faire usage du talent qu'il avoit pour la poésie que pour travailler à des ouvrages de piété, et jamais à des ou vrages qui y fussent contraires.

M. de La Fontaine eut assez de peine à se rendre à la proposition de cette satisfaction publique. Il ne pouvoit pas s'imaginer que le livre de ses Contes fût un ouvrage si pernicieux, quoiqu'il ne le regardât pas comme un ouvrage irrépréhensible, et qu'il ne le justifiat pas. Il protestoit que ce livre n'avoit jamais fait de mauvaise impression sur lui en l'écrivant, et il ne pouvoit pas com

prendre qu'il pût être si fort nuisible aux personnes qui le liroient. Ceux qui ont connu plus par ticulièrement M. de La Fontaine n'auront pas de peine à convenir qu'il ne faisoit point de mensonge en parlant ainsi, quelque difficile qu'il pa roisse de croire cela d'un homme d'esprit, et qui connoissoit le monde. M. de La Fontaine étoit un homme vrai et simple, qui sur mille choses pensoit autrement que le reste des hommes, et qui étoit aussi simple dans le mal que dans le bien. J'eus le bonheur de lui faire comprendre enfin tout le venin répandu dans cet infâme ouvrage, et combien il étoit dangereux et pernicieux; quelle étoit par conséquent la grandeur du crime qu'il avoit commis en le composant, et du scandale qu'il avoit donné à l'Église en le divulguant par l'impression. Alors il n'eut pas de peine à se rendre à la proposition que je lui avois faite d'en faire une rétractation et satisfaction pu blique. Il en comprit sans peine l'obligation, et promit de bonne foi de faire sur cela courageusement tout ce que je lui prescrirois.

La seconde chose sur laquelle je voulus m'éelaircir avec lui, est qu'il m'étoit revenu, par plusieurs de ses amis, qu'il avoit composé depuis peu de temps une pièce de théâtre qui avoit eu l'applaudissement de tous ceux qui l'avoient lue, et qu'il devoit bientôt la remettre entre les mains des comédiens, pour la représenter. Je lui dis que la profession de comédien étoit une profes sion infâme selon les lois; qu'il n'étoit pas permis de les admettre aux sacrements de l'église, s'ils ne renonçoient à cette profession; qu'il n'étoit pas permis par conséquent de contribuer à les entreteuir dans cette profession, en travaillant à des pièces pour les leur faire représenter; et qu'en un mot je ne pouvois pas l'entendre en confession pour lui donner l'absolution, s'il ne me promet toit de bonne foi de ne jamais remettre cette pièce aux comédiens. Il trouva ma décision sévère, et en appela au sentiment des docteurs plus expé rimentes que je n'étois. Je lui dis que j'étois ravi qu'il voulût consulter d'autres personnes, pourvu qu'il s'adressât à des gens connus pour être d'une science et d'une morale exactes. Il accepta la proposition. Il s'adressa en Sorbonne, et consulta entre autres M. Pirot, ancien professeur de Sorbonne, qui est mort depuis quelques années chancelier de l'église et de l'université de Paris. La réponse de M. Pirot et des autres docteurs fut toute semblable à la mienne. On lui dit que je lui avois parlé avec droiture et avec vérité, sans rien exagérer. Il ne balança plus, il jeta sa pièce au feu, sans en retenir de copie; et la troupe des comédiens ne l'a jamais eue.

Ces deux articles règlès, il se prépara très sérieusement à sa confession générale. Comme sa maladie trainoit en longueur, et lui laissoit toute la liberté de sa tête, il employa tout le temps né

cessaire pour bien faire cette importante action. Cela dura long-temps, s'agissant d'entrer dans le détail de soixante-quinze ans de vie. Il m'est permis de dire qu'il se confessa avec des sentiments de componction et de piété très édifiants.

Sa maladie augmentant dans la suite, ses médecins jugèrent qu'il étoit temps de lui faire recevoir le saint Viatique. Le jour fut pris, et je convins avec lui, la veille, qu'il feroit prier mes. sieurs de l'Académie françoise de s'y trouver par députés, pour être les témoins de l'action. La chose fut exécutée le 12 de février 1693, qui étoit le premier jeudi de carême, auquel jour l'Église fait lire l'évangile de la Cananée. M. le curé de Saint-Roch me dit la veille qu'il lui porteroit luimême le saint Viatique. Le lendemain à dix heures du matin on vint l'avertir que MM. les députés de l'Académie étoient dans l'église, et attendoient le saint Sacrement pour l'accompagner. M. le curé m'envoya chercher, et me dit qu'une affaire imprévue l'empêchoit d'y aller, et il me pria de porter le saint Sacrement. Je le fis.

Quand le saint Sacrement fut arrivé dans la chambre du malade, lequel étoit sur un fauteuil, elle fut aussitôt remplie de monde, et d'un monde choisi car le bruit de l'action que M. de La Fontaine alloit faire s'étoit répandu, et un grand nombre de personnes de qualité et de gens d'esprit se joignirent à messieurs les académiciens, et voulurent ètre les témoins du spectacle.

Je mis le saint Sacrement sur la table; je fis les prières prescrites dans le Rituel je m'approchai de M. de La Fontaine, pour lui faire, selon l'usage, une courte exhortation. Il me prévint, et prononça ces propres paroles:

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Monsieur, j'ai prié MM. de l'Académie fran» çoise, dont j'ai l'honneur d'être un des mem»bres, de se trouver ici par députés, pour être » les témoins de l'action que je vais faire. Il est » d'une notoriété qui n'est que trop publique, que j'ai eu le malheur de composer un livre » de contes infames. En le composant, je n'ai » pas cru que ce fût un ouvrage aussi pernicieux qu'il est. On m'a sur cela ouvert les yeux, et je conviens que c'est un livre abominable. Je suis très fâché de l'avoir écrit et publié. J'en demande pardon à Dieu, à l'Église, et à vous, monsieur, qui êtes son ministre, à vous messieurs de l'Académie, et à tous ceux qui sont ici présents. » Je voudrois que cet ouvrage ne fût jamais sorti » de ma plume, et qu'il fût en mon pouvoir de le supprimer entièrement. Je promets solennelle»ment, en présence de mon Dieu, que je vais » avoir le bonheur de recevoir, quoique indigne, » que je ne contribuerai jamais à son débit ni à » son impression. Je renonce actuellement et » pour toujours au profit qui devoit me revenir » d'une nouvelle édition par moi retouchée, que

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j'ai malheureusement consenti que l'on fit actuellement en Hollande. Si Dieu me rend la santé, j'espère qu'il me fera la grâce de soute»nir authentiquement la protestation publique » que je fais aujourd'hui, et je suis résolu à passer le reste de mes jours dans les exercices de la pénitence, autant que mes forces corporelles pourront me le permettre, et à n'employer le talent de la poésie qu'à la composition d'ouvrages de piété. Je vous supplie, messieurs (ajoutat-il en se tournant du côté des députés de l'Académie), de rendre compte à l'Académie de ce dont vous venez d'être les témoins. »

Alors je pris la parole, et je dis : « Monsieur, » ce que vous venez de faire est une satisfaction > nécessaire que l'Église a exigée de vous, pour

pouvoir vous admettre à la participation des sa» crements. Par cette satisfaction vous ne réparez pas tout le mal qu'a fait, et que fera dans la suite des siècles, l'infame livre dont vous êtes l'au»teur; néanmoins l'Église s'en contente, parce » qu'il n'est pas en votre pouvoir de faire plus, et que, conduite par l'esprit de Dieu, elle ne demande pas l'impossible. Touché de Dieu comme vous l'êtes, vous conserverez sans doute toute votre vie une vive douleur de voir qu'il n'est plus en votre pouvoir de supprimer entiè >rement un livre si détestable, répandu partout. Cette pensée doit vous faire rentrer dans les sen. timents d'une profonde humiliation, à la vue des crimes qui se commettront par la lecture » d'un tel livre, tant que la langue françoise subsistera. L'Église en ce jour vous présente un modele capable de vous faire entrer dans ces sentiments. Nous avons lu aujourd'hui au saint sacrifice de la messe l'évangile de la Cananée : elle ne mérita les gràces et les louanges de Jésus-Christ que par sa profonde humiliation, qui fit qu'elle se regardoit comme étrangère aux grâces de Dieu. Jésus-Christ sembla la re» buter d'abord, pour donner lieu à sa foi d'écla »ter davantage. Plus Jésus-Christ paroissoit la » traiter avec dureté, plus elle s'humilia; et elle obtint enfin ce qu'elle demandoit. Voilà, mon. sieur, le modèle que vous devez vous proposer en ce moment, et dans toute la suite de votre vie. Regardez-vous comme indigne de la misericorde de Dieu, comme étranger à ses grâces » et à ses faveurs. Humiliez-vous profondément en présence de votre Sauveur, que vous allez recevoir de ma main. Ranimez toute votre foi: cette foi produira la confiance; et plus elle sera grande, plus vous ressentirez les effets de la bonté de Jésus-Christ, qui dit lui-même qu'il » est venu chercher, non les justes, mais les pé» cheurs, et ramener au bercail les brebis égarées » et perdues. Entrez dans les sentiments d'une vive componction, à la vue des péchés par les

quels vous avez déshonoré et fait déshonorer le Dieu que vous allez recevoir : et pourvu que vous soyez bien pénétré de ces sentiments de » pénitence, et bien résolu à observer fidèlement ⚫ les promesses solennelles que vous venez de faire » en sa présence, il oubliera tous vos péchés, et se donnera à vous, comme à un ami, pour » vous combler de ses gràces et de ses miséri

» cordes. »

J'exhortai tous les assistants à prier pour le malade, qui reçut le saint Viatique avec un extérieur qui marquoit une profonde humiliation et de grands sentiments de piété.

L'après-midi, sur les quatre heures, M. de La Fontaine m'envoya chercher avec beaucoup d'em pressement. Je crus qu'il étoit plus mal; je courus chez lui. Il m'embrassa avec un grand épanouissement de joie, et me dit qu'il vouloit me faire part d'une agréable nouvelle : Qu'il sortoit de chez lui un gentilhomme envoyé par monseigneur le duc de Bourgogne, pour s'informer de l'état de sa santé, et lui porter de la part de ce Prince une bourse de cinquante louis d'or en espèces. Ce gentilhomme avoit eu ordre de lui dire que le Prince venoit d'apprendre avec beaucoup de joie ce qu'il avoit fait le matin ; que cette action lui faisoit beaucoup d'honneur devant Dieu et devant les hommes, mais qu'elle n'accommodoit pas sa bourse, laquelle n'étoit pas des plus garnies; que le Prince trouvoit qu'il n'étoit pas raisonnable qu'il fût plus pauvre pour avoir fait son devoir; et que, puisqu'il avoit renoncé solennellement au profit que l'imprimeur hollandois devoit lui donner de son livre, le Prince, pour y suppléer, lui envoyoit cinquante louis, qui étoit tout ce qu'il avoit alors, et tout ce qui lui restoit de ce que le Roi lui avoit fait donner pour ses menus plaisirs du mois courant; que s'il eût eu davantage à lui envoyer, il le lui auroit envoyé avec encore plus de joie.

Monseigneur le duc de Bourgogne n'étoit alors que dans sa onzième année; et j'ai su qu'il avoit fait cette belle action de lui-même, et sans qu'elle lui eût été inspirée par personne.

Le bruit de ce qui s'étoit passé le matin se répandit bientôt partout: on crut que M. de La Fontaine ne relèveroit pas de cette maladie. Quelques uns mêmes publièrent le bruit de sa mort, ce qui donna lieu à une épigramme qui fut alors répandue dans Paris; et dont le poète Linière étoit l'auteur. La voici :

Je ne jugerai de ma vie

D'un homme avant qu'il soit éteint :
Pélisson est mort en impie,

Et La Fontaine comme un saint.

Ces deux faits étoient faux. Il est vrai que M. Pélisson venoit de mourir, et que, surpris par la violence de la maladie, il mourut sans

recevoir les sacrements, parce qu'ayant différé au lendemain, il n'y eut plus de lendemain pour lui; mais il est faux de dire, à cause de cela, qu'il soit mort en impie. Ce malheur arrive tous les jours aux meilleurs chrétiens, et il peut arriver aux plus gens de bien, qui sont surpris.

Pour ce qui est de M. de La Fontaine, il ne mourut pas de cette maladie il vécut encore deux ans. Il tint la parole qu'il avoit donnée. La première fois qu'il fut en état d'assister à l'Académie, il renouvela la protestation qu'il avoit faite avant la réception du saint Viatique, et il lut à l'assemblée une paraphrase en vers francois de la prose des morts Dies ira, qu'il avoit composée pour s'entretenir de la pensée de la mort et des jugements de Dieu.

Cette conversion si éclatante d'un homme aussi connu que l'étoit M. de La Fontaine fit un bon effet sur un grand nombre de personnes d'esprit : j'en ai connu plusieurs, et je puis en nommer ici deux entre autres d'un nom célèbre, que j'eus la consolation d'assister à la mort: M. l'abbé Tallemand, traducteur des Vies de Plutarque, l'un des quarante de l'Académie françoise, qui peu de temps après me fit sa confession générale, reçut tous ses sacrements de ma main, et rendit ses derniers soupirs entre mes bras, dans des sentiments fort édifiants; et madame Deshoulières, connue par ses poésies françoises, et très respectable par les qualités de son esprit et de son cœur. Elle étoit attaquée d'une maladie de langueur, dans le temps que M. de La Fontaine étoit malade ayant appris ce qui venoit de se passer, elle m'envoya chercher, pour régler avec moi les affaires de sa conscience; ce qu'elle fit avec toute l'exactitude possible, et avec tous les sentiments les plus héroïques de piété. Je reçus sa confession générale, qu'elle fit sans aucune précipitation, dans le cours de sa maladie, qui fut longue. M. le curé de Saint-Roch lui administra le saint Viatique je lui donnai l'extrême onction, et je reçus ses derniers soupirs.

A l'égard de M. de La Fontaine, je le perdis bientôt après de vue. Il alla demeurer chez feu madame d'Hervart, sur la paroisse de SaintEustache, et mon père, qui demeuroit sur celle de Saint-Roch, étant mort quelque temps après, je quittai l'emploi de vicaire de la paroisse, et j'allai faire un voyage en province, d'où je ne suis revenu à Paris que trois ans après, pour entrer dans l'Oratoire. J'appris en province, par la gazette, la mort de M. de La Fontaine, arrivée le 13 avril 1695. A mon retour à Paris, plusieurs personnes me dirent qu'en mon absence il avoit vécu et étoit mort fort chrétiennement, et qu'après sa mort on avoit trouvé dans une de ses armoires plusieurs instruments de pénitence.

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