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Manger celles du peuple anglois
Est plus dangereux mille fois.
Bentin nous en saura que dire.
Je n'y vois pour lui point à rire,
On va lui barrer bien et beau
Le chemin aux grandes fortunes.
Dieu me garde de feu et d'eau,
De mauvais vin dans un cadeau,
D'avoir rencontres importunes,
De liseurs de vers sans répit,
De maîtresse ayant trop d'esprit,
Et de la chambre des communes!

Londondery s'en va se rendre,
Voilà ce qu'on me vient d'apprendre:
Mais dans deux jours je m'attends bien
Qu'un bruit viendra qu'il n'en est rien.
J'ai même encor certain scrupule :
Ce siége est-il un siége, ou non?
Il ressemble à l'Ascension,
Qui n'avance ni ne recule.
Jacque aura monté sa pendule
Plus d'une fois avant qu'il ait
Tous ces rebelles à souhait.
On leur a mené pères, mères,
Femmes, enfants, personnes chères,
Qu'on retient par force entassés
Comme moutons dans les fossés.
Cette troupe aux assiégés crie,
Rendez-vous, sauvez-vous la vie!
Point de nouvelle; au diantre l'un
Qui ne soit sourd. Le bruit commun
Est qu'ils n'ont plus de quoi repaître.
A la clémence de leur maître.

Ils se devroient abandonner.
Et puis, allez-moi pardonner
A cette maudite canaille.

Les gens trop bons et trop dévôts
Ne font bien souvent rien qui vaille.
Faut-il qu'un prince ait ces défauts?

C'est envoyer de l'eau à la mer que de vous écrire des réflexions. Ainsi je les laisse, pour vous assurer que je suis avec profond respect, etc.

AU MÊME.

MONSEIGNEUR,

Dans le temps qu'on alloit juger le procès de mademoiselle de La F...., un de mes amis de province me pria de lui mander ce qui en arriveroit. Je crus que de lui écrire simplement le contenu de l'arrêt, et quelque chose de ce qu'auroient dit les avocats, ce seroit ne faire que ce qu'ont fait un nombre infini de gens qui ont informé de cette affaire tout le public. Je jugerai donc à propos de la mettre en vers. Je commence par une espèce de lamentabile carmen, à la manière des anciens; et, comme l'aventure est tragi-comique, je me laisse bientôt entraîner à ma façon d'écrire ordinaire. Voici la chose telle qu'elle est. Si je l'avois écrite pour V. A. j'aurois essayé de lui donner une forme un peu differente.

Pleurez, citoyens de Paphos,

Jeux et Ris, et tous leurs suppôts:

La F.... est enfin condamnée.
Sur le fait de sou hyménée
On vient de la tympaniser.
Elle n'a qu'à se disposer

A faire une amitié nouvelle.
Que le ciel console la belle!
Et puisse-t-elle incessamment
Se pourvoir d'époux, ou d'amant,
Lequel il lui plaira d'élire!

Elle a de l'esprit, c'est tout dire;
Mais a-t-elle eu du jugement
De manquer l'accommodement ?
B.... lui promettoit monnoie.
Dos à dos la Cour les renvoie,
Après que la chose a long-temps
Eté tout d'un contraire sens.
L'arrêt, entre autres points, ordonne
Que tous deux paieront une aumône :
Mille franes la belle, et B.... ou
Mille écus, sans qu'il manque un sou
D'intérêt, pour l'état de fille
Violé dans telle famille,
Un seul denier ne se paiera;
Qui plus y mit, plus y perdra.
Pleurez, Amours, gens de Cythère:
Celle que Vénus votre mère
Gratifioit de maints beaux dons,
Va passer des jours un peu longs.
La F.... a sa cause perdue,
Après s'être bien défendue
Par la bouche des avocats,
Et, je crois, en tout autre cas.

Ces messieurs ont dit des merveilles,
Qu'elle a de ses propres oreilles
Entendu très distinctement;
Car elle étoit au jugement.
Et que diable alloit-elle y faire ?
Étoit ce chose nécessaire ?
Falloit-il là montrer son nez?
Mille brocards se sont donnés,
Bons et mauvais, de toute espèce,
Quelques uns emportant la pièce.
Un des Cicérons de ce temps
Dit force traits assez plaisants.
L'avocat général lui-même,
Avec son sérieux extrême,
Allégua devant tout Paris
L'Écriture et les cinq maris
Que gardoit la Samaritaine.
L'orateur de Cour souveraine
Fit là-dessus claquer son fouet,
Savant en amour comme en droit
C'est un dieu de sa connoissance.
Hé! pourquoi la jurisprudence
Banniroit-elle cet enfant
Qui des Catons va triomphant ?
Voit-on qu'il épargne personne ?
Il soumet jusqu'à la couronne,
J'entends la couronne des rois,
Et non celle de saint François.
Pleurez, habitants d'Amathonte :
La F...., non sans quelque honte,
A vu rompre les doux liens
Qui lui promettoient de grands biens.
Doux liens? ma foi non, beau sire.
Sur ce sujet c'est assez rire.
Je soutiens et dis hautement
Que l'hymen est bon seulement
Pour les gens de certaines classes.
Je le souffre en ceux du haut rang.
Lorsque la noblesse du sang,
L'esprit, la douceur, et les grâces

Sont joints au bien; et lit à part.
Il me faut plus à mon égard.
Et quoi? de l'argent sans affaire;
De me voir autre chose à faire,
Depuis le matin jusqu'au soir,

Que de suivre en tout mon vouloir;
Femme, de plus, assez prudente
Pour me servir de confidente.
Et quand j'aurois tout à mon choix,
J'y songerois encor deux fois.

Je vous supplie, Monseigneur, que cet ouvrage, que je vous envoie seulement pour vous divertir, demeure sub sigillo confessionis. Je vous en fais part comme je ferois à mon confesseur, bien que cet emploi ne se donne guère à un Prince du sang de votre âge. V. A. empêchera, s'il lui plaît, que cet écrit ne passe en d'autres mains que les sienDes car mademoiselle de La F.... est trop affligée; il y auroit de l'inhumanité à rire d'une affaire qui la fait pleurer si amèrement. Que si vous vou. lez que ces vers soient vus des personnes de votre cour, je vous supplie que ce soit de celles qui auront un peu de discrétion, et qui seront capables d'entrer sérieusement dans les déplaisirs d'une fille de ce nom-là.

A SON ALTESSE

MC LE DUC DE VENDOME.

1689.

PRINCE Vaillant, humain, et sage,
Avouez-nous que l'assemblage
De ces trois bonnes qualités
Vaut mieux que trois principautés.
Force grands pensent d'autre sorte:
S'ils ont raison, je m'en rapporte;
Mais je soutiens encore un point,
C'est que souvent ils ne l'ont point.
Sans traiter ici cette affaire,

Comment, Seigneur, pouvez-vous faire ?
Vous plaignez les peuples du Rhin.
D'autre côté, le souverain

Et l'intérêt de votre gloire
Vous font courir à la victoire.

Vous n'aimez que guerre et combats;
Même au sang trouvez des appas.
Rarement voit-on, ce me semble,
Guerre et pitie loger ensemble.
Aurions-nous des hôtes plus doux,
Si l'Allemagne entroit chez nous ?
J'aime mieux les Tures en campagne,
Que de voir nos vins de Champagne
Profanés par des Allemands.

Ces gens ont des hanaps trop grands;
Notre nectar veut d'autres verres.
En un mot, gardez qu'en nos terres
Le chemin ne leur soit ouvert :
Ils nous pourroient prendre sans vert.
Prendre sans vert notre monarque ]
Les conducteurs de cette barque
Y perdroient bientôt leur latin.
Lorraine eut le nez le plus fin.
Il faut se lever plus matin

Que ne font beaucoup de ces princes,
Pour pénétrer dans nos provinces.
Je vois ces héros retournés
Chez eux avec un pied de nez,
Et le protecteur des rebelles
Le cul à terre entre deux selles,
Et tout le parti protestant

Du Saint-Père en vain très content.
J'ai là-dessus un conte à faire.

L'autre jour, touchant cette affaire,
Le chevalier de Silleri,
En parlant de ce Pape-ci,
Souhaitoit, pour la paix publique,
Qu'il se fût rendu catholique,
Et le roi Jacques huguenot.
Je trouve assez bon ce bon-mot.
Louis a banni de la France
L'hérétique et très sotte engeance.
Il tenta sans beaucoup d'effort
Un si grand dessein dans l'abord:
Les esprits étoient plus dociles.
Notre roi voyant quelques villes
Sans peine à la foi se rangeant,
L'appétit lui vint en mangeant.
Les quolibets que je hasarde
Sentent un peu le corps de-garde.
Ce style est bon en temps et lieu.
Une autre fois, moyennant Dieu,
Votre Altesse me verra mettre
Du françois plus fin dans ma lettre.

Cependant d'un soin obligeant
L'abbé m'a promis quelque argent.
Amen, et le ciel le conserve!
Apollon, ses chants et sa verve,
Bacchus, et peut-être l'Amour,
L'occupent souvent tour-à-tour,
Sans compter l'hydre créancière.
Quelque jour ce sera matière
Pour lui donner, avec raison,
Autant de têtes qu'à Typhon.
Il veut accroître ma chevance.
Sur cet espoir, j'ai par avance
Quelques louis au vent jetés,
Dont je rends grâce à vos bontés.
Le reste ira sans point de faute,
(Ou bien je compte saus mon hôte :
Le paillard m'a dit aujourd'hui
Qu'il faut que je compte avec lui.
Aimez-vous cette parenthese?)
Le reste ira, ne vous déplaise,
En bas-reliefs, ET CETERA.
Ce mot ci s'interprètera

Des Jeannetons, car les Clymènes
Aux vieilles gens sont inhumaines.
Je ne vous réponds pas qu'encor
Je n'emploie un peu de votre or
A payer la brune et la blonde;
Car tout peut aimer en ce monde.
Non que j'assemble tous les jours
Barbe fleurie et les Amours.
Même dans peu votre finance
Au sacrement de pénitence
A mon égard échappera.

Pour nouvelles de par-deçà,
Nous faisons au Temple merveilles.
L'autre jour on but vingt bouteilles;
Renier en fut l'architriclin,

La nuit étant sur son déclin,
Lorsque j'eus vidé mainte coupe,

Langeamet, aussi de la troupe,
Me ramena dans mon manoir.
Je lui donnai, non le bonsoir,
Mais le bonjour la blonde Aurore
En quittant le rivage maure,
Nous avoit à table trouvés,
Nos verres pets et bien lavés,

Mais nos yeux étant un peu troubles,
Sans pourtant voir les objets doubles.
Jusqu'au point du jour en chanta,
On but, on rit, on disputa,
On raisonna sur les nouvelles :
Chacun en dit, et des plus belles.
Le grand prieur eut plus d'esprit
Qu'aucun de nous, sans contredit.
J'admirai son sens ; il fit rage:
Mais, malgré tout son beau langage
Qu'on étoit ravi d'écouter,
Nul ne s'abstint de contester.

Je dois tout respect aux Vendômes .
Mais j'irois en d'autres royaumes,
S'il leur falloit en ce moment
Céder un ciron seulement.

Je finis, et je vous souhaite
Une victoire très complete,
Chance à tous jeux, de la santé,
Non pas pour une éternité;

Je suis en mes vœux plus modeste :
Pourvu que la bonté céleste,
A vous, au grand prieur, à moi,
Donne cent ans de bon aloi,
Je serai content du partage.
Vous en méritez davantage;
Mais la raison d'un si beau lot
Ne se dit pas toute en un mot.

Ainsi je ferai fort bien de remettre la chose à une autre fois et de finir cet écrit par une protestation solennelle d'être, autant que dureront ces cent ans de vie que la Parque me doit filer, etc.

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On m'a dit tant de fois que V. A. S. étoit en chemin, et que mes lettres ne la trouveroient plus à l'armée, qu'enfin j'ai manqué l'occasion de faire partir celle-ci. En quelque lieu qu'elle vous soit présentée, je vous dirai à mon ordinaire, que les choses nous paroissent suspendues, tant en Flandre qu'aux bords du Rhin: et, rien ne réveillant les esprits, il est arrivé un changement dans la robe et dans les finances, qui nous a donné matière de raisonner.

On dormoit iei quand le Roi
Ayant ses raisons, et très sages.
Parmi les gens d'un baut emploi
A fait un vrai remu-ménage,
Et mis Harlay premièrement

A la tête du Parlement.

Il en est digne, et j'ose dire
Que Thémis en tout son empire
Trouveroit à peine aujourd'hui
Un oracle approchant de lui.
Ne plaidez qu'ayant bonne cause ;
C'est maintenant la seule chose
Qui peut faire au gain du procès.
Vous contestez avec succès
Par-devant le dieu des alarmes,
Appuyé du seul droit des armes :
Harlay règle d'autres débats,
Qù je crois vous n'excellez pas.
Ni la grandeur ni la vaillance
Ne font ineliner sa balance.
Son éloge entier iroit loin:
J'aime mieux garder avec soin
La loi que l'on se doit prescrire
D'être court, et ne pas tout dire.
Pour éviter done la longueur
Qui met les choses en langueur,
Pontchartrain règle les finances.
Si jamais j'ai des ordonnances,
Ce qui n'est pas près d'arriver,
Il saura du moins me sauver
Le chagrin d'une longue attente,
Et lira d'abord ma patente.
Homme n'est plus expéditif,
Mieux instruit, ni plus inventif,
Talents aujourd'hui nécessaires,
La Briffe est chargé des affaires
Du public et du souverain.
Au gré de tous il sut enfin
Débrouiller ce cabos de dettes
Qu'un maudit compteur avoit faites.
Ce n'est pas là le seul essai

Qui le rend successeur d'Harlay.
Ce poste, avec celui qu'il quitte,
Demandoit un ample mérite
Au sujet qu'on a placé là.
Hardi quiconque le suivra !
Non que Louis par sa sagesse
Ne puisse en conserver l'espèce:
Tout le bien que j'ai dit d'autrui
Retombe à juste droit sur lui.

Comme j'étois près de fermer ma lettre, on a écrit ici de Versailles que le Roi avoit donné la qualité de ministre à M. de Seignelay. Je ne vois personne qui n'en témoigne beaucoup de joie.

Il doit ce nouvel ornement
A son mérite seulement.
Ses soins, dignes que la fortune
Avec eux veuille concourir,
Sauront bientôt partout offrir
L'abondance en ces lieux commune;

Sur nos deux mers nos matelots,
Quelque inconstants que soient les flots,
Sauront ménager pour nos voiles
L'aide des vents et des étoiles.
Ne doutez point qu'en son emploi
Redoublant ses soins et son zèle,
Sous la conduite de son roi
Le nouveau ministre n'excelle.
N'avons-nous pas vu de nos bords
Une double flotte réduite,
Et se renfermer dans ses ports,
Mettant son salut dans sa fuite?
Le travail y croit, j'en conviens;
Mais tels maux en Cour sont des biens,

Et Seignelay peut suflire.

On le voit sur le-champ écrire

Touchant des points très importants,
Mieux que moi, Seigneur, c'est peu dire :
Mieux qu'aucun écrivain du temps.
Pour passer à d'autres matières,
Vous saurez qu'on m'a dit naguères
Que cet hiver-ci l'opéra

A Rome se rétablira.

Cela me semble un bon augure
En la présente conjoncture,
Et commence à sentir la paix :
Je ne pense pas qu'elle échappe

Aux premiers soins du nouveau Pape.
Si le Saint-Esprit mit jamais
Quelqu'on au trône de saint Pierre
Pour qui le démon de la guerre
Eut de la crainte et du respect,
C'est Alexandre; car, sans dire
Qu'à nul état il n'est suspect,
Il a tout ce que l'on desire,
Expérience, fermeté,
Justice, et sagesse profonde;
L'Olympe interpose au traité
La première tête du monde
En bon sens comme en dignité.
Dès à présent Sa Sainteté

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S'en va cet ouvrage entreprendre.
O paix! ne te fais point attendre.
Veux-tu que pour toi l'univers
Soupire encore deux hivers!
Fille du ciel et d'Alexandre,
Car je te garde tous ces noms,
Renvoie au Nord les aquilons:
Fais qu'avec eux Mars se retire
Faisant place à Flore, à Zéphyre.
Citer ces dieux, me va-t-on dire,
En parlant du Pape, est-il bien ?
Non, mais l'art des poètes n'est rien ;
Leurs discours n'ont beauté ni grace,
Sans ce langage du Parnasse.
Qu'Apollon s'exprime en païen,
Trouve t-on cela fort étrange?
Pour bannir pourtant ce mélange,
Et parler du Pape en chrétien,
Souhaitons que Dieu l'illumine,
Et que la paix, par son moyen,
Vers les fidèles s'achemine,
Avec l'assistance divine
Qu'un jubilé procurera.
Des que le poète lui verra
Réunir la chose publique,
D'ici sans peine il partira,
Et les vers il entonnera

De Siméon dans son cantique :
Mais il veut vivre juque-là.

Vous allez me faire encore une autre objec tion, elle est d'une nature à venir de vous; c'est que la France ne m'a pas donné charge de faire des vœux pour la paix avec tant d'empressement. Est-ce l'intérêt de la France qui vous fait aller braver les hasards, ou si c'est celui de votre gloire? Je ne démêle pas bien la chose. Peutêtre même y va-t-il de votre plaisir ce que je n'ose presque penser, nec tibi tam dira cupido. Cependant vous autres héros seriez bien fâchés qu'on vous laissât vivre tranquillement. Comme si la vie n'étoit rien, et que sans elle la gloire fût quelque chose! Vous croyez être demeurés au coin du feu, à moins que vous ne vous alliez brûler sur

le mont Oéta, de même que fit Hercule. Pour vous répondre sur tous ces points, je vous dirai que non pas la France, mais l'Europe entière ne peut que perdre à une guerre comme celle-ci. Et à votre égard, Monseigneur, ne vous alarmez pas si tôt de ce mot de paix elle est tellement difficile à faire, qu'il est malaisé qu'Alexandre VIII nous la donne dès son avènement au pontificat: Eia sudabit satis. Auquel cas j'ai dans l'esprit que plus vous auriez de part au projet, et mieux nous nous trouverions des assistances de la fortune. Si Jupiter recueilloit les voix (j'en reviens toujours à mon style poétique, et à quelque chose encore de plus chatouilleux; il n'est pas besoin que je m'explique ici davantage, vous voyez déjà où j'en veux venir), votre esprit et votre valeur auroient une ample matière de s'exercer. Nous en parlions il y a deux jours, du Vivier et moi. Il me pria de vous assurer de ses très humbles respects. Nous fimes des vœux très particuliers en votre faveur. Ils n'étoient ouis que de quelques idoles chinoises, et du destin qui apparemment les exaucera; car je n'y vois rien que de raisonnable. Pour peu que je vive encore, je pourrai vous entendre dire: Et quorum pars magna fui. Ce seroit dommage que je mourusse avant l'accomplissement de ma prophétie : non qu'on eût besoin de moi pour célébrer votre gloire; mais j'exciterois à le faire les Malherbes et les Voitures. Y a-t-il encore au monde des Voitures et des Malherbes? Bonnes gens, je ne vous puis voir, comme dit maître François dans son livre. Si je ne réponds de beaucoup de capacité pour ma part, je réponds au moins de beaucoup de zèle, étant avec autant de passion que de profondeur de respect, etc.

A MONSIEUR

LE CHEVALIER DE SILLERI.

Ce 25 août 1692.

JAMAIS nos combattants n'ont été si hardis:
Nos moindres fantassins sont autant d'Amadis.
La présence du Roi, ses ordres, son exemple....
Quel Roi! c'est aux neuf Sœurs de lui bâtir un temple:
Mon art ne suffit pas pour de si hauts projets.
Les soins, dis je, du Prince animant ses sujets,
On prend des murs. Quels murs! vrais remparts de la
Flandre,

Qu'un autre que Louis seroit dix ans à prendre.
Ah! si le ciel vouloit que nous eussions le tout!
Quel pays! vous voyez ses défenseurs à bout.
Je n'en dirai pas plus: notre Roi n'aime guères
Qu'on raisonne sur ces matières.

Voilà bien des queis entassés les uns sur les autres, et une figure bien répétée, si faut-il pourtant l'employer encore sur ce qui regarde monsieur le Duc.

Quel Prince! Nous savons qu'il s'est trouvé partout: Que, dédaignant le bruit d'une valeur commune,

Il s'est distingué jusqu'au bout; Que Francœur, Jolicœur, Jolibois, la Fortune, Grenadiers, gens sans peur, vrais suppôts de Césars, Avec moins de plaisir s'exposent aux hasards. Tel on voit qu'un lion, roi de l'ardente plage, De sang et de meurtre ahéré, Porte sur les chasseurs un regard assuré, Et les fait du péril entrer tous en partage. Je change en cet endroit de style et de langage. Ne vous semble-t-il pas que je m'en suis tire Ainsi qu'un voyageur en des bois égaré ?

Il faut reprendre nos brisées.

Les Muses ne sont pas sur ce Prince épuisées.
Quel plaisir pour celui dont il reçut le jour !
Le bon sens et l'esprit, conducteurs du courage,
Sont des Condés enfiu l'ordinaire apanage.
Moi, j'en tiens cent louis: chacun m'en fait la cour.
Il a déifié ma veine:

Mes soins en valoient-ils la peine?

Il ne s'en faut point étonner

Que ne lui vit-on pas donner

Dans le temps qu'il tint cour plénière
Pour une fête singulière ?

Chantilly fut la scène, objet délicieux.

Sans que tout fût parfait, chacun fit de son mieux.
Tous rapportèrent de ces lieux

De grosses et notables sommes,
Il a payé comme les dieux

Ce qu'ils ont fait comme des hommes.

Il n'est bruit ici que de votre Prince. Tout le monde lui attribue l'avantage que nous avons remporté au combat de Steinkerque. C'est là un fort beau sujet de poème : le caractère du héros, l'action, et les circonstances; il n'y man. que rien que le bon Homère ou le bon Virgile, si vous voulez ; car, pour votre poète, il ne faut plus vous y attendre; je suis épuisé, usé, sans nul feu, et ne sais comme j'ai pu tirer de ma tête ces derniers vers. Quand je dis que je suis sans feu, c'est de celui qui a fait les Fables et les Contes que je veux parler; car d'ailleurs, je ne suis pas avec moins d'ardeur que j'étois il y a dix ans, Monsieur, votre très humble et très obéisrant serviteur et poète.

P. S. Ces vers ont été commencés incontinent après la prise de Namur, et avant les dernières actions de monsieur le Duc. Je les ai continués sur ce plan car, que ce Prince me constitue toujours en de nouveaux frais par de nouveaux té moignages de sa valeur, ni moi à l'âge de vingtcinq ans, ni tête d'homme n'y suffiroient.

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me dispensez de vous en faire d'autres à l'avenir : c'est là tout-à-fait mon compte. Je n'ai nullement le caractère de Bastien le remontreur: c'est un quolibet. Cependant délivrez-moi le plus tôt que vous pourrez de l'inquiétude où je suis touchant le retour de votre époux; car je n'en dors point. Cela et mes rhumes me vont jeter dans une insomnie qui durera jusqu'à ce que vous soyez à Paris. Joignez à tous ces ennemis du sommeil (ceci est dit poétiquement) l'amitié violente que j'ai pour vous, et vous trouverez beaucoup de nuits où j'aurai le temps de m'occuper du souvenir de vos charmes, et de bâtir des châteaux. J'accepte. Madame, les perdrix, le vin de Champagne, et les poulardes, avec une chambre chez M. le marquis de Sablé, pourvu que cette chambre soit à Paris. J'accepte aussi les honnêtetés, la bonne conversation, et la politesse de M. l'abbé de Servient, et de votre ami. En un mot, j'accepte tout ce qui donne bien du plaisir; et vous en êtes toute pétrie. Mais j'en viens toujours à ce diable de mari, qui est pourtant un fort honnête homme. Ne nous laissons point surprendre. Je meurs de peur que nous ne le voyions sans nous y attendre, comme le larron de l'Évangile. Évitons cela, je vous supplie, et si nous pouvons; car je ne suis pas un répondant trop sûr de son fait, non plus que madame ***, dont je me suis porté pour caution envers un époux qui est quelquefois un peu mutin. Vous paierez de caresses pleines de charmes : mais moi, de quoi paieraije? Adieu, Madame, aimez-moi toujours, et me maintenez dans les bonnes grâces des deux frères. Qui a tâté d'eux un moment sans plus, ne s'en peut passer qu'avec une peine à laquelle je renonce de tout mon cœur.

J'ai vu mademoiselle Thérèse, qui m'a semblé d'une beauté et d'un teint au-dessus de toutes choses. Il n'y a que la fierté qui m'en choque. Ne vous êtes-vous pas aperçue que votre fille étoit une fière petite peste? Je la verrai encore aujourd'hui, s'il plaît à Dieu.

Ne nous laissons pas surprendre, je vous en prie. Je m'informerai ; mais qui diantre sait précisément quand on reviendra? Les jours vous sont des moments en la compagnie des deux frères, et ils me sont des semaines en votre absence. Ne vous étonnez donc pas si je crie si haut, et si je rebats toujours une même note.

A LA MÊME.

J'AI reçu, Madame, une de vos lettres, qui est sans date. Elle est si pleine de tendresse à mon égard, et de toutes choses qui me doivent être infiniment agréables, que je voudrois en retenir une que je vous écrivis il y a dix jours,

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