La pension (1) qu'il veut que je lui donne. En bonne foi, je ne sache personne A qui Phébus s'engageât aujourd'hui De la donner plus volontiers qu'à lui. Son souvenir, qui me comble de joie, Sera payé tout en belle monnoie
De madrigaux, d'ouvrages ayant cours. (Cela s'entend sans manquer de deux jours Aux termes pris, ainsi que je l'espère.) Cette monnoie est sans doute légère, Et maintenant peu la savent priser; Mais c'est un fonds qu'on ne peut épuiser. Plût aux destins, amis de cet empire, Que de l'épargne on en pût autant dire! J'offre ce fonds avec affection;
Car, après tout, quelle autre pension Aux demi dieux pourroit être assignée ? Pour acquitter celle-ci chaque année, Il me faudra quatre termes égaux. A la Saint-Jean je promets madrigaux, Courts et troussés, et de taille mignonne : Longue lecture en été n'est pas bonne. Le chef d'octobre aura son tour après; Ma muse alors prétend se mettre en frais : Notre héros, si le beau temps ne change, De menus vers aura pleine vendange.
Ne dites point que c'est menu présent. Vienne l'an neuf, ballade est destinée: Qui rit ce jour, il rit toute l'année. Or la ballade a cela, ce dit-on, Qu'elle fait rire, ou ne vaut un bouton. Pâques, jour saint, veut autre poésie : J'enverrai lors, si Dieu me prête vie, Pour achever toute la pension, Quelque sonnet plein de dévotion. Ce terme-là pourroit être le pire: On me voit peu sur tels sujets écrire; Mais tout au moins je serai diligent; Et si j'y manque envoyez un sergent; Faites saisir, sans aucune remise, Stances, rondeaux, et vers de toute guise : Ce sont nos biens: les doctes nourrissons N'amassent rien, si ce n'est des chansons. Ne pouvant donc présenter autre chose, Qu'à son plaisir le héros en dispose, Vous lui direz qu'un peu de son esprit Me viendroit bien pour polir chaque écrit. Quoi qu'il en soit, je me fais fort de quatre; Et je prétends, sans un seul en rabattre, Qu'au bout de l'an le compte y soit entier: Deux en six mois, un par chaque quartier. Pour sûreté, j'oblige par promesse
(1) M. Fouquet, surintendant des finances, ayant dit que je lui devois donner pension pour le soin qu'il prenoit de faire valoir mes vers, j'envoyai quelques temps après cette épître à madame Fouquet.
Le bien que j'ai sur le bord du Permesse ; Même au besoin notre ami Pélisson Me pleigera d'un couplet de chanson: Chanson de lui tient lieu de longue épître ; Car il en est sur un autre chapitre. Bien nous en prend; nul de nous n'est faché Qu'il soit ailleurs jour et nuit empêché.
A mon égard, je juge nécessaire
De n'avoir plus sur les bras qu'une affaire; C'est celle-ci. J'ai done intention De retrancher toute autre pension: Celle d'Iris même ; c'est tout vous dire. Elle aura beau me conjurer d'écrire ; En lui payant pour ses menus plaisirs, Par an, trois cent soixante et cinq soupirs (C'est un par jour, la somme est assez grande), Je n'entends point après qu'elle demande Lettre ni vers, protestant de bon cœur Que tout sera gardé pour monseigneur.
A MADAME FOUQUET.
COMME je vois monseigneur votre époux Moins de loisir qu'homme qui soit en France, Au lieu de lui puis-je payer à vous? Seroit-ce assez d'avoir votre quittance? Oui ? je le crois; rien ne tient en balance Sur ce point-là mon esprit soucieux. Je voudrois bien faire un don précieux: Mais si mes vers ont l'honneur de vous plaire, Sur ce papier promenez vos beaux yeux. En puissiez-vous dans cent ans autant faire! Je viens de Vaux, sachant bien que sur tous
Les muses font en ce lieu résidence; Si leur ai dit, en ployant les genoux : Mes vers voudroient faire la révérence A deux soleils de votre connoissance,
Qui sont plus beaux, plus clairs, plus radieux Que celui-là qui loge dans les cieux; Partant, vous faut agir dans cette affaire, Non par acquit, mais de tout votre mieux. En puissiez-vous dans cent ans autant faire ! Lune des neuf m'a dit d'un ton fort doux (Et c'est Clio, j'en ai quelque croyance) : Espérez bien de ses yeux et de nous. J'ai cru la muse; et sur cette assurance J'ai fait ces vers, tout rempli d'espérance. Commandez donc en termes grâcieux Que, sans tarder, d'un soin officieux, Celui des Ris qu'avez pour secrétaire M'en expédie un acquit glorieux.
En puissiez-vous dans cept ans autant faire!
Reine des cœurs, objet délicieux, Que suit l'enfant qu'on adore en des lieux Nommés Paphos, Amathonte et Cythère, Vous qui charmez les hommes et les dieux, En puissiez-vous dans ceut ans autant faire!
Je n'ai pas gardé la quittance, parce que je n'ai pas cru qu'elle le valût. Mais si je m'en sou viens, elle étoit à peu près telle:
QUITTANCE PUBLIQUE,
PAR-DEVANT moi, sur Parnasse Notaire, Se présenta la Reine des beautés, Et des vertus le parfait exemplaire, Qui lut ces vers, puis les ayant comptés, Pesés, revus, approuvés et vantés, Pour le passé voulut s'en satisfaire ; Se réservant le tribut ordinaire, Pour l'avenir aux termes arrêtés. Muses de Vaux et vous leur secrétaire, Voilà l'acquit tel que vous souhaitez : En puissiez vous en cent ans autant faire! QUITTANCE SOUS SEING PRIVÉ
DE LA SURINTENDANTE.
TROIS fois dix vers, et puis cinq d'ajoutés, Sans point d'abus, c'est ma tâche complète; Mais le mal est qu'ils ne sont pas comptés. Par quelque bout il faut que je m'y mette: Puis, que jamais ballade je promette, Dussé-je entrer au fin fond d'une tour, Nenni, ma foi, car je suis déjà court; Si que je crains que n'ayez rien du nôtre. Quand il s'agit de mettre une œuvre au jour, Promettre est un, et tenir est un autre. Sur ce refrain, de grâce, permettez Que je vous conte en vers une sorrette.
Colin, venant des universités,
Promit un jour cent francs à Guillemette. De quatre-vingts il trompa la fillette, Qui, de dépit, lui dit pour faire court: Vous y viendrez cuire dans notre four! Colin répond, faisant le bon apôtre : Ne vous fachez, belle; car, en amour, Promettre est un, et tenir est un autre.
Sans y penser j'ai vingt vers ajustés, Et la besogne est plus d'à demi faite. Cherchons-en treize encor de tous côtés, Puis ma ballade est entière et parfaite. Pour faire tant que l'ayez toute nette, Je suis en eau, tant que j'ai l'esprit lourd; Et n'ai rien fait, si par quelque bon tour Je ne fabrique encore un vers en ôtre; Car vous pourriez me dire à votre tour: Prometire est un, et tenir est un autre.
O vous, l'honneur de ce mortel séjour, Ce n'est pas d'hui que ce proverbe court; On ne l'a fait de mon temps ni du vôtre : Trop bien savez qu'en langage de cour Promettre est un, et tenir est un autre.
Comme j'étois sur le point d'envoyer le terme de la Saint-Jean, l'on m'a mandé que M. de Mézière s'en venoit à Vaux en diligence, et que madame la maréchale d'Aumont y devoit aussi amener mademoiselle sa fille ; que là ils s'épouseroient aussitôt, et que ce mariage avoit été conclu si soudainement, que les parties ne se doutoient quasi pas du sujet de leur voyage. J'aurois bien voulu pouvoir témoigner, par quelque chose de poli, le zèle que j'ai pour les deux familles; mais j'ai cru que l'épithalame ne devoit pas être plus prémédité que l'hyménée, et qu'il falloit que tout se sentit de la soudaineté avec laquelle monseigneur le Surintendant entreprend et exécute la plupart des choses. Je me suis donc contenté d'ajouter au terme ce Madrigal :
Belle d'AUMONT, et vous, MÉZIÈRE, Quand je regarde la manière
Dont vous vous mariez, l'un venant de la cour, Et l'autre de Paris, ou bien de la frontière, J'appelle votre hymen un impromptu d'amour.
Avec le temps vous en ferez bien d'autres, Et nous en pourrons voir dans neuf mois, plus un jour, Un de votre façon qui vaudra tous les nôtres.
LE MARIAGE DU ROI.
SUJET DONNÉ POUR LE TROISIÈME TERME.
DAME Bellone, ayant plié bagage, Est en Suède avec Mars son amant. Laissons-les là; ce n'est pas grand dommage : Tout bon François s'en console aisément. Ja n'en battrai ma femme, assurément. Car que me chaut si le Nord s'entrepille, Et si Bellone est mal avec la cour? J'aime mieux voir Vénus et sa famille, Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour.
Le seul espoir restoit pour tout potage; Nous en vivions, encor bien maigrement, Lorsqu'en traités Jules ayant fait rage, A chassé Mars, ce mauvais garnement. Avecque nous, si l'almanach ne ment, Les Castillans n'auront plus de castille; Même au printemps on doit de leur séjour Nous envoyer, avee certaine fille, Les Jeux, les Ris, les Graces et l'Amour. On sait qu'elle est d'un très puissant lignage, Pleine d'esprit, d'un entretien charmant, Prudente, accorte, et surtout belle et sage; Et l'empereur y pense aucunement, Mais ce n'est pas un morceau d'Allemand; Car en attraits sa personne fourmille; Et ce jeune astre, aussi beau que le jour, A pour sa dot, outre un métal qui brille, Les Jeux, les Ris, les Graces et l'Amour.
Prince amoureux de dame si gentille, Si tu veux faire à la France un bon tour, Avec l'infante enlève à la Castille
Les Jeux, les Ris, les Grâces et l'Amour.
Je devois donner des madrigaux en d'autres temps, et voici ce que j'envoyai pour un de ces
EN SUITE DE LA BALLADE PRÉCÉDENTE.
ILS sont partis les Jeux, les Ris, les Grâces: Nous les verrons au temps que j'ai prédit. Le dieu d'amour, qui marche sur leurs traces, De les compter l'autre jour entreprit :
Sont-ils méchants, tant moindre en est la somme, Et tant plutôt on s'en doit contenter.
LE noir démon des combats
Va quitter cette contrée ;
Nous reverrons ici-bas Régner la déesse Astrée.
La paix, sœur du doux repos,
que Jules va conclure,
Fait déjà refleurir Vaux; Dont je tire un bon augure.
S'il tient ce qu'il a promis, Et qu'un heureux mariage Rende nos rois bons amis. Je ne plains pas son voyage. Le plus grand de mes souhaits Est de voir, avant les roses, L'infante avec que la paix; Car ce sont deux belles choses.
O paix, infante des cieux, Toi que tout heur accompagne, Viens vite embellir ces lieux Avec l'infante d'Espagne. Chasse des soldats gloutons La troupe fière et hagarde, Qui mange tous nos moutons, Et bat celui qui les garde.
Délivre ce beau séjour De leur brutale furie ; Et ne permets qu'à l'Amour D'entrer dans la bergerie. Fais qu'avecque le berger On puisse voir la bergère, Qui coure d'un pied léger,
Qui danse sur la fougère,
Et qui, du berger tremblant Voyant le de peu courage, S'endorme, ou fasse semblant De s'endormir à l'ombrage. O paix, source de tout bien, Viens enrichir cette terre, Et fais qu'il n'y reste rien Des images de la guerre. Accorde à nos longs désirs De plus douces destinées, Ramène-nous les plaisirs Absents depuis tant d'années.
DUSSE JE une fois vous déplaire, Seigneur, je ne me saurois taire. Celui qui, plein d'affection, Vous promet une pension Bien payable et bien assignée
A tous les quartiers de l'année, Qui, pour tenir ce qu'il promet, Va souvent au sacré sommet, Et, n'épargnant aucune peine, Y dort après tout d'une baleine Huit ou dix heures réglément, Pour l'amour de vous seulement, J'entends à la bonne mesure, Et de cela je vous assure; Celui-là, dis-je, a contre vous Un juste sujet de courroux. L'autre jour, étant en affaire, Et le jugeant peu nécessaire, Vous ne daignâtes recevoir Le tribut qu'il croit vous devoir D'une profonde révérence.
Il fallut prendre patience, Attendre une heure, et puis partir. J'eus le cœur gros, sans vous mentir, Un demi-jour, pas davantage; Car enfin ce seroit dommage Que, prenant trop mon intérêt, Vous en crussiez plus qu'il n'en est.
Comme on ne doit tromper personne, Et que votre ame est tendre et bonne, Vous m'iriez plaindre un peu trop fort, Si, vous mandant mon déconfort, Je ne contois au vrai l'histoire ; Peut être même iriez-vous croire Que je souhaite le trépas
Cent fois le jour, ce qui n'est pas. Je me console, et vous excuse: Car après tout on en abuse; On se bat à qui vous aura. Je crois qu'il vous arrivera
Choses dont aux courts jours se plaignent Moines d'Orbais, et surtout craignent, C'est qu'à la fin vous n'aurez pas Loisir de prendre vos repas. Le roi, l'état, votre patrie, Partagent toute votre vie;
Rien n'est pour vous, tout est pour eux. Bon Dieu que l'on est malheureux Quand on est si grand personnage ! Seigneur, vous êtes bon et sage, Et je serois trop familier Si je faisois le conseiller. A jouir pourtant de vous-même Vous auriez un plaisir extrême : Renvoyez donc en certains temps Tous les traités, tous les traitants, Les requêtes, les ordonnances, Le parlement et les finances, Le vain murmure des frondeurs, Mais plus que tous les demandeurs, La cour, la paix, le mariage, Et la dépense du voyage, Qui rend nos coffres épuisés, Et nos guerriers les bras croisés. Renvoyez, dis-je, cette troupe, Qu'on ne vit jamais sur la croupe Du mont où les savantes sœurs Tiennent boutique de douceurs. Mais que pour les amants des Muses Votre suisse n'ait point d'excuses, Et moins pour moi que pour pas un : Je ne serai pas importun;
Je prendrai votre heure et la mienne. Si je vois qu'on vous entretienne, J'attendrai fort paisiblement En ce superbe appartement Où l'on a fait d'étrange terre, Depuis peu, venir à grand'erre (Non sans travail et quelques frais Des rois Céphrim et Kiopès
Le cercueil, la tombe, ou la bière: Pour les rois, ils sont en poussière. C'est là que j'en voulois venir.
Il me fallut entretenir
Avec ces monuments antiques,
Pendant qu'aux affaires publiques
Vous donniez tout votre loisir. Certes j'y pris un grand plaisir. Vous semble-t-il pas que l'image D'un assez galant per sonnage
Sert à ces tombeaux d'ornement? Pour vous en parler franchement, Je ne puis m'empêcher d'en rire. Messire Orus, me mis-je à dire, Vous nous rendez tous ébahis: Les enfants de votre pays Ont, ce me semble, des bavettes Que je trouve plaisamment faites. On m'eût expliqué tout cela; Mais il fallut partir de là Sans entendre l'allégorie. Je quittai donc la galerie,
Fort content, parmi mon chagrin, De Kiopès et de Céphrim, D'Orus, et de tout son lignage, Et de maint autre personnage. Puissent ceux d'Égypte en ces lieux, Fussent-ils rois, fussent-ils dieux. Sans violence et sans contrainte, Se reposer dessus leur plinthe Jusques au bout du genre humain! Ils ont fait assez de chemin Pour des personnes de leur taille. Et vous, seigneur, pour qui travaille Le temps qui peut tout consumer, Vous, que s'efforce de charmer L'antiquité qu'on idolâtre, Pour qui le dieu de Cléopâtre, Sous nos murs enfin abordé, Vient de Memphis à Saint-Mandé, Puissiez-vous voir ces belles choses Pendant mille moissons de roses! Mille moissons, c'est un peu trop; Car nos ans s'en vont au galop, Jamais à petites journées. Hélas! les belles destinées Ne devroient aller que le pas. Mais quoi le ciel ne le veut pas. Toute ame illustre s'en console, Et, pendant que l'âge s'envole Tâche d'acquérir un renom Qui fait encor vivre le nom
Quand le héros n'est plus que cendre.
Témoin celui qu'eut Alexandre,
Et celui du fils d'Osiris,
Qui va revivre dans Paris.
A MADAME FOUQUET
SUR LA NAISSANCE DE SON DERNIER FILS A FONTAINEBLEAU.
Vous avez fait des poupons le héros, Et l'avez fait sur un très bon modèle.
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