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Que c'est par eux qu'Amour s'introduit dans les cœurs.
Pourquoi leur reprocher les pleurs?
Il ne faut donc pas qu'on soupire?

Mais tous les deux sont bons; Belle-Bouche a grand tort:
Il est des larmes de transport;

Il est des soupirs, au contraire, Qui fort souvent ne disent rien. Belle-Bouche n'entend pas bien Pour cette fois-là son affaire.

Qu'elle se taise, au nom des dieux,

Des appas qui lui sont départis par les cieux.
Qu'a-t-elle sur ce point qui nous soit comparable?
Nous savons plaire en cent façons;

Par l'éclat, la douceur, et cet art admirable
De tendre aux cœurs des hameçons.
Belle-Bouche le blâme, et nous en faisons gloire.
Si l'on tient d'elle une victoire,
On en tient cent de nous ; et pour une chanson

Où Belle-Bouche est en renom,
Beaux-Yeux le sont en plus de mille.

La cour, le Parnasse et la ville,

Ne retentissent tout le jour

Que du mot de Beaux-Yeux et de celui d'Amour.
Dès que nous paraissons, chacun nous rend les armes.
Quiconque nous appelleroit
Enchanteurs, il ne mentiroit,

Tant est prompt l'effet de nos charmes. Sous un masque trompeur leur éclat fait si bien, Que maint objet tel quel, en plus d'une rencontre, Par ce moyen passe à la montre.

On demande qui c'est, et souvent ce n'est rien: Cependant Beaux-Yeux sont la cause

Qu'on prend ce rien pour quelque chose.
Belle-Bouche dit, J'aime ; et le disons-nous pas ?
Sans aucun bruit, notre langage,
Muet qu'il est, plaît davantage

Que ces perles, ce chant et ces autres appas
Avec quoi Belle-Bouche engage.
L'avocat des Beaux-Yeux fit sa péroraison
Des regards d'une intervenante.
Cette belle approcha d'une façon charmante;

Puis il dit en changeant de ton:
J'amuse ici la cour par des discours frivoles ;
Ai-je besoin d'autres paroles

Que des yeux de Phylis? Juge, regardez-les, prononcez votre sentence:

Puis

Nous gagnerons notre procès.

Phylis eut quelque honte, et puis sur l'assistance Répandit des regards si remplis d'éloquence,

Que les papiers tomboient des mains. Frappé de ces charmes soudains, L'auditoire inclinoit pour Beaux-Yeux dans son ame. Belle-Bouche, en faveur des regards de la dame. Voyant que les esprits s'alloient préoccupant, Prit la parole, et dit: A cete rhétorique Dont Beaux-Yeux vont ainsi les juges corrompant, Je ne veux opposer qu'un seul mot pour réplique. La nuit mon emploi dure encor : Beaux-Yeux sont lors de peu d'usage:

royes!

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On les laisse en repos, et leur muet langage Fait un assez froid personnage.

Chacun en demeura d'accord.

Cette raison régla la chose;

On préféra Belle-Bouche à Beaux-Yeux: En quelques chefs pourtant ils eurent gain de cause. Belle-Bouche baisa le juge de son mieux.

BALLADE

SUR LE REFUS QUE FIRENT LES AUGUSTINS DE PRÊTER LEUR INTERROGATOIRE DEVANT MESSIEURS, EN 1658.

Aux Augustins, sans alarmer la ville,
On fut hier soir; mais le cas n'alla bien.
L'huissier, voyant de cailloux une pile,
Crut qu'ils n'étoient mis là pour aucun bien.
Très sage fut; car avec doux maintien,
Il dit: Ouvrez; faut-il tant vous requerre?
Qu'est-ce ceci? Sommes nous à la guerre ?
Messieurs sont seuls; ouvrez, et croyez-moi.
Messieurs, dit l'autre, en ce lieu n'ont que querre ;
Les Augustins sont serviteurs du Roi.

Dea (répond l'un de Messieurs fort habile,
Conseiller clerc, et surtout bon chrétien),
Vous êtes troupe en ce monde inutile;
Le tronc vous perd depuis ne sais combien ;
Vous vous battez, faisant un bruit de chien.
D'où vient cela? Parlez; qu'on ne vous serre:
Car, que soyez de Paris ou d'Auxerre,
Il faut subir cette commune loi;

Et, n'en déplaise aux suppôts de saint Pierre, Les Augustins sont serviteurs du Roi.

Lors un d'entre eux (que ce soit Pierre ou Gille
Il ne m'en chaut, car le nom n'y fait rien),
Vraiment, dit-il, voilà bel évangile ;
C'est bien à vous de régler notre bien.
Que le tronc serve à l'autel de soutien,
On qu'on le vide afin d'emplir le verre,
Le parlement n'a droit de s'en enquerre;
Et je maintiens, comme article de foi,
Qu'en débridant matines à grand' erre
Les Augustins sont serviteurs du Roi.

ENVOI

Sage héros, ainsi dit frère Pierre.

La cour lui taille un beau pourpoint de pierre ;
Et dedans peu me semble que je voi
Que, sur la mer ainsi que sur la terre,
Les Augustins sont serviteurs du Roi.

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Ton serviteur, qui Jean se nomme, Dira le reste une autre fois.

IMITATION

D'UN LIVRE INTITULÉ

LES ARRÊTS D'AMOUR.

Les gens tenant le parlement d'Amours Informoient, pendant les grands jours, D'aucuns abus commis en l'île de Cythère. Par-devant eux se plaint un amant maltraité, Disant que de long-temps il s'efforce de plaire

A certaine ingrate beauté:
Qu'il a donné des sérénades,
Des concerts et des promenades;
Item, mainte collation,
Maint bal et mainte comédie;

A consacré le plus beau de sa vie
A l'objet de sa passion;

S'est tourmenté le corps et l'ame,

Sans pouvoir obliger la dame

A payer seulement d'un souris son amour.

Partant, conclut que cette belle

Soit condamnée à l'aimer à son tour.
Fut allégué d'autre part à la cour

Que plus la dame étoit cruelle,
Plus elle avoit d'embonpoint et d'attraits;
Que, perdant ses appas, Amour perduit ses traits,
Qu'il avoit intérêt au repos de son ame;

Que quand on a le cœur en flamme
Le teint n'en est jamais si frais;

Qu'il étoit à propos pour la grandeur du prince
Qu'elle traitât ainsi toute cette province,
Fit mille soupirants sans faire un bienheureux,
Dormit à son plaisir, conservât tous ses charmes,
Augmentât les tributs de l'empire amoureux,

Qui sont les soupirs et les larmes ;
Que souffrir tel procès étoit un grand abus;
Et que le cas méritoit une amende :
Concluant, pour le surplus,

Au renvoi de la demande.
Le procureur d'Amours intervint là-dessus,

Et conclut aussi pour la belle.

La cour, leurs moyens entendus,
La renvoya, permis d'être cruelle,
Avec dépens, et tout ce qui s'ensuit.

Cet arrêt fit un peu de bruit
Parmi les gens de la province.

La raison de douter étoit tous les cadeaux,
Bijoux donnés, et des plus beaux.

Qui prend se vend; mais l'intérêt du prince,
Souvent plus fort qu'aucune lois,
L'emporta de quatre ou cinq voix.

ÉPITHALAME

EN FORME DE CENTURIE.

APRÈS festin, rapt, puis guerre intestine, Rude combat en chan clos, quoiqu'à nu, Point d'assistants, blessure clandestine, Fille damnée, et le vainqueur vaincu.

ODE ANACREONTIQUE.

A MADAME LA SURINTENDANTE, sur ce qu'elle eST ACCOUCHÉE, AVANT TERME, DANS LE CARROSSE, EN REVENANT DE TOULOUSE.

PUIS-JE ramentevoir l'accident, plein d'ennui,
Dont le bruit en nos cœurs mit tant d'inquiétudes ?
Aurai-je bonne grâce à blâmer aujourd'hui
Carrosses en relais, chirurgiens un peu rudes?
Falloit-il que votre œuvre imparfait fût laissé ?
Ne le deviez-vous pas rapporter de Toulouse ?
A quoi songeoit l'amour qui l'avoit commencé,
Et sont-ce là des traits de véritable épouse?

Ne quittant qu'avec peine un mari, par trop cher,
Et le voyant partir pour un si long voyage,
Vous le voulûtes suivre, il ne put l'empêcher;
De vos chastes amours vous lui dûtes ce gage.
Dites-nous s'il devoit être fille ou garçon,

Et si c'est d'un Amour, ou si c'est d'une Grâce
Que vous avez perdu l'étoffe et la façon,
A quelque autre poupon laissant libre la place?
Pour tous les fruits d'hymen qui sont sur le métier,
Carrosses en relais sont méchante voiture.
Votre poupon, au moins, devoit avoir quartier:
Il étoit digne, hélas ! de plus douce aventure.
Vous l'auriez achevé sans qu'il 'y manquât rien,
De Grâces et d'Amours étant bonne ouvrière.
Dieu ne l'a pas voulu peut-être pour un bien;
Aux dépens de nos cœurs il eût vu la lumière.

Olympe, assurément vous auriez mis au jour
Quelque sujet charmant et peut-être insensible.
Votre sexe où le nôtre en seroit mort d'amour:
Mais nous ne gagnons rien ; c'est un sort infaillible.
Ce miracle ébauché laisse ici frère et sœurs.
Chez vous mâle et femelle il en est une bande:
Un seul étant perdu ne nous rend point nos cœurs;
De ceux qui sont restés la part sera plus grande.

ÉPITRE

A MADAME FOUQUET.

1650.

Je vous l'avoue, et c'est la vérité, Que monseigneur n'a que trop mérité

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.

Ne dites point que c'est menu présent. Vienne l'an neuf, ballade est destinée: Qui rit ce jour, il rit toute l'année. Or la ballade a cela, ce dit-on, Qu'elle fait rire, ou ne vaut un bouton. Pâques, jour saint, veut autre poésie : J'enverrai lors, si Dieu me prête vie, Pour achever toute la pension, Quelque sonnet plein de dévotion. Ce terme-là pourroit être le pire: On me voit peu sur tels sujets écrire; Mais tout au moins je serai diligent; Et si j'y manque envoyez un sergent; Faites saisir, sans aucune remise, Stances, rondeaux, et vers de toute guise: Ce sont nos biens: les doctes nourrissons N'amassent rien, si ce n'est des chansons. Ne pouvant donc présenter autre chose, Qu'à son plaisir le héros en dispose, Vous lui direz qu'un peu de son esprit Me viendroit bien pour polir chaque écrit. Quoi qu'il en soit, je me fais fort de quatre ; Et je prétends, sans un seul en rabattre, Qu'au bout de l'an le compte y soit entier : Deux en six mois, un par chaque quartier, Pour sûreté, j'oblige par promesse

(1) M. Fouquet, surintendant des finances, ayant dit que je lui devois donner pension pour le soin qu'il prenoit de faire valoir mes vers, j'envoyai quelques temps après cette épître à madame Fouquet.

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Je viens de Vaux, sachant bien que sur tous
Les muses font en ce lieu résidence;
Si leur ai dit, en ployant les genoux :
Mes vers voudroient faire la révérence
A deux soleils de votre connoissance,

Qui sont plus beaux, plus clairs, plus radieux Que celui-là qui loge dans les cieux; Partant, vous faut agir dans cette affaire, Non par acquit, mais de tout votre mieux. En puissiez-vous dans cent ans autant faire! Lune des neuf m'a dit d'un ton fort doux (Et c'est Clio, j'en ai quelque croyance): Espérez bien de ses yeux et de nous. J'ai cru la muse; et sur cette assurance J'ai fait ces vers, tout rempli d'espérance. Commandez donc en termes grâcieux Que, sans tarder, d'un soin officieux, Celui des Ris qu'avez pour secrétaire M'en expédie un acquit glorieux. En puissiez-vous dans cent ans autant faire!

ENVOI

Reine des cœurs, objet délicieux, Que suit l'enfant qu'on adore en des lieux Nommés Paphos, Amathonte et Cythère, Vous qui charmez les hommes et les dieux, En puissiez-vous dans ceut ans autant faire! Je n'ai pas gardé la quittance, parce que je n'ai pas cru qu'elle le valût. Mais si je m'en souviens, elle étoit à peu près telle:

QUITTANCE Publique,

PAR-DEVANT moi, sur Parnasse Notaire,
Se présenta la Reine des beautés,

Et des vertus le parfait exemplaire,
Qui lut ces vers, puis les ayant comptés,
Pesés, revus, approuvés et vantés,
Pour le passé voulut s'en satisfaire;
Se réservant le tribut ordinaire,
Pour l'avenir aux termes arrêtés.
Muses de Vaux et vous leur secrétaire,
Voilà l'acquit tel que vous souhaitez :
En puissiez-vous en cent ans autant faire!
QUITTANCE SOUS SEING-PRIVÉ

DE LA SURINTENDANTE.

De mes deux yeux, ou de mes deux soleils J'ai lu vos vers qu'on trouve sans pareils, Et qui n'ont rien qui ne me doive plaire. Je vous tiens quitte et promets vous fournir De quoi partout vous le faire tenir, Pour le passé, mais non pour l'avenir. En puissiez-vous dans cent ans autant faire! On me donna pour sujet de la ballade du second terme l'imitation du rondeau de Voiture:

MA FOI,

C'EST FAIT.

BALLADE

POUR LE SECOND TERME.

1659.

A M***.

TROTS fois dix vers, et puis cinq d'ajoutés,
Sans point d'abus, c'est ma tâche complète;
Mais le mal est qu'ils ne sont pas comptés.
Par quelque bout il faut que je m'y mette:
Puis, que jamais ballade je promette,
Dussé-je entrer au fin fond d'une tour,
Nenni, ma foi, car je suis déjà court:
Si que je crains que n'ayez rien du nôtre.
Quand il s'agit de mettre une œuvre au jour,
Promettre est un, et tenir est un autre.

Sur ce refrain, de grâce, permettez Que je vous conte en vers une sornette.

Colin, venant des universités,
Promit un jour cent franes à Guillemette.
De quatre-vingts il trompa la fillette,
Qui, de dépit, lui dit pour faire court:
Vous y viendrez cuire dans notre four!
Colin répond, faisant le bon apôtre :
Ne vous fachez, belle; car, en amour,
Promettre est un, et tenir est un autre.

Sans y penser j'ai vingt vers ajustés,
Et la besogne est plus d'à demi faite.
Cherchons-en treize encor de tous côtés,
Puis ma ballade est entière et parfaite.
Pour faire tant que l'ayez toute nette,
Je suis en eau, tant que j'ai l'esprit lourd;
Et n'ai rien fait, si par quelque bon tour
Je ne fabrique encore un vers en ôtre;
Car vous pourriez me dire à votre tour:
Promettre est un, et tenir est un autre.

ENVOI.

O vous, l'honneur de ce mortel séjour,
Ce n'est pas d'hui
que ce proverbe court;
On ne l'a fait de mon temps ni du vôtre :
Trop bien savez qu'en langage de cour
Promettre est un, et tenir est un autre.

Comme j'étois sur le point d'envoyer le terme de la Saint-Jean, l'on m'a mandé que M. de Mézière s'en venoit à Vaux en diligence, et que madame la maréchale d'Aumont y devoit aussi amener mademoiselle sa fille que là ils s'épouseroient aussitôt, et que ce mariage avoit été conclu si soudainement, que les parties ne se doutoient quasi pas du sujet de leur voyage. J'aurois bien voulu pouvoir témoigner, par quelque chose de poli, le zèle que j'ai pour les deux familles; mais j'ai cru que l'épithalame ne devoit pas être plus prémédité que l'hyménée, et qu'il falloit que tout se sentit de la soudaineté avec laquelle monseigneur le Surintendant entreprend et exécute la plupart des choses. Je me suis donc contenté d'ajouter au terme ce Madrigal :

Belle d'AUMONT, et vous, MÉZIÈRE,
Quand je regarde la manière

Dont vous vous mariez, l'un venant de la cour,
Et l'autre de Paris, ou bien de la frontière,
J'appelle votre hymen un impromptu d'amour.

Avec le temps vous en ferez bien d'autres,
Et nous en pourrons voir dans neuf mois, plus un jour,
Un de votre façon qui vaudra tous les nôtres.

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