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Il quitta pour un temps l'amoureuse milice. Chloris y consentit, mais non pas sans douleur. Il voulut mériter son estime et son cœur. Pendant que ses exploits terminent la querelle, Un parent de Chloris meurt, et laisse à la belle D'amples possessions et d'immenses trésors. Il habitoit les lieux où Mars régnoit alors. La belle s'y transporte; et partout révérée, Partout des deux partis Chloris considérée Voit de ses propres yeux les champs où Télamou Venoit de consacrer un trophée à son nom. Lui de sa part accourt; et, tout couvert de gloire, Il offre à ses amours les fruits de sa victoire, Leur rencontre se fit non loin de l'élément Qui doit être évité de tout heureux amant. Dès ce jour l'age d'or les eût joints sans mystère : L'âge de fer en tout a coutume d'en faire. Chloris ne voulut done couronner tous ces biens Qu'au sein de sa patrie, et de l'aveu des siens. Tout chemin, hors la mer, alongeant leur souffrance, Ils commettent aux flots cette douce espérance. Zéphyre les suivoit, quand, presque en arrivaut, Un pirate survient, prend le dessus du vent, les bat. En vain, par sa vaillance, Les attaque, Télamon jusqu'au bout porte la résistance: Après un long combat son parti fut défait, Lui pris; et ses efforts n'eurent pour tout effet Qu'un esclavage indigne. O dieux ! qui l'eût pu croire ? Le Sort, sans respecter ni son sang, ni sa gloire, Ni son bonheur prochain, ni les vœux de Chloris, Le fit être forçat aussitôt qu'il fut pris. Le Destin ne fut pas à Chloris si contraire. Un célèbre marchand l'achète du corsaire : Il l'emmène; et bientôt la belle, malgré soi, Au milieu de ses fers range tout sous sa loi. L'épouse du marchand la voit avec tendresse : Ils en font leur compagne, et leur fils sa maîtresse. Chacun veut cet hymen : Chloris à leurs désirs Répondoit seulement par de profonds soupirs. Damon, c'étoit ce fils, lui tient ce doux langage: Vous soupirez toujours; toujours votre visage Baigné de pleurs nous marque un déplaisir secret : Qu'avez-vous? vos beaux yeux verroient-ils à regret Ce que peuvent leurs traits et l'excès de ma flamme? Rien ne vous force ici; découvrez-nous votre ame: Chloris, c'est moi qui suis l'esclave, et non pas vous. Ces lieux, à votre gré, n'ont-ils rien d'assez doux ? Parlez: nous sommes prêts à changer de demeure: Mes parents m'ont promis de partir tout-à-l'heure. Regrettez-vous les biens que vous avez perdus? Tout le nôtre est à vous; ne le dédaignez plus. J'en sais qui l'agréeroient; j'ai su plaire à plus d'une : Pour vous, vous méritez toute une autre fortune. Quelle que soit la nôtre, usez-en: vous voyez Ce que nous possédons et nous même à vos pieds. Ainsi parla Damon: et Chloris tout en larmes Lui répond en ces mots accompagnés de charmes : Vos moindres qualités en cet heureux séjour

Même aux filles des dieux donneroient de l'amour;
Jugez donc si Chloris, esclave et malheureuse,
Voit l'offre de ces biens d'une ame dédaigneuse.
Je sais quel est leur prix: mais de les accepter,
Je ne puis; et voudrois vous pouvoir écouter.
Ce qui me le défend, ce n'est point l'esclavage:
Si toujours la naissance éleva mon courage,
Je me vois, grâce aux dieux, en des mains où je puis
Garder ces sentiments, malgré tous mes ennuis;
Je puis même avouer (hélas faut-il le dire ?)
Qu'un autre a sur mon cœur conservé son empire.
Je chéris un amant, ou mort, ou dans les fers;
Je prétends le chérir encor dans les enfers.
Pourriez-vous estimer le cœur d'une inconstante?
Je ne suis déjà plus aimable ni charmante ;
Chloris n'a plus ces traits que l'on trouvoit si doux,
Et, doublement esclave, est indigne de vous.
Touché de ce discours, Damon prend congé d'elle.
Fuyons, dit-il en soi ; j'oublierai cette belle :
Tout passe, et même un jour ses larmes passeront;
Voyons ce que l'absence et le temps produiront.
A ces mots il s'embarque; et quittant le rivage,
Il court de mer en mer, aborde en lieu sauvage,
Trouve des malheureux de leurs fers échappés,
Et sur le bord d'un bois à chasser occupés.
Télamon, de ce nombre, avoit brisé sa chaîne :
Aux regards de Damon il se présente à peine,
Que son air, sa fierté, son esprit, tout enfin
Fait qu'à l'abord Damon admire son destin;
Puis le plaint, puis l'emmène, et puis lui dit sa flamme.
D'une esclave, dit-il, je n'ai pu toucher l'ame:
Elle chérit un mort! Un mort, ce qui n'est plus,
L'emporte dans son cœur! mes vœux sont superflus.
Là-dessus, de Chloris il lui fait la peinture.
Télamon dans son ame admire l'aventure,
Dissimule, et se laisse emmener au séjour
Où Chloris lui conserve un si parfait amour.
Comme il vouloit cacher avec soin sa fortune,
Nulle peine pour lui n'étoit vile et commune.
On apprend leur retour et leur débarquement.
Chloris, se présentant à l'un et l'autre amant,
Reconnoît Telamon sous un faix qui l'accable.
Ses chagrins le rendoient pourtant méconnoissable;
Un ceil indifférent à le voir eût erré:

Tant la peine et l'amour l'avoient défiguré !
Le fardeau qu'il portoit ne fut qu'un vain obstacle;
Chloris le reconnoît et tombe à ce spectacle:
Elle perd tous ses sens et de honte et d'amour.
Telamon, d'autre part, tombe presque à son tour.
On demande à Chloris la cause de sa peine:
Elle la dit; ce fut sans s'attirer de baine.
Son récit ingénu redoubla la pitié

Dans des cœurs prévenus d'une juste amitié.
Damon dit que son zèle avoit changé de face:
On le crut. Cependant, quoi qu'on dise et qu'on fasse,
D'un triomphe si doux l'honneur et le plaisir
Ne se perd qu'en laissant des restes de désir.
On crut pourtant Damon. Il restreignit son zèle

A sceller de l'hymen une union si belle:
Et par un sentiment à qui rien n'est égal,
Il pria ses parents de doter son rival.
Il l'obtint, renonçant dès lors à l'hyménée.
Le soir étant venu de l'heureuse journée,
Les noces se faisoient à l'ombre d'un ormeau;
L'enfant d'un voisin vit s'y percher un corbeau,
Il fait partir de l'arc une flèche maudite,
Perce les deux époux d'une atteinte subite.
Chloris mourut du coup, non sans que son amant
Attirât ses regards en ce dernier moment.
Il s'écrie, en voyant finir ses destinées :

Quoi! la Parque a tranché le cours de ses années ?
Dieux, qui l'avez voulu, ne suffisoit-il pas
Que la haine du Sort avançât mon trépas?
En achevant ces mots, il acheva de vivre:
Son amour, non le coup, l'obligea de la suivre ;
Blessé légèrement, il passa chez les morts:
Le Styx vit nos époux accourir sur ses bords.
Même accident finit leurs précieuses trames;
Même tombe eut leurs corps, même séjour leurs ames.
Quelques-uns ont écrit (mais ce fait est peu sûr}
Que chacun d'eux devint statue et marbre dur:
Le couple infortuné face à face repose.
Je ne garantis point cette métamorphose:
On en doute. On le croit plus que vous ne pensez,
Dit Clymène; et, cherchant dans les siècles passés
Quelque exemple d'amour et de vertu parfaite,
Tout ceci me fut dit par le sage interprète.
J'admirai, je plaignis ces amants malheureux :
On les alloit unir; tout concouroit pour eux;
Ils touchoient au moment; l'attente en étoit sûre:
Hélas! il n'en est point de telle en la nature;
Sur le point de jouir tout s'enfuit de nos mains:
Les dieux se font un jeu de l'espoir des humains.
Laissons, reprit Iris, cette triste pensée.
La fête est vers sa fin, grâce au Ciel, avancée ;
Et nous avons passé tout ce temps en récits
Capables d'affliger les moins sombres esprits :
Effaçons, s'il se peut, leur image funeste.
Je prétends de ce jour mieux employer le reste,
Et dire un changement, non de corps, mais de cœur.
Le miracle en est grand; Amour en fut l'auteur:
Il en fait tous les jours de diverse manière,
Je changerai de style en changeant de matière.

Zoon plaisoit aux yeux ; mais ce n'est pas assez :
Son peu d'esprit, son humeur sombre
Rendoient ces talents mal placés.
Il fuyoit les cités, il ne cherchoit que l'ombre,
Vivoit parmi les bois, concitoyen des ours,
Et passoit, sans aimer, les plus beaux de ses jours.
Nous avons condamné l'amour, m'allez-vous dire.
J'en blâme en nous l'excès ; mais je n'approuve pas
Qu'insensible aux plus doux appas
Jamais un homme ne soupire.

Hé quoi! ce long repos est-il d'un si grand prix!
Les morts sont done heureux? Ce n'est pas mon avis

Je veux des passions ; et si l'état le pire
Est le néant, je ne sais point

De néant plus complet qu'un cœur froid à ce point.
Zoon n'aimant donc rien, ne s'aimant pas lui-même.
Vit Iole endormie, et le voilà frappé :

Voilà son cœur développé.

Amour, par son savoir suprême,

Ne l'eut pas fait amant qu'il en fit un héros.
Zoon rend grâce au dieu qui troubloit son repos :
Il regarde en tremblant cette jeune merveille.
A la fin Iole s'éveille.

Surprise et dans l'étonnement,
Elle veut fuir; mais son amant
L'arrête, et lui tient ce langage:

Rare et charmant objet, pourquoi me fuyez-vous?
Je ne suis plus celui qu'on trouvoit si sauvage:
C'est l'effet de vos traits aussi puissants que doux;
Ils m'ont l'ame et l'esprit et la raison donnée.
Souffrez que, vivant sous vos lois,

J'emploie à vous servir des biens que je vous dois.
Jole, à ce discours, encor plus étonnée,
Rougit, et sans répondre elle court au hameau,
Et raconte à chacun ce miracle nouveau.
Ses compagnes d'abord s'assemblent autour d'elle:
Zoon suit en triomphe, et chacun applaudit.
Je ne vous dirai point, mes sœurs, tout ce qu'il fit,
Ni ses soins pour plaire à la belle :
Leur hymen se conclut. Un satrape voisin,
Le propre jour de cette fête,

Enlève à Zoon sa conquête :

On ne soupçonnoit point qu'il eût un tel dessein. Zoon accourt au bruit, recouvre ce cher gage, Poursuit le ravisseur, et le joint, et l'engage

En un combat de main à main. Tole en est le prix aussi bien que le juge. Le satrape, vaincu, trouve encor du refuge En la bonté de son rival. Hélas! cette bonté lui devint inutile: Il mourut du regret de cet hymen fatal: Aux plus infortunés la tombe sert d'asile, Il prit pour héritière, en finissant ses jours, Iole, qui mouilla de pleurs son mausolée. Que sert-il d'être plaint quand l'ame est envolée ? Ce satrape eût mieux fait d'oublier ses amours.

La jeune Iris à peine achevoit cette histoire :
Et ses sœurs avouoient qu'un chemin à la gloire.
C'est l'amour. On fait tout pour se voir estimé :
Est-il quelque chemin plus court pour être aimé ?
Quel charme de s'ouïr louer par une bouche
Qui, même sans s'ouvrir, nous enchante et nous touche
Ainsi disoient ses sœurs. Un orage soudain
Jette un secret remords dans leur profane sein.
Bacchus entre, et sa cour, confus et long cortège :
Où sont, dit-il, ces sœurs à la main sacrilege?
Que Pallas les défende, et vienne en leur faveur
Opposer son égide à ma juste fureur:
Rien ne m'empêchera de punir leur offense.

Voyez ; et qu'on se rie après de ma puissance!
Il n'eut pas dit, qu'on vit trois monstres au plancher,
Ailés, noirs et velus, en un coin s'attacher.

On cherche les trois sœurs: on n'en voit nulle trace.
Leurs métiers sont brisés; on élève en leur place
Une chapelle au dieu, père du vrai nectar.
Pallas a beau se plaindre, elle a beau prendre part
Au destin de ces sœurs par elle protégées.

Quand quelque dieu, voyant ses bontés négligées,
Nous fait sentir son ire, un autre n'y peut rien:
L'Olympe s'entretient en paix par ce moyen.
Profitous, s'il se peut, d'un si fameux exemple.
Chômons; c'est faire assez qu'aller de temple en temple
Rendre à chaque immortel les vœux qui lui sont dus.
Les jours donnés aux dieux ne sont jamais perdus.

CONTES.

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