Rempli les champs d'horreur, comblé Rome de morts, 655 Et sera quitte après pour l'effet d'un remords! Quand le ciel par nos mains à le punir s'apprête, Un lâche repentir garantira sa tête!
C'est trop semer d'appâs, et c'est trop inviter Par son impunité quelque autre à l'imiter. Vengeons nos citoyens, et que sa peine étonne Quiconque après sa mort aspire à la couronne. Que le peuple aux tyrans ne soit plus exposé: S'il eût puni Sylla, César eût moins osé.
Mais la mort de César, que vous trouvez si juste, A servi de prétexte aux cruautés d'Auguste. Voulant nous affranchir, Brute s'est abusé: S'il n'eût puni César, Auguste eût moins osé.
La faute de Cassie, et ses terreurs paniques, Ont fait rentrer l'État sous des lois tyranniques; Mais nous ne verrons point de pareils accidents, Lorsque Rome suivra des chefs moins imprudents.
Nous sommes encor loin de mettre en évidence Si nous nous conduirons avec plus de prudence; Cependant c'en est peu que de n'accepter pas Le bonheur qu'on recherche au péril du trépas.
C'en est encor bien moins, alors qu'on s'imagine Guérir un mal si grand sans couper la racine;
Employer la douceur à cette guérison,
C'est, en fermant la plaie, y verser du poison.
Vous la voulez sanglante, et la rendez douteuse.
Vous la voulez sans peine, et la rendez honteuse.
Pour sortir de ses fers jamais on ne rougit.
On en sort lâchement, si la vertu n'agit.
Jamais la liberté ne cesse d'être aimable;
Et c'est toujours pour Rome un bien inestimable.
Ce ne peut être un bien qu'elle daigne estimer, Quand il vient d'une main lasse de l'opprimer: Elle a le cœur trop bon pour se voir avec joie Le rebut du tyran dont elle fut la proie; Et tout ce que la gloire a de vrais partisans Le hait trop puissamment pour aimer ses présents.
Donc pour vous Émilie est un objet de haine?
La recevoir de lui me serait une gêne.
Mais quand j'aurai vengé Rome des maux soufferts, 695
Je saurai le braver jusque dans les enfers. Oui, quand par son trépas je l'aurai méritée, Je veux joindre à sa main ma main ensanglantée, L'épouser sur sa cendre, et qu'après notre effort Les présents du tyran soient le prix de sa mort.
Mais l'apparence, ami, que vous puissiez lui plaire Teint du sang de celui qu'elle aime comme un père? Car vous n'êtes pas homme à la violenter.
Ami, dans ce palais on peut nous écouter, Et nous parlons peut-être avec trop d'imprudence Dans un lieu si mal propre à notre confidence: Sortons; qu'en sûreté j'examine avec vous, Pour en venir à bout, les moyens les plus doux.
Lui-même il m'a tout dit: leur flamme est mutuelle;
Il adore Émilie, il est adoré d'elle;
Mais sans venger son père il n'y peut aspirer; Et c'est pour l'acquérir qu'il nous fait conspirer.
Je ne m'étonne plus de cette violence
Dont il contraint Auguste à garder sa puissance: La ligue se romprait s'il s'en était démis, Et tous vos conjurés deviendraient ses amis.
Ils servent à l'envi la passion d'un homme
Qui n'agit que pour soi, feignant d'agir pour Rome; Et moi, par un malheur qui n'eut jamais d'égal, Je pense servir Rome, et je sers mon rival.
Oui, j'aime sa maîtresse,
Et l'ai caché toujours avec assez d'adresse; Mon ardeur inconnue, avant que d'éclater, Par quelque grand exploit la voulait mériter: Cependant par mes mains je vois qu'il me l'enlève; Son dessein fait ma perte, et c'est moi qui l'achève; J'avance des succès dont j'attends le trépas, Et pour m'assassiner je lui prête mon bras.
Que l'amitié me plonge en un malheur extrême!
L'issue en est aisée: agissez pour vous-même; D'un dessein qui vous perd rompez le coup fatal; Gagnez une maîtresse, accusant un rival. Auguste, à qui par là vous sauverez la vie, Ne vous pourra jamais refuser Émilie.
L'amour rend tout permis;
Un véritable amant ne connaît point d'amis; Et même avec justice on peut trahir un traître Qui pour une maîtresse ose trahir son maître: Oubliez l'amitié, comme lui les bienfaits.
C'est un exemple à fuir que celui des forfaits.
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