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Et redevient enfant pour instruire le sien.
D'autres guident bientôt sa faible intelligence;
Leur dureté punit sa moindre négligence.

Quelle est l'âme où son cœur épanche ses tourments?
Quel appui cherche-t-il contre les châtiments?
Sa mère ! elle lui prête une sûre défense,

Calme ses maux légers, grands chagrins de l'enfance,
Et, sensible à ses pleurs, prompte à les essuyer,
Lui donne les hochets qui les font oublier.

(MÉRITE DES FEMMES)

PARNY.

(1753-1814.)

Évariste--Désiré de Forge, chevalier de Parny, naquit à l'ile Bourbon. Il embrassa la carrière militaire; mais il y renonça pour ne s'occuper que de vers et de plaisirs. Il se prononça pour la révolution, quoiqu'elle lui enlevât presque toutes ses ressources. Comme poëte, Parny a surtout réussi dans le genre élégiaque, et il a mérité d'être surnommé le Tibulle français. Il sut être vrai, naturel, pur, élégant et gracieux, à une époque où la délicatesse et la gràce dégénéraient en manière et en affeterie. Pendant la révolution, Parny ternit sa gloire en écrivant quelques poëmes licencieux et impies, où il ne fut qu'un faible imitateur de Voltaire.

Le Réveil d'une mère.

Un sommeil calme et pur comme sa vie,
Un long sommeil a rafraîchi ses sens.
Elle sourit, et nomme ses enfants :
Adèle accourt, de son frère suivie.
Tous deux du lit assiégent le chevet ;
Leurs petits bras étendus vers leur mère,
Leurs yeux naïfs, leur touchante prière,
D'un seul baiser implorent le bienfait.
Céline alors d'une main caressante
Contre son sein les presse tour à tour,
Et de son cœur la voix reconnaissante
Bénit le ciel et rend grâce à l'amour.

Bientôt Adèle, au travail occupée,
Orne avec soin sa docile poupée,
Sur ses devoirs lui fait un long discours,
L'écoute ensuite; et, répondant toujours
A son silence, elle gronde et pardonne,
La gronde encore, et sagement lui donne
Tous les avis qu'elle-même a reçus,

En ajoutant: « Surtout ne mentez plus. »>
Un bruit soudain la trouble et l'intimide;
Son jeune frère, écuyer intrépide,
Caracolant sur un léger bâton,

Avec fracas traverse le salon

Qui retentit de sa course rapide.

A cet aspect, dans les yeux de sa sœur
L'étonnement se mêle à la tendresse ;
Du cavalier elle admire l'adresse,

Et sa raison condamne avec douceur
Ce jeu nouveau qui peut être funeste.
Vaine leçon ! il rit de sa frayeur;

Des pieds, des mains, de la voix et du geste,
De son coursier il hâte la lenteur.

Mais le tambour au loin s'est fait entendre:
D'un cri de joie il ne peut se défendre.
Il voit passer les poudreux escadrons;
De la trompette et des aigres clairons
Le son guerrier l'anime : il veut descendre,
Il veut combattre ; il s'arme, il est armé.
Un chapeau rond, surmonté d'un panache,
Couvre à demi son front plus enflammé;
A son côté fièrement il attache

Le bois paisible en sabre transformé ;
Il va partir; mais Adèle tremblante,
Courant à lui, le retient dans ses bras,
Verse des pleurs, et ne lui permet pas
De se ranger sous l'enseigne flottante.
De l'amitié le langage touchant
Fléchit enfin ce courage rebelle;
Il se désarme, il s'assied auprès d'elle,
Et pour lui plaire il redevient enfant.
A tous leurs jeux Céline est attentive,
Et lit déjà dans leur âme naïve
Les passions, les goûts et le destin
Que leur réserve un avenir lointain.

BERCHOUX.

(1765-1832.)

Joseph Berchoux, né à Saint-Symphorien (Loire), fut juge de paix, puis militaire, et finit par ne s'occuper que de littérature. Il fut longtemps un des rédacteurs de la Quotidienne.

On a de lui plusieurs poëmes satiriques pleins de malice et de gaieté, et le poëme de la Gastronomie, ou l'art de bien manger. A une gaieté vive et franche, Berchoux joint une expression facilè et piquante; mais il a peu de mérite poétique.

La Mort de Vatel.

Condé, le grand Condé, que la France révère,
Recevait de son roi la visite bien chère,
Dans ce lieu fortuné, ce brillant Chantilly,
Longtemps de race en race à grands frais embelli.
Jamais plus de plaisirs et de magnificence
N'avaient d'un souverain signalé la présence...
Tout le soin des festins fut remis à Vatel,
Du vainqueur de Rocroi fameux maître d'hôtel.
Il mit à ses travaux une ardeur infinie;
Mais avec des talents il manqua de génie.
Accablé d'embarras, Vatel est averti
Que deux tables en vain réclament leur rôti.
Il prend pour en trouver une peine inutile.

<«< Ah! dit-il, s'adressant à son ami Gourville,
De larmes, de sanglots, de douleur suffoqué,
Je suis perdu d'honneur: deux rôtis ont manqué;
Un seul jour détruira toute ma renommée,
Mes lauriers sont flétris, et la cour alarmée
Ne peut plus désormais se reposer sur moi :
J'ai trahi mon devoir, avili mon emploi ! »>
Le prince, prévenu de sa douleur extrême,
Accourt le consoler, le rassurer lui-même.
« Je suis content, Vatel: mon ami, calme-toi :
Rien n'était plus brillant que le souper du roi.
Va, tu n'as pas perdu ta gloire et mon estime ;
Deux rôtis oubliés ne sont pas un grand crime.

- Prince, votre bonté me trouble et me confond, Puisse mon repentir effacer mon affront! >>

Mais un autre chagrin l'accable et le dévore;
Le matin, à midi, point de marée encore.
Ses nombreux pourvoyeurs, dans leur marche entravés,
A l'heure du dîner n'étaient point arrivés.
Sa force l'abandonne, et son esprit s'effraie

D'un festin sans turbot, sans barbue et sans raie;
Il attend, s'inquiète, et maudissant son sort,
Appelle en furieux la marée ou la mort.
La mort seule répond; l'infortuné s'y livre :
Déjà percé trois fois, il a cessé de vivre.
Ses jours étaient sauvés, ô regret! ô douleur !
S'il eût pu supporter un instant son malheur :
A peine est-il parti pour l'infernale rive,
Qu'on sait de toutes parts que la marée arrive.

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