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Vois llion fumant et chante sur sa cendre;

Suis-les au temple, unis ta voix à leurs concerts;
Chante Troie expirée et ses enfants aux fers!
Ah! je vous vois encore... insensés! c'est la veille
De cette nuit fatale où la mort les réveille...
Vous entraînez ce monstre, ouvrage de Pallas,
Dont les flancs habités recélaient le trépas.
Moi seule, l'œil en feu, saisie, épouvantée,
Respirant l'avenir dont j'étais agitée,

J'accours soudain ; je vole, et crie: Ah! malheureux !
res Quel temps vous choisissez pour ces hymnes, ces jeux?
Vous vous couvrez de fleurs, vous couronnez vos têtes,
Quelle torche funèbre accompagne vos fêtes ?...
Le piége est prêt... voyez le sang rougir ces bords,
Ces flammes éclairant la nuit, l'onde et nos ports...
Inutiles discours! ils ont fermé l'oreille,

Ils m'osaient dédaigner... ton erreur est pareille.
Oui, ce jour met un terme aux horreurs de mon sort.
Je touche enfin la terre où m'attendait la mort.

AGAMEMNON.

Sa raison l'abandonne... hélas ! Troie embrasée
Est présente à ses yeux et trouble sa pensée.
Entrons, laissons au temps à calmer ses regrets,
Et de la pompe sainte ordonnons les apprêts.

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ARNAULT.

(1766-1834.)

Antoine-Vincent Arnault, né à Paris, débuta à vingt-cinq ans dans la littérature par la tragédie de Marius à Minturnes, qui eut du succes. Sous le consulat, il fut nommé membre de l'Institut et secrétaire général de l'Université. Il est mort secrétaire de l'Académie française.

Outre Marius, Arnault a donné plusieurs autres tragédies, faiblemen écrites; les plus connues sont Germanicus et les Vénitiens. Ses fables valent mieux que ses tragédies. Au lieu de s'efforcer d'imiter la manière de La Fontaine, qui est inimitable, il a donné à la fable une nouvelle forme. Il s'occupe peu de l'action; il vise surtout à l'effet final, et termine par une pensée piquante qui fait ressembler la plupart de ses apologues à des épigrammes ou à de petites satires.

La Feuille.

De ta tige détachée,
Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu?-Je n'en sais rien !
L'orage a brisé le chêne

Qui seul était mon soutien;
De son inconstante haleine
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène;

Sans me plaindre ou m'effrayer;

Je vais où va toute chose,

Où va la feuille de rose,

Et la feuille de laurier.

Le Colimaçon.

Sans ami, comme sans famille,
Ici-bas vivre en étranger;
Se retirer dans sa coquille

Au signal du moindre danger;
S'aimer d'une amitié sans bornes;
De soi seul emplir sa maison;
En sortir suivant la saison,

Pour faire à son prochain les cornes;
Signaler ses pas destructeurs

Par les traces les plus impures;
Outrager les plus belles fleurs
Par ses baisers ou ses morsures;
Enfin, chez soi comme en prison,
Vieillir de jour en jour plus triste;
C'est l'histoire de l'égoïste

Et celle du colimaçon.

L'Ours, le Sansonnet, le Singe et le Serpent.

Naguère un ours encor sauvage,

Ours sans esprit et sans usage,

Mais non pas sans ambition,

Disait à ses amis: « A la cour du lion

Apprenez-moi comme l'on entre. »

Le singe dit : « C'est en sautant. »

Le sansonnet: « C'est en chantant. »

<< Ou bien, dit le serpent, en marchant sur le ventre. »>

Le Chêne et les Buissons,

Les buissons, indignés qu'en une année ou deux
Un chêne devînt grand comme eux,

Se récriaient contre l'audace

De cet aventurier qui, comme un champignon,
Né d'hier, et de quoi? sans gêne ici se place,
Et prétend nous traiter de pair à compagnon!
L'égal qu'ils dédaignaient cependant les surpasse;
D'arbuste il devient arbre, et des sucs généreux
Qui fermentent sous son écorce,

De son robuste tronc à ses rameaux nombreux,
Renouvelant sans cesse et la vie et la force,
Il grandit, il grossit, il s'allonge, il s'étend,
Il se développe, il s'élance;

Et l'arbre comme on en voit tant
Finit par être un arbre immense.

De protégé qu'il fut, le voilà protecteur,
Abritant, nourrissant des peuplades sans nombre;
Les troupeaux, les chiens, le pasteur,

Vont dormir en paix sous son ombre;

L'abeille dans son sein vient déposer son miel,

Et l'aigle suspendre son aire

A l'un des mille bras dont il perce le ciel,
Tandis que mille pieds l'attachent à la terre.
L'impétueux Eurus1, l'Aquilon mugissant,
En vain contre sa masse ont déchaîné leur rage;
Il rit de leurs efforts, et leur souffle impuissant
Ne fait qu'agiter son feuillage.

Cybèle aussi n'a pas de nourrissons, De l'orme le plus fort au genêt le plus mince, Qui des forêts en lui ne respectent le prince: Tout l'admire aujourd'hui, tout, hormis les buissons. « L'orgueilleux! disent-ils, il ne se souvient guères De notre ancienne égalité;

Enflé de sa prospérité,

A-t-il donc oublié que les arbres sont frères ?

Si nous naissons égaux, repart avec bonté L'arbre de Jupiter, dans la même mesure Nous ne végétons pas ; et ce tort, je vous jure, Est l'ouvrage de la nature,

Et non pas de ma volonté.

Le chêne vers les cieux portant un front superbe,
L'arbuste qui se perd sous l'herbe,

Ne font qu'obéir à sa loi.

Vous la voulez changer; ce n'est pas mon affaire;

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Je ne dois pas, en bonne foi,

Me rapetisser pour vous plaire.

Mes frères, tâchez donc de grandir comme moi. »>

1 Vent d'est.

2 Cybele, prise ici pour la terre, dont elle était la déesse.

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