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OEDIPE.

Ma fille, hélas! pardonne.

Je t'outrageais sans doute. Eh! qui, jusqu'à ce jour, M'a montré plus que toi de constance et d'amour? Ton sort me fait frémir.

ANTIGONE.

Mon sort! je le préfère

A l'hymen le plus doux, au trône de mon frère.
Hélas! c'est à mon bras que le vôtre eut recours.
Si mon sexe trop faible a borné mes secours,

Par ma tendresse au moins j'ai calmé vos alarmes,
J'ai soutenu vos pas, j'ai recueilli vos larmes.
Hélas! pour vous nourrir, j'ai souvent mendié
Les refus insultants d'une avare pitié.

Il semblait que le ciel, adoucissant l'outrage,
Aux malheurs de mon père égalât mon courage.
Seule au fond des déserts, j'ai marché sans effroi,
Croyant avoir toujours vos vertus près de moi.

Vos ennuis sont les miens, ma douleur est la vôtre.
Nous seuls nous nous restons, consolés l'un par l'autre.
L'univers nous oublie ah! recevons, du moins,

:

Moi, vos tristes soupirs, et vous, mes tendres soins! Que Thèbe à vos deux fils offre un trône en partage; Vous suivre et vous aimer, voilà mon héritage.

OEDIPE.

Dieux, vous avez payé més tourments, mes travaux ! Ma joie en ce moment a passé tous mes maux.

Mais dis, où sommes-nous?

ANTIGONE.

Sous ces cyprès arides,

Je vois le temple affreux des tristes Euménides.
D'horreur à cet aspect mon esprit est frappé.
Mon père, ah! d'où vous vient cet air préoccupé?
Quelque nouvel effroi semble encor vous surprendre.

OEDIPE.

Les Euménides! Ciel ! ah ! je crois les entendre.
Je crois les voir ici s'attacher sur mes pas.
Ma fille, approche-toi ; ne m'abandonne pas.

ANTIGONE.

Dans ses égarements le voilà qui retombe.

Hélas! sous tant de maux je crains qu'il ne succombe. Rassurez-vous, mon père.

OEDIPE.

O supplice! ô tourments!

ANTIGONE.

Modérez dans mes bras ces affreux mouvements. Hélas! dans ces déserts quels secours puis-je attendre?

OEDIPE.

O filles des enfers! vous qui devez m'entendre,
Vous de qui j'ai reçu ma ́naissance et mon nom,
Vous qui m'avez jeté sur le mont Cythéron,
Divinités d'OEdipe, exaucez ma prière !

ANTIGONE.

Suspendez, justes dieux, les transports de mon père.

OEDIPE.

Indomptable pouvoir du sort qui me poursuit,
Dans quel horrible état mes forfaits m'ont réduit!

Le ciel vous y forçait.

ANTIGONE.

OEDIPE.

A mon esprit timide

N'offrez plus, dieux vengeurs, les champs de la Phocide;
Cachez-moi par pitié ce sentier douloureux
Où j'ai percé les flancs d'un père malheureux;
Cachez-moi cet autel où des serments impies
Ont joint deux chastes cœurs, aux flambeaux des Furies...

Mon père !

ANTIGONE.

OEDIPE.

O ma patrie! et vous, dieux outragés, J'ai fait ce que j'ai pu, je vous ai tous vengés. N'a-t-on pas vu ces mains, secondant ma colère, Creuser ces yeux sanglants, en chasser la lumière?

Dieux !

ANTIGONE.

CEDIPE.

J'ai rempli le monde et d'horreur et d'effroi. Les peuples à mon nom s'arment tous contre moi...

ANTIGONE.

O ciel !

CEDIPE.

De mon tombeau je me vais emparer; Voilà, voilà la pierre où je dois expirer.

ANTIGONE.

Quelle horreur !

OEDIPE.

Je ne veux, lorsque ma mort s'apprête,

Que l'abri d'un rocher pour y cacher ma tête.

Mon père !

ANTIGONE.

OEDIPE..

Tout s'ébranle à mon funeste nom.

ANTIGONE.

Mon père, écoutez-moi!

OEDIPE.

Cythéron! Cythéron !

ANTIGONE.

Dissipez vos terreurs, sortez de ce supplice.

Souffrez...

OEDIPE.

Retire-toi, malheureux Polynice:

Viens-tu dans ces déserts, par un forfait nouveau,
Pour m'en fermer l'accès, t'asseoir sur mon tombeau ?
Viens-tu me disputer un repos que j'implore,
Et forcer ma vengeance à te maudire encore?

ANTIGONE.

C'est Antigone, hélas ! qui vous embrasse ici.

OEDIPE.

Les cruels!... On m'entraîne... et toi, ma fille, aussi !
Tu braves mes sanglots, tu braves mes prières;
Tu te joins contre OEdipe à tes barbares frères !
Après tant de bienfaits, après tant de secours,
Tu t'es lassée enfin de consoler mes jours!
Vois mon triste abandon, mes pleurs, ma solitude;
Le plus grand de mes maux est ton ingratitude.

ANTIGONE.

Connaissez mieux mon cœur, ma tendresse, ma foi. Je vous tiens dans mes bras: détrompez-vous.

OEDIPE.

C'est toi !

Laisse-moi m'assurer, en t'y pressant moi-même,
Que je n'ai pas perdu l'unique objet que j'aime.

ANTIGONE.

C'est moi qui vous chéris, c'est moi qui vis pour vous.

OEDIPE.

Ah! je me sens calmer par des accents si doux.
O consolante voix! nature! ô tendres charmes !
Que je puisse à loisir t'arroser de mes larmes !

ANTIGONE.

Et moi, mon père, et moi, pour calmer vos douleurs, Que je puisse à mon tour vous baigner de mes pleurs !

OEDIPE.

Oui, tu seras un jour, chez la race nouvelle,
De l'amour filial le plus parfait modèle.
Tant qu'il existera des pères malheureux,
Ton nom consolateur sera sacré pour eux;
Il peindra la vertu, la pitié douce et tendre:
Jamais sans tressaillir ils ne pourront l'entendre.

(OEDIPE A COLONE, aote II, scène 11.)

RAYNOUARD.

(1761-1836.)

François-Juste-Marie Raynouard naquit à Brignoles, en Provence. Il ut avocat à Draguignan, suppléant à l'assemblée législative, membre du

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