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Lettre à un Chanteur de Tréguier.

Comme je voyageais sur le chemin de Rome,
Iannic Côz, une lettre arrivait jusqu'à moi;
On y parle de vous, brave homme,

Des chanteurs de Tréguier vous le chef et le roi.

« Grâce à Jean, me dit-on, sans tes vers point de fête. Aux luttes, il les chante; il les chante aux Pardons; Et le tisserand les répète,

En poussant sa navette entre tous ses cordons.

<< Mon sonneur les sait mieux que Matines et Laudes ; Pour lannic le chanteur, ce malin Trégorrois,

Il t'a dû bien des crêpes chaudes,

Bien du cidre nouveau pour rafraîchir sa voix. »

Voilà ce qu'on m'écrit, et j'ai tressailli d'aise :
A moi le bruit, à vous le cidre jusqu'au bord;
Sur un seul point, ne vous déplaise,

Beau chanteur, mon ami, nous serons peu d'accord.

Certain libraire intrus sous sa presse maudite
A repétri pour vous et travaillé mon grain ;
Mon cœur de barde s'en irrite;

Moi-même dans le four j'aime à mettre mon pain.

Mangez-le. De grand cœur, ami, je vous le donne;

Mais gardez, en l'offrant, d'y jeter votre sel;
Assez pour la table bretonne

Mêlent au pur froment un levain criminel.

Si quelque nain méchant fendait votre bombarde, Faussait l'anche, ou mettait du sable dans les trous, Vous crieriez ! Ainsi le barde;

Le juge peut m'entendre: ami, le savez-vous?

Pourtant je veux la paix. - Pour les jours qui vont suivre Ce triste hiver, voici ma nouvelle chanson :

Que vos sacs se gonflent de cuivre;

Bien repu, chaque soir, rentrez à la maison.

Des forêts à la mer poursuivez votre quête ;
Qu'on redise après vous les Conscrits de Pló-Meúr ;
Ne chantez pas à pleine tête,
Faites pleurer les yeux et soupirer le cœur.

(LES TERNAIRES)

L'Hospitalité dans les îles de la Bretagne.

Une chaîne d'îlots ou de rochers à pic
De Saint-Malo s'étend jusqu'à l'île d'Hœdic,
Iles durant six mois s'enveloppant de brume,
De tourbillons de sable et de flocons d'écume.
Des chênes autrefois les couvrirent, dit-on;
Chaque foyer n'a plus qu'un feu de goëmon.
Parfois derrière un mur où vivait un ermite,

Dont le vent a détruit la cellule bénite,

Derrière un mur s'élève un figuier pâle et vieux, Arbre cher aux enfants, seul plaisir de leurs yeux. La tristesse est partout dans ces îles sauvages, Mais la paix, la candeur, la foi des premiers âges.

Lorsqu'à l'île d'Hodic aborda sans malheurs,
Avec ses étrangers, la barque des pêcheurs,
Le premier qui les vit accourut à la côte,
Disant avec douceur: « Prenez-moi pour votre hôte
Un autre, survenant, ajouta : « Demain soir,
A mon feu de varech vous viendrez vous asseoir;
Dans cet îlot pierreux qu'à grand'peine on défriche,
Pour vous garder longtemps aucun n'est assez riche
Mais chez chacun de nous venez loger un jour,
Et nos trente maisons s'ouvriront tour à tour.
Ainsi, connu de tous en quittant ces rivages,
Vous aurez des amis dans nos trente ménages. »
Puis, pour mieux honorer leur venue en ces lieux,
L'ancien, le chef du bourg, voulut boire avec eux;
Il les mène lui-même à la cave commune.
On servit à chacun sa mesure, rien qu'une :
Ainsi le commandait la règle, et ce qu'on prit
Au mur de la maison par le chef fut inscrit.

(LES BRETONS.)

TURQUÉTY.

M. Édouard Turquéty, né à Rennes, est un des meilleurs poëtes de l'école catholique. Après avoir publié un recueil d'élégies, sous le titre de Primavera, parce qu'il contient les premiers essais de sa muse, il s'est proposé de ramener au catholicisme la poésie déiste et pantheiste de notre époque, de créer une poésie strictement orthodoxe, et il a pris le nom de missionnaire poétique du catholicisme. Cette tentative a obtenu peu de succès. M. Turquéty a une manière élégante et gracieuse, et un style facile; mais il manque de vigueur et d'originalité. Il a la sensibilité qui convient à l'élégie; mais il n'a ni l'élan lyrique, ni le souffle ardent de l'hymne. Outre le volume de Primavera, neus lui devons Amour et foi, Poésie catholique, et des Hymnes sacrées, où il chante les principales solennités de l'Église.

Le Sommeil de la jeune fille.

Parmi les franges d'or, sur l'oreiller soyeux,
La jeune fille, au soir, pose un front moins joyeux,
Endort une âme moins charmée

Que dans l'humble hameau cher à son cœur aimant,
Où la fraîcheur des bois caresse doucement

Son lit de mousse et de ramée.

La jeune fille, heureuse en ce riant séjour,
Se couche dans les bois, ferme son œil au jour,
Et puis se relève et s'élance,

Et quand parmi les fleurs ses doigts se sont joués,
Laisse flotter aux vents ses cheveux dénoués,

Dénoués avec nonchalance.

La jeune fille encore aime à se rendormir

Dans la chaumière, à l'heure où se prend à gémir Le peuplier sous sa fenêtre :

Elle aime la nuit sombre, et, sur les vitraux blancs,

Les rayons de l'aurore incertains et tremblants,

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Son regard, plus serein qu'une étoile des cieux,
Se ferme avec douceur: sur son bras gracieux
Sa tête en murmurant s'incline;

Elle dort, son beau cou mollement replié,
Comme le passereau qui repose oublié
Sur le gazon de la colline.

L'aube fait place au jour : sa flamme rejaillit
De la blanche fenêtre aux rideaux de son lit,
Et rend sa beauté plus touchante.

Elle s'éveille enfin: ouvrant ses yeux d'azur,
Elle s'éveille et part aux lueurs d'un ciel pur,
Au bruit du rossignol qui chante.

Elle part: quel bonheur de courir, de voler
Sous la verdure sombre, et de voir onduler
Chaque arbrisseau, chaque ramée,
Quand le jour s'agrandit à l'horizon lointain,
Et que l'herbe étincelle aux flammes du matin
Dans la prairie accoutumée!

Elle part: c'est alors surtout qu'il faut la voir,
Mouiller un pied d'albâtre au courant du lavoir,

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