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Ma mère, ce grand cœur qui dort dans le tombeau !

(LES RAYONS ET LES OMBRES.)

Mort de Charles X.

Il est mort. Rien de plus. Nul groupe populaire,
Urne d'où se répand l'amour et la colère,
N'a jeté sur son nom pitié, gloire ou respect. ·
Aucun signe n'a lui. Rien n'a changé l'aspect
De ce siècle orageux, mer de récifs bordée,
Où le fait, ce flot sombre, écume sur l'idée.
Nul temple n'a gémi dans nos villes. Nul glas
N'a passé sur nos fronts criant: Hélas! hélas !
La presse aux mille voix, cette louve hargneuse,
A peine a retourné sa tête dédaigneuse;
Nous ne l'avons pas vue, irritée et grondant,
Donner à cette pourpre un dernier coup de dent;
Et chacun vers son but, la marée à la grève,
La foule vers l'argent, le penseur vers son rêve,
Tout a continué de marcher, de courir,

Et rien n'a dit au monde : Un roi vient de mourir!

Sombres canons rangés devant les Invalides,
Comme des sphinx au pied des grandes pyramides,
Dragons d'airain, hideux, verts, énormes, béants,
Gardiens de ce palais, bâti pour des géants,
Qui dresse et fait au loin reluire à la lumière
Un casque monstrueux sur sa tête de pierre,
A ce bruit qui jadis vous eût fait rugir tous :
Le roi de France est mort!-D'où vient qu'aucun de vous,

Comme un lion captif qui secoûrait sa chaîne,
Aucun n'a tressailli sur sa base de chêne,

Et n'a, se réveillant dans un subit effort,
Dit à son noir voisin :

Le roi de France est mort!

D'où vient qu'il s'est fermé sans vos salves funèbres,
Ce cercueil qu'on clouait là-bas dans les ténèbres?
Et que rien n'est sorti de vos mornes affûts,
Pas même, ô canons sourds, ce murmure confus
Qu'au vague battement de ses ailes livides
Le vent des nuits arrache à des armures vides?
C'est que, prostitués dans nos troubles civils,
Vous êtes comme nous fiers, sonores et vils!...

Soyez flétris!

Mais non; c'est à nous, insensés, Que le mépris revient vous nous obéissez!... C'est nous qu'il faut flétrir, nous qui, déshonorés, Donnons notre âme abjecte à ces bronzes sacrés. Nous passons dans l'opprobre; hélas ! ils y demeurent! Mornes captifs! le jour où des rois proscrits meurent, Vous ne pouvez, jetant votre fumée à flots, Prolonger sur Paris vos éclatants sanglots, Et, pareils à des chiens liés à des murailles, D'un hurlement plaintif suivre leurs funérailles ! Muets, et vos longs cous baissés vers les pavés, Vous restez là pensifs, et tristes vous rêvez

Aux hommes, froids esprits, cœurs bas, âmes douteuses, Qui font faire à l'airain tant de choses honteuses!

Vous vous taisez. — Mais moi, moi, dont parfois le chant Se refuse à l'aurore et jamais au couchant,

Moi que jadis à Reims Charle admit comme un hôte,
Moi qui plaignis ses maux, moi qui blâmai sa faute,
Je ne me tairai pas, Je descendrai, courbé,
Jusqu'au caveau profond où dort ce roi tombé;
Je suspendrai ma lampe à cette voûte noire;
Et sans cesse, à côté de sa triste mémoire,
Mon esprit, dans ces temps d'oubli contagieux,
Fera veiller dans l'ombre un vers religieux !

(LES VOIX INTÉRIEURES.

Sunt lacrymæ rerum.)
Novembre 1836.

Date lilia.

Oh! si vous rencontrez quelque part sous les cieux
Une femme au front pur, au pas grave, aux doux yeux,
Que suivent quatre enfants dont le dernier chancelle,
Les surveillant bien tous, et, s'il passe auprès d'elle
Quelque aveugle indigent que l'âge appesantit,
Mettant une humble aumône aux mains du plus petit;
Si, quand la diatribe autour d'un nom s'élance,
Vous voyez une femme écouter en silence,
Et douter, puis vous dire : « Attendons pour juger :
« Quel est celui de nous qu'on ne pourrait charger?
« On est prompt à ternir les choses les plus belles.
« La louange est sans pieds et le blâme a des ailes... »

Quand, vers Pâque ou Noël, l'église,aux nuits tombantes,
S'emplit de pas confus et de cires flamblantes;
Quand la fumée en flots déborde aux encensoirs

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Comme la blanche écume aux lèvres des pressoirs ;

Quand au milieu des chants d'hommes, d'enfants, defemmes, Une âme selon Dieu sort de toutes ces âmes;

Si, loin des feux, des voix, des bruits et des splendeurs,

Dans un repli perdu parmi les profondeurs,

Sur quatre jeunes fronts groupés près du mur sombre,
Vous voyez se pencher un regard voilé d'ombre,
Où se mêle, plus doux encor que solennel,
Le rayon virginal au rayon maternel;

Oh! qui que vous soyez, bénissez-la. C'est elle,
La sœur, visible aux yeux, de mon âme immortelle,
Mon orgueil, mon espoir, mon abri, mon recours,
Toit de mes jeunes ans qu'espèrent mes vieux jours!

C'est elle! la vertu sur ma tête penchée ;
La figure d'albâtre en ma maison cachée;
L'arbre qui, sur la route où je marche à pas lourds,
Verse des fruits souvent et de l'ombre toujours;
La femme dont ma joie est le bonheur suprême;
Qui, si nous chancelons, mes enfants ou moi-même,
Sans parole sévère et sans regard moqueur,
Les soutient de la main et me soutient du cœur ;
Celle qui, lorsqu'au mal pensif je m'abandonne,
Seule peut me punir et seule me pardonne ;

Qui de mes propres torts me console et m'absout;
A qui j'ai dit : « Toujours! » et qui m'a dit : « Partout! »
Elle! tout dans un mot! C'est dans ma froide brume
Une fleur de beauté que la bonté parfume!

D'une double nature hymen mystérieux!
La fleur est de la terre et le parfum des cieux !

(LES CHANTS DU CRÉPUSCULE.)

A. DE VIGNY.

(1799.)

Le comte Alfred de Vigny est né dans la petite ville de Loches, en Touraine, d'une famille noble et ancienne. Il entra jeune dans l'armée, servit douze ans, et se retira avec le grade de capitaine. Doué du génie poétique, M. de Vigny avait consacré aux muses ses loisirs de garnison, et publié plusieurs petits poëmes, dont les plus beaux sont Dolorida, Moïse, et surtout Éloa, peinture de l'abnégation et du dévouement de la fenime, représentée par Eloa, vierge-archange, formée d'une larme de l'Éternel. C'est un chef-d'œuvre d'élégance, de grâce et de délicatesse, auquel on ne peut reprocher qu'un peu d'effort, de recherche et d'apprêt. On dirait un épisode de la Messiade. M. de Vigny a fait depuis une traduction en vers de l'Othello de Skakspeare.

Les ouvrages en prose de M. de Vigny lui assurent une place non moins éminente parmi les prosateurs de notre époque. Nous lui devons Cinq-Mars, roman historique; Stello, peinture intéressante des souffrances et de la fin tragique de Chatterton, de Gilbert et d'André Chénier; Servitude el Grandeur mililaires, récit touchant de la vie dure et de l'héroïsme ignoré du soldat; et deux drames remarquables, Challerton et la Maréchale d'Ancre.

Naissance d'Eloa.

Il naquit sur la terre un ange, dans le temps
Où le Médiateur sauvait ses habitants.

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