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Ils vendent l'infamie à qui veut la payer;
Et, meublant de Maret la boutique infernale,
Ils dînent du mensonge et soupent du scandale...
On condamne à l'oubli de petits charlatans,
Mécontents du public, et d'eux-mêmes contents.
Mais c'est peu d'ennuyer les sots veulent proscrire.
A leur honte vénale on les a vus sourire;
Ils pouvaient, retranchés dans leur obscurité,
Échapper aux sifflets de la postérité :

Vaincus par l'ascendant d'une étoile ennemic,
Ils ont cherché l'éclat, l'argent et l'infamie.

Ah! ce n'est pas ainsi que les esprits bien faits
Méditent à loisir de durables succès :
Ils ne franchissent point la limite sacrée,
Et par eux la décence est toujours honorée.
L'écrivain philosophe, au-dessus des clameurs,
Instruit par la morale et même par ses mœurs.
La balance à la main, le sévère critique
Voit couronner son front du laurier didactique :
Armé de la satire, un utile censeur,

Avoué par le goût, en est le défenseur.
Le crime est au delà : tout libelliste avide,
Armé de l'imposture, est un lâche homicide.
Le plus vil a le prix dans un métier si bas;
Mentir est le talent de ceux qui n'en ont pas;
Nuire est la liberté qui convient aux esclaves :
Pour donner aux Français de nouvelles entraves,
De libelles fameux les auteurs inconnus

Ont sur ce noble droit fondé leurs revenus.

Comme eux, nos décemvirs, ces tyrans du génie,
Chérissaient, protégeaient, vantaient la calomnie,
Et du chêne civique ils couronnaient le front
Qu'à Rome on eût flétri d'un solennel affront.
Ah! si quelque insensé défendait leur système,
Regarde, lui dirais-je, et prononce toi-même.
Vois le crime, usurpant le nom de liberté,

Rouler dans nos remparts son char ensanglanté ;
Vois des pertes sans deuil, des morts sans mausolées;
Les grâces, les vertus, d'un long crêpe voilées;
Près d'elles le génie éteignant son flambeau,

Et les beaux-arts pleurant sur un vaste tombeau.
Ces malheurs sont récents. Quel monstre les fit naître?
A sa trace fumante on peut le reconnaître :
La Calomnie esclave, à la voix des tyrans,
De ses feux souterrains déchaîna les torrents,
Qui du Var à la Meuse, étendant leurs ravages,
Ont séché les lauriers croissant sur nos rivages.
Nos champs furent déserts, mais peuplés d'échafauds;
On vit les innocents jugés par les bourreaux.
La cruelle livrait aux fureurs populaires
Du sage Lamoignon les vertus séculaires.
Elle égorgeait Thouret, Barnave, Chapelier,
L'ingénieux Bailly, le savant Lavoisier,
Vergniaud dont la tribune a gardé la mémoire,
Et Custine qu'en vain protégeait la victoire.
Condorcet, plus heureux, libre dans sa prison,
Echappait au supplice en buvant le poison.
O temps d'ignominie, où, rois sans diadème,
Des brigands, parvenus à l'empire suprême,

Souillant la liberté d'éloges imposteurs,

Immolaient en son nom ses premiers fondateurs!

Allons, plats écoliers, maîtres dans l'art de nuire,
Divisant pour régner, isolant pour détruire,
Suivez encor d'Hébert 1 les sanglantes leçons;
Sur les bancs du sénat placez les noirs soupçons:
Qu'au milieu des journaux la loi naisse flétrie;
Dans les pouvoirs du peuple insultez la patrie;
Qu'un débat scandaleux s'élève, à votre voix,
Entre le créateur et l'organe des lois :
Empoisonnez de fiel la coupe domestique;
Etouffez les accents de la franchise antique;
Courez dans tous les cœurs attiédir l'amitié,
Séchez dans tous les yeux les pleurs de la pitié;
Opposez aux vivants l'éloquence des tombes:
Prêchez l'humanité, mais parlez d'hécatombes :
Plus coupables encor, tels que de noirs corbeaux,
Osez des morts fameux déchirer les lambeaux;
Auprès de leurs rayons rassemblez vos ténèbres :
Brisez vos faibles dents sur leurs pierres funèbres.
Ah! de ces demi-dieux si les noms révérés

Par la gloire et le temps n'étaient pas consacrés,
Leur immortalité deviendrait votre ouvrage;
La calomnie honore en croyant qu'elle outrage.

Narcisse et Tigellin, bourreaux législateurs,
De ces menteurs gagés se font les protecteurs:

1 Hébert, rédacteur d'un infâme journal appelé le Père Duchesne.

De toute renommée envieux adversaires,
Et d'un parti cruel plus cruels émissaires,
Odieux proconsuls, régnant par des complots,
Des fleuves consternés ils ont rougi les flots.
J'ai vu fuir, à leur nom, les épouses tremblantes;
Le Moniteur fidèle, en ses pages sanglantes,
Par le souvenir même inspire la terreur,
Et dénonce à Clio leur stupide fureur.
J'entends crier encor le sang de leurs victimes;
Je lis en traits d'airain la liste de leurs crimes.
Et c'est eux qu'aujourd'hui l'on voudrait excuser !
Qu'ai-je dit? On les vante! et l'on m'ose accuser!
Moi, jouet si longtemps de leur lâche insolence,
Proscrit pour mes discours, proscrit pour mon silence,
Seul attendant la mort, quand leur coupable voix
Demandait à grands cris du sang et non des lois !
Ceux que la France a vus ivres de tyrannie,
Ceux-là même dans l'ombre armant la calomnie,
Me reprochent le sort d'un frère infortuné
Qu'avec la calomnie ils ont assassiné !
L'injustice agrandit une âme libre et fière.

Ces reptiles hideux, sifflant dans la poussière,
En vain sèment le trouble entre son ombre et moi ;
Scélérats, contre vous elle invoque la loi.
Hélas! pour arracher la victime aux supplices,
De mes pleurs chaque jour fatiguant vos complices,
J'ai courbé devant eux mon front humilié :
Mais ils vous ressemblaient, ils étaient sans pitié.
Si, le jour où tomba leur puissance arbitraire,
Des fers et de la mort je n'ai sauvé qu'un frère,

Qu'au fond des noirs cachots un monstre avait plongé,
Et qui deux jours plus tard périssait égorgé,
Auprès d'André Chénier avant que de descendre,
J'élèverai la tombe où manquera sa cendre,
Mais où vivront du moins et son doux souvenir,
Et sa gloire et ses vers dictés pour l'avenir.
Là, quand de thermidor la septième journée
Sous les feux du Lion ramènera l'année,
O mon frère ! je veux, relisant tes écrits,
Chanter l'hymne funèbre à tes mânes proscrits.
Là, souvent tu verras près de ton mausolée
Tes frères gémissants, ta mère désolée,

Quelques amis des arts, un peu d'ombre et des fleurs,
Et ton jeune laurier grandira sous mes pleurs.

Ah! laissons là nos jours mêlés de noirs orages;
Voulons-nous remonter le long fleuve des âges?
Partout la Calomnie a, de traits imposteurs,

Du genre humain trompé noirci les bienfaiteurs.
Contre leur souvenir elle ose armer l'histoire:
Dans la nuit, sur le seuil du temple de mémoire,
Elle veille et combat l'auguste Vérité,

Qui s'avance à pas lents vers la postérité.
Aux intrigues de cour c'est elle qui préside :
Souvent elle embrasa de sa flamme homicide
Le tribunal auguste où dut siéger Thémis.
O juges des Calas, vous lui fûtes soumis !

Ses clameurs poursuivaient Abailard sous la haire,
L'Hôpital au conseil, Fénelon dans la chaire,

Turenne et Luxembourg sous les tentes de Mars;

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