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La mère et les enfants, qu'un peu d'ombre rassemble, Sur l'herbe autour du père, assis, rompent ensemble Et se passent entre eux de la main à la main

Les fruits, les œufs durcis, le laitage et le pain;

Et le chien, regardant le visage du père,
Suit d'un œil confiant les miettes qu'il espère.
Le repas achevé, la mère, du berceau

Qui repose couché dans un sillon nouveau,

Tire un très-bel enfant qui tend ses mains vers elle,

L'endort en le berçant du sein sur ses genoux,
Et s'endort elle-même un bras sur son époux;
Et sous le poids jour la famille sommeille
Sur la couche de terre, et le chien seul les veille;.
Et les anges de Dieu d'en haut peuvent les voir,
Et les songes du ciel sur leurs têtes pleuvoir.

(JOCELYN.)

VICTOR HUGO.

(1802.)

M. Victor Hugo, le chef de la nouvelle école littéraire, est né à Besançon ; il est fils du comte Hugo, lieutenant général sous l'empire. Son génie poétique se développa de bonne heure. A vingt ans, il publia

les Odes et Ballades, son premier recueil de poésies lyriques. Depuis, il a fait paraître successivement les Orientales; les Feuilles d'Automne, le meilleur de ses recueils; les Chants du Crépuscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres.

Ces différents recueils assurent peut-être à M. Victor Hugo la première place parmi nos poëtes lyriques. Il n'a que Lamartine pour rival. Ses plus belles odes atteignent la perfection du genre, et l'emportent sur toutes les odes françaises. Il s'y montre grand coloriste, grand musicien, grand poëte; son inspiration lyrique est vraie, profonde, puissante. Il excelle à associer le récit à l'ode, et à jeter l'intérêt et le drame au milieu du chant; il montre autant de variété et de richesse dans les émotions qu'il exprime que les plus grands poëtes de l'Angleterre et de l'Allemagne. Artiste éminent en fait de style, il a une langue colorée, splendide, d'une souplesse admirable; il montre une rare habileté dans la facture du vers et de la strophe; il sait pratiquer l'enjambement et déplacer la césure, sans nuire au rhythme poétique.

On reproche à M. Victor Hugo deux défauts dominants: un goût extrême pour la forme, l'image, la couleur, le son, en un mot pour la réalité matérielle, qui lui fait négliger l'idée pour le langage; et une passion excessive pour l'antithèse, pour l'opposition entre le bien et le mal, entre le beau et le laid, qui nous a valu cette triste réhabilitation de toutes les laideurs physiques et morales. A ce double défaut, on peut joindre quelques reproches de détails: M. Victor Hugo manque quelquefois de goût, de sobriété dans ses images, de pureté et d'élégance dans son style: on trouve dans la plupart de ses ouvrages des images inexactes, disgracieuses; des associations bizarres d'idées et de mots; des expressions impropres ou trop familières, et l'affectation du prosaïsme au milieu d'une éclatante poésie.

Au reste, les qualités l'emportent de beaucoup sur les défauts dans les poésies lyriques de M. Victor Hugo, mais il a été moins heureux dans ses drames. On voit avec peine ces personnages imaginaires et faux; cette mutilation de l'histoire, arrangée selon les caprices du poëte; cette réhabilitation systématique de toutes les laideurs; ces situations licencieuses, horribles; cette alliance du burlesque avec le grandiose, et ce mélange bizarre de la tragédie, de la comédie, de l'épopée, de l'ode et du dithyrambe. Hernani et les Burgraves sont les meilleurs de ses drames.

Nous avons encore de M. Victor Hugo des romans composés d'après le même système que les drames. Les deux plus remarquables sont le Dernier jour d'un Condamné et Notre-Dame de Paris.

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Le Bal.

Hélas! que j'en ai vu mourir de jeunes filles !
C'est le destin. Il faut une proie au trépas,
Il faut que l'herbe tombe au tranchant des faucilles,
Il faut que, dans le bal, les folâtres quadrilles
Foulent des roses sous leurs pas.

Une surtout, un ange, une jeune Espagnole!
Blanches mains, cœur gonflé de soupirs innocents,
Un œil noir où luisaient des regards de créole,
Et ce charme inconnu, cette fraîche auréole,
Qui couronne un front de quinze ans !

Elle aimait trop le bal, c'est ce qui l'a tuée.
Le bal éblouissant! le bal délicieux !
Sa cendre encor frémit, doucement remuée,
Quand dans la nuit sereine, une blanche nuée
Danse autour du croissant des cieux.

Elle aimait trop le bal. Quand venait une fête, Elle y pensait trois jours, trois nuits elle en rêvait; Et femmes, musiciens, danseurs que rien n'arrête, Venaient, dans son sommeil, troublant sa jeune tête, Rire et bruire à son chevet.

Puis, c'étaient des bijoux, des colliers, des merveilles, Des ceintures de moire aux ondoyants reflets;

Des tissus plus légers que des ailes d'abeilles;
Des festons, des rubans à remplir des corbeilles;
Des fleurs à paver un palais!

La fête commencée, avec ses sœurs rieuses,
Elle accourait froissant l'éventail sous ses doigts,
Puis s'asseyait parmi les écharpes soyeuses,
Et son cœur éclatait en fanfares joyeuses,
Avec l'orchestre aux mille voix.

C'était plaisir de voir danser la jeune fille!
Sa basquine agitait ses paillettes d'azur,

Ses grands yeux noirs brillaient sous la noire mantille, Telle une double étoile au front des nuits scintille Sous les plis d'un nuage obscur.

Tout en elle était danse, et rire, et folle joie.

Enfant! Nous l'admirions dans nos tristes loisirs;

Car ce n'est point au bal que le cœur se déploie :
La cendre y vole autour des tuniques de soie,
L'ennui sombre autour des plaisirs.

Mais elle, par la valse ou la ronde emportée,
Volait, et revenait, et ne respirait pas,

Et s'enivrait des sons de la flûte vantée,
Des fleurs, des lustres d'or, de la fête enchantée,
Du bruit des voix, du bruit des pas.

Quel bonheur de bondir, éperdue, en la foule,
De sentir par le bal ses sens multipliés,

Et de ne pas savoir si dans la nue on roule,
Si l'on chasse en fuyant la terre, ou si l'on foule
Un flot tournoyant sous ses pieds!

Mais, hélas! il fallait, quand l'aube était venue,
Partir, attendre au seuil le manteau de satin.
C'est alors que souvent la danseuse ingénue
Sentit en frissonnant sur son épaule nue
Glisser le souffle du matin.

Quels tristes lendemains laisse le bal folâtre!
Adieu parure, et danse, et rires enfantins!
Aux chansons succédait la toux opiniâtre;

Au plaisir rose et frais, la fièvre au teint bleuâtre;
Aux yeux brillants, les yeux éteints.

Elle est morte! A quinze ans, belle, heureuse, adorée!
Morte au sortir d'un bal qui nous mit tous en deuil,
Morte, hélas! et des bras d'une mère égarée,
La mort aux froides mains la prit toute parée,
Pour l'endormir dans le cercueil.

Pour danser d'autres bals elle était encore prête,
Tant la mort fut pressée à prendre un corps si beau!
Et ces roses d'un jour qui couronnaient sa tête,
Qui s'épanouissaient la veille en une fète,

Se fanèrent dans un tombeau...

Vous toutes qu'à ses jeux le bal riant convie,
Pensez à l'Espagnole atteinte sans retour,

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