Sur leur sein pâle et sans reflets Loin de Dieu, là sont renfermés Le calme d'un vague loisir, Là, ni veille ni lendemain ! Leurs sanglots ne troublent jamais Mais aussi leur rire jamais N'est qu'un sourire. Sur leurs doux traits que de pâleur! Adieu cette fraîche couleur Qui de baiser leur joue en fleur Donnait l'envie ! De leurs yeux, qui charment d'abord, Le morne éclat n'est pas la mort, Rien de bruyant, rien d'agité Ils se parlent, mais c'est tout bas; (UN MIRACLE, poëme, chant II.) Adieu à la Madeleine1. Adieu, Madeleine chérie, Qui te réfléchis dans les eaux, Assis sur la rive opposée, Et, d'un brouillard pâle entourée, 1 La Madeleine, près de Vernon (Eure), maison de campagne de C. Delavigne, qui se vit obligé de la vendre. Quand le jour meurt avec le bruit, Doux trésors de ma moisson mûre, Cette fenêtre était la tienne, Bien des printemps dans ma persienne, Où je n'osais le déranger; Dès que la feuille était fanée, Tu partais la première, et moi, Avant toi je pars cette année; Mais reviendrai-je comme toi? Qu'ils soient l'amour d'un autre maître, Sous l'été les roses mourir; Je ne l'y verrai pas fleurir. Ainsi tout passe, et l'on délaisse Adieu, chapelle qui protége Du haut de leurs rameaux tremblants, Adieu, flots, dont le cours tranquille, Couvert de berceaux verdoyants, A ma nacelle, d'île en île, Ouvrait mille sentiers fuyants, Quand, rêveuse, elle allait sans guide Adieu, chers témoins de ma peine, Madeleine, adieu pour jamais! Je pars; il le faut, et je cède; Mais le cœur me saigne en partant. Soit heureux où nous l'étions tant! BERANGER. (1780.) Pierre-Jean de Beranger, le plus populaire de nos poëtes vivants, est né à Paris d'une famille pauvre. Il fit son éducation presque tout seul par la lecture; mais il n'apprit ni le grec ni le latin. En 1809, il obtint une place de commis expéditionnaire dans les bureaux du minis tère de l'instruction publique; il la perdit en 1821, après la publication de son second recueil de chansons. En 1830, ses amis arrivèrent au pouvoir, et lui offrirent des places et des honneurs; Béranger refusa tout, et resta chansonnier. Béranger a publié quatre recueils de chansons. Tantôt il célèbre la gloire et les malheurs de la patrie, les grandeurs et les infortunes de la famille impériale, l'humanité, la liberté, l'égalité; tantôt il chansonne la royauté des Bourbons, les nobles, les courtisans, les jésuites, le clergé, les vieux usages du passé. Ses chansons, à la portée de tous les esprits, exercèrent une grande influence sur la révolution de 1830. Le mérite de Béranger a.été de devenir créateur dans un genre qu'on croyait usé. Il sait introduire tous les tons dans la chanson, comme la Fontaine les avait introduits dans la fable; il y donne accès aux plus fiers élans de la poésie lyrique et aux plus douces effusions de l'àme Sous le rapport du style, il a une clarté, une pureté, une élégance, une précision, qui ne laissent à désirer que la grâce de la facilité. 1 On regrette que poésie de Béranger soit tout épicurienne, toute |