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Sur leur sein pâle et sans reflets
Languissent des oiseaux muets :
Dans le ciel, l'onde et les forêts,
Tout est silence.

Loin de Dieu, là sont renfermés
Les milliers d'êtres tant aimés,
Qu'en ces bosquets inanimés
La tombe envoie.

Le calme d'un vague loisir,
Sans regret comme sans désir,
Sans peine comme sans plaisir,
C'est là leur joie.

Là, ni veille ni lendemain !
Ils n'ont sur un bonheur prochain,
Sur celui qu'on rappelle en vain,
Rien à se dire.

Leurs sanglots ne troublent jamais
De l'air l'inaltérable paix ;

Mais aussi leur rire jamais

N'est qu'un sourire.

Sur leurs doux traits que de pâleur! Adieu cette fraîche couleur

Qui de baiser leur joue en fleur

Donnait l'envie !

De leurs yeux, qui charment d'abord,
Mais dont aucun éclair ne sort,

Le morne éclat n'est pas la mort,
N'est pas la vie,

Rien de bruyant, rien d'agité
Dans leur triste félicité!
Ils se couronnent sans gaîté
De fleurs nouvelles.

Ils se parlent, mais c'est tout bas;
Ils marchent, mais c'est pas à pas;
Ils volent, mais on n'entend pas
Battre leurs ailes.

(UN MIRACLE, poëme, chant II.)

Adieu à la Madeleine1.

Adieu, Madeleine chérie,

Qui te réfléchis dans les eaux,
Comme une fleur de la prairie
Se mire au cristal des ruisseaux.
Ta colline, où j'ai vu paraître
Un beau jour qui s'est éclipsé,
J'ai rêvé que j'en étais maître;
Adieu! ce doux rêve est passé.

Assis sur la rive opposée,
Je te vois, lorsque le soleil
Sur tes gazons boit la rosée,
Sourire encore à ton réveil,

Et, d'un brouillard pâle entourée,

1 La Madeleine, près de Vernon (Eure), maison de campagne de

C. Delavigne, qui se vit obligé de la vendre.

Quand le jour meurt avec le bruit,
Blanchir comme une ombre adorée
Qui vous apparaît dans la nuit.

Doux trésors de ma moisson mûre,
De vos épis un autre est roi;
Tilleuls dont j'aimais le murmure,
Vous n'aurez plus d'ombre pour moi.
Ton coq peut tourner à sa guise,
Clocher, que je fuis sans retour :
Ce n'est plus à moi que la brise
Lui dit d'annoncer un beau jour.

Cette fenêtre était la tienne,
Hirondelle, qui vins loger

Bien des printemps dans ma persienne,

Où je n'osais le déranger;

Dès que la feuille était fanée,

Tu partais la première, et moi,

Avant toi je pars cette année;

Mais reviendrai-je comme toi?

Qu'ils soient l'amour d'un autre maître,
Ces pêchers dont j'ouvris les bras!
Leurs fruits verts, je les ai vus naître ;
Rougir je ne les verrrai pas.
J'ai vu des bosquets que je quitte

Sous l'été les roses mourir;
J'y vois planter la marguerite :

Je ne l'y verrai pas fleurir.

Ainsi tout passe, et l'on délaisse
Les lieux où l'on s'est répété :
« Ici luira sur ma vieillesse
« L'azur de son dernier été. »
Heureux, quand on les abandonne,
Si l'on part, en se comptant tous,
Si l'on part sans laisser personne
Sous l'herbe qui n'est plus à vous.

Adieu, chapelle qui protége
Le pauvre contre ses douleurs;
Avenue où, foulant la neige
De mes acacias en fleurs,
Lorsque le vent l'avait semée

Du haut de leurs rameaux tremblants,
Je suivais quelque trace aimée,
Empreinte sur ses flocons blancs.

Adieu, flots, dont le cours tranquille, Couvert de berceaux verdoyants,

A ma nacelle, d'île en île,

Ouvrait mille sentiers fuyants,

Quand, rêveuse, elle allait sans guide
Me perdre en suivant vos détours
Dans l'ombre d'un dédale humide
Où je me retrouvais toujours.

Adieu, chers témoins de ma peine,
Forêt, jardins, flots que j'aimais!
Adieu, ma fraîche Madeleine!

Madeleine, adieu pour jamais!

Je pars; il le faut, et je cède;

Mais le cœur me saigne en partant.
Qu'un plus riche qui te possède

Soit heureux où nous l'étions tant!

BERANGER.

(1780.)

Pierre-Jean de Beranger, le plus populaire de nos poëtes vivants, est né à Paris d'une famille pauvre. Il fit son éducation presque tout seul par la lecture; mais il n'apprit ni le grec ni le latin. En 1809, il obtint une place de commis expéditionnaire dans les bureaux du minis tère de l'instruction publique; il la perdit en 1821, après la publication de son second recueil de chansons. En 1830, ses amis arrivèrent au pouvoir, et lui offrirent des places et des honneurs; Béranger refusa tout, et resta chansonnier.

Béranger a publié quatre recueils de chansons. Tantôt il célèbre la gloire et les malheurs de la patrie, les grandeurs et les infortunes de la famille impériale, l'humanité, la liberté, l'égalité; tantôt il chansonne la royauté des Bourbons, les nobles, les courtisans, les jésuites, le clergé, les vieux usages du passé. Ses chansons, à la portée de tous les esprits, exercèrent une grande influence sur la révolution de 1830. Le mérite de Béranger a.été de devenir créateur dans un genre qu'on croyait usé. Il sait introduire tous les tons dans la chanson, comme la Fontaine les avait introduits dans la fable; il y donne accès aux plus fiers élans de la poésie lyrique et aux plus douces effusions de l'àme Sous le rapport du style, il a une clarté, une pureté, une élégance, une précision, qui ne laissent à désirer que la grâce de la facilité.

1

On regrette que

poésie de Béranger soit tout épicurienne, toute

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