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MARTINE.

Ce n'est point à la femme à prescrire, et je sommes Pour céder le dessus en toute chose aux hommes.

C'est bien dit.

CHRYSALE.

MARTINE.

Mon congé cent fois me fût-il hoc,

La poule ne doit point chanter devant le coq.

Sans doute.

CHRYSALE.

MARTINE.

Et nous voyons que d'un homme on se gausse, Quand sa femme chez lui porte le haut-de-chausse.

Il est vrai.

CHRYSALE.

MARTINE.

Si j'avois un mari, je le dis,
Je voudrois qu'il se fit le maître du logis.
Je ne l'aimerois point, s'il faisoit le jocrisse;
Et, si je contestois contre lui par caprice,
Si je parlois trop haut, je trouverois fort bon
Qu'avec quelques soufflets il rabaissât mon ton.

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MARTINE.

Par quelle raison, jeune et bien fait qu'il est, Lui refuser Clitandre? Et pourquoi, s'il vous plaît, Lui bailler un savant qui sans cesse épilogue? Il lui faut un mari, non pas un pédagogue; Et, ne voulant savoir le grais ni le latin,

Elle n'a pas besoin de monsieur Trissotin.

Fort bien.

CHRYSALE.

PHILAMINTE.

Il faut souffrir qu'elle jase à son aise.

MARTINE.

Les savants ne sont bons que pour prêcher en chaise; Et pour mon mari, moi, mille fois je l'ai dit,

Je ne voudrois jamais prendre un homme d'esprit.
L'esprit n'est point du tout ce qu'il faut en ménage.
Les livres cadrent mal avec le mariage;

Et je veux, si jamais on engage ma foi,
Un mari qui n'ait point d'autre livre que moi,
Qui ne sache A ni B, n'en déplaise à madame,
Et ne soit, en un mot, docteur que pour sa femme.
PHILAMINTE, à Chrysale.

Est-ce fait? Et sans trouble ai-je assez écouté
Votre digne interprète ?

CHRYSALE.

Elle a dit vérité.

PHILAMINTE.

Et moi, pour trancher court toute cette dispute,

Il faut qu'absolument mon désir s'exécute.

(Montrant Trissotin.)

Henriette et monsieur seront joints de ce pas :
Je l'ai dit, je le veux; ne me répliquez pas.
Et si votre parole à Clitandre est donnée,
Offrez-lui le parti d'épouser son aînée.

CHRYSALE.

Voilà dans cette affaire un accommodement. (Les Femmes savantes, acte V, scène III.)

LA FONTAINE.

(1621-1695.)

Jean de La Fontaine, le plus grand des fabulistes, était fils d'un maître des eaux et forêts, de Château-Thierry. Son enfance n'eut rien de remarquable. A vingt-deux ans, son génie poétique s'éveilla à la lecture d'une ode de Malherbe. Il débuta par des contes en vers, dans lesquels la décence est trop souvent offensée. Ses fables, que tout le monde sait par cœur, se font remarquer par un ton de naïveté, de bonhomie, de finesse, qui l'a fait surnommer l'inimitable. On dirait une chronique des animaux, écrite par un homme simple, qui a l'air de répéter sérieusement les contes qu'il s'est laissé faire.

On a souvent comparé La Fontaine à Molière, Comme notre grand comique, il descend dans le plus profond de nos travers et de nos faiblesses, et transporte dans l'apologue la peinture des mœurs et des carac tères. Ses fables sont réellement, suivant son expression,

Un drame à cent acteurs divers.

Le bon La Fontaine, qui a des traits comiques et satiriques dignes de Molière et de Boileau, se montre quelquefois tendre et délicat comme Racine, eloquent et sublime comme Bossuet. A tous ces mérites, il joint à un degré éminent le titre de grand peintre de la nature. Il peint d'un

trait, par le mouvement de ses vers, par la variété de ses mesures et de ses repos, et surtout par l'harmonie imitative.

Rien n'est plus connu que les distractions, la bonhomie, l'imprévoyance de La Fontaine. Ses dépenses excédaient ses revenus; il établissait la balance en vendant son patrimoine par morceaux, et en mangeant ainsi le fonds avec le revenu, comme il le dit lui-même dans son épitaphe:

Jean s'en alla comme il étoit venu,
Mangeant son fonds avec son revenu,
Croyant trésor chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien sut le dispenser
Deux parts en fit, dont il souloit 1 passer

L'une à dorinir, et l'autre à ne rien faire,

Des femmes aimables, le voyant si peu soigneux pour ses affaires, s'en chargèrent avec toute la sollicitude de l'amitié. L'histoire conservera le nom de la belle et charmante madame de La Sablière, qui reçut notre fabuliste chez elle, et le garda pendant vingt ans. A sa mort, il fut recueilli par madame d'Hervart. A l'âge de soixante et dix ans, il fut ramené à la religion, qu'il avait trop négligée pendant toute sa vie.

On a encore de lui des comédies, des opéras, des ballades, des rondeaux et une admirable élégie, sur la disgrâce de Fouquet, son protec teur.

La Laitière et le Pot au lait.

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait,
Bien posé sur un coussinet,

Prétendoit arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle alloit à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière, ainsi troussée,

Comptoit déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait, en employoit l'argent,

1 Il avait coutume; du latin solere.

Achetoit un cent d'œufs, faisoit triple couvée ;
La chose alloit à bien par son soin diligent:
« Il m'est, disoit-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison;
Le renard sera bien habile,

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son;
Il étoit, quand je l'eus, de grosseur raisonnable:
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est1, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau? »
Perrette là-dessus saute aussi transportée :
Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée".
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;

On l'appela le Pot au lait.

(Livre VII, fable 10.)

Le Loup et l'Agneau.

La raison du plus fort est toujours la meilleure,

Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltéroit

Dans le courant d'une onde pure.

1 Il y a équivoque; il se rapporte-t-il à porc ? 2 Couvée et transportée, mauvaise rime.

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