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Semblablement où est la royne
Qui commanda que Buridan
Fut jetté en ung sac en Seine ?...
Mais où sont les neiges d'antan?

La royne blanche comme ung lys
Qui chantoit à voix de séreine,
Berthe au grand pied, Biétris, Allys,
Harembouges qui tint le Mayne,
Et Jehanne la bonne Lorraine
Que Angloys bruslèrent à Rouen ?
Où sont-ilz, vierge souveraine?...
Mais où sont les neiges d'antan?

Prince, n'enquérez de sepmaine
Où elles sont, ne de cest an,
Que ce refrain ne vous remaine :
Mais où sont les neiges d'antan?

SEIZIÈME SIÈCLE.

Au commencement du xvie siècle, la langue avait acquis une naïveté maligne, de la grâce, les qualités du récit, et ce bon sens, qui est un des caractères dominants de notre littérature. Mais elle était encore imparfaite; on trouve dans les meilleurs poëtes des longueurs, de nombreuses parenthèses, un manque de liaison dans les idées, des hiatus désagréables, des enjambements forcés et des idiotismes locaux peu intelligibles à la généralité des lecteurs. C'est au XVIe siècle, que notre langue se débarrassa de ses défauts, et revêtit le caractère qui lui est propre. Les poëtes contribuèrent beaucoup à cette heureuse réforme. Marot fit entrer dans la poésie plus d'esprit, de grâce, de finesse et d'élégance; Ronsard lui donna du nombre, de la pompe, de l'harmonie; Régnier écrivit les premières satires avec une facilité, une verve, une vigueur et une originalité, rarement égalées par ses successeurs; Malherbe fit la théorie de la langue poétique, et fut le premier modèle du style noble et le créateur de notre poésie lyrique.

MAROT.

(1495-1544.)

Le premier nom illustre dans l'histoire de la poésie française, au XVIe siècle, est celui de Clément Marot. Il naquit à Cahors ; il était fils de Jean Marot, poëte aimable, et valet de chambre de Marguerite de Valois, sœur de François Ier. A dix-huit ans, il remplaça son père auprès de cette princesse, devenue reine de Navarre. Il la quitta pour entrer au service du roi, dont il devint le poëte favori. Marot, ayant embrassé la réforme, fut arrêté et deux fois forcé de quitter la France; il mourut à Turin. C'est au séjour de la cour et au commerce des grands qu'il dut cette élégance et cette délicatesse que l'influence des femmes commençait à répandre alors sur les mœurs et sur les esprits, et que le pauvre Villon ne connut jamais.

Marot a été rarement surpassé dans l'épigramme, le madrigal, et dans l'épître familière, même par Voltaire. On a encore de lui des élégies, des rondeaux, des sonnets, des ballades, et une traduction en vers des psaumes de David, qui est aujourd'hui à peu près oubliée.

La naïveté, si aimée dans Marot, devient de la grâce; elle est chez lui un don naturel. Il reste naïf, lors même qu'il exprime les idées les plus fines, les plus déliées. On a souvent essayé d'imiter ce style, appelé marotique, qui consiste dans l'emploi de certains mots vieillis, dans des tournures anciennes pleines d'une grâce naïve, dans la suppression de l'article, et dans quelques inversions, qui rendent 'expression plus vive et plus piquante.

Epître à François Ier.

On dit bien vrai : la mauvaise fortune
Ne vient jamais qu'elle n'en apporte une,
Ou deux, ou trois avecques elle : Sire,
Votre cœur noble en sçauroit bien que dire ;
Et moi, chétif, qui ne suis roi ni rien,
L'ai éprouvé, et vous conterai bien,
Si vous voulez, comment vint la besogne.

J'avois, un jour, un valet de Gascogne,
Gourmand, ivrogne et assuré menteur,
Pipeur 1, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart 2 de cent pas à la ronde,
Au demeurant le meilleur fils du monde.

Ce vénérablei lot 3 fut averti

De quelque argent que m'aviez départi,
Et que ma bourse avoit grosse apostume.
Si se leva plus tôt que de coutume,
Et me va prendre en tapinois icelle,
Puis vous la mit très-bien sous son aisselle,
Argent et tout, cela se doit entendre,

Et ne crois point que ce fût pour la rendre ;
Car oncques puis n'en ai ouï parler.

1 Pipeur, trompeur au jeu.

2 La hart, la corde.

3 Ilot pour ilote, es lave de Sparte.

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