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Tu vois le jour, Cinna; mais ceux dont tu le tiens,
Furent les ennemis de mon père et les miens:
Au milieu de leur camp tu reçus la naissance;
Et lorsque, après leur mort, tu vins en ma puissance,
Leur haine, enracinée au milieu de ton sein,
T'avoit mis contre moi les armes à la main.
Tu fus mon ennemi même avant que de naître,
Et tu le fus encor quand tu me pus connoître,
Et l'inclination n'a jamais démenti

Ce sang qui t'avoit fait du contraire parti.
Autant que tu l'as pu, les effets l'ont suivie.
Je ne m'en suis vengé qu'en te donnant la vie :
Je te fis prisonnier pour te combler de biens;
Ma cour fut ta prison, mes faveurs tes liens.
Je te restituai d'abord ton patrimoine,
Je t'enrichis après des dépouilles d'Antoine;
Et tu sais que depuis, à chaque occasion,
Je suis tombé pour toi dans la profusion.
Toutes les dignités que tu m'as demandées,
Je te les ai sur l'heure et sans peine accordées;
Je t'ai préféré même à ceux dont les parents
Ont jadis dans mon camp tenu les premiers rangs,
A ceux qui de leur sang m'ont acheté l'empire,
Et qui m'ont conservé le jour que je respire :
De la façon, enfin, qu'avec toi j'ai vécu,

Les vainqueurs sont jaloux du bonheur du vaincu.
Quand le ciel me voulut, en rappelant Mécène,
Après tant de faveurs montrer un peu de haine,
Je te donnai sa place en ce triste accident;
Je te fis, après lui, mon plus cher confident.

Aujourd'hui même encor, mon âme irrésolue,
Me pressant de quitter ma puissance absolue,
De Maxime et de toi j'ai pris les seuls avis,
Et ce sont malgré lui les tiens que j'ai suivis.
Bien plus, ce même jour je te donne Émilie,
Le digne objet des vœux de toute l'Italie,

Et qu'ont mise si haut mon amour et mes soins,
Qu'en te couronnant roi je t'aurois donné moins.
Tu t'en souviens, Cinna, tant d'heur et tant de gloire
Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire;
Mais, ce qu'on ne pourroit jamais s'imaginer,
Cinna, tu t'en souviens et veux m'assassiner.

CINNA.

Moi! seigneur, moi, que j'eusse une âme si traîtresse ! Qu'un si lâche dessein...

AUGUSTE.

Tu tiens mal ta promesse : Sieds-toi1, je n'ai pas dit encor ce que je veux. Tu te justifieras après, si tu le peux: Écoute cependant, et tiens mieux ta parole.

Tu veux m'assassiner, demain, au Capitole,
Pendant le sacrifice; et ta main pour signal
Me doit, au lieu d'encens, donner le coup fatal;
La moitié de tes gens doit occuper la porte,
L'autre moitié te suivre et te prêter main-forte.
Ai-je de bons avis ou de mauvais soupçons?
De tous ces meurtriers te dirai-je les noms?

1 Aujourd'hui on dit: Assieds-toi.

Procule, Glabrion, Virginian, Rutile,

Marcel, Plaute, Lénas, Pompone, Albin, Icile,
Maxime, qu'après toi j'avois le plus aimé.

Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé :
Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes,
Que pressent de mes lois les ordres légitimes,
Et qui, désespérant de les plus éviter,
Si tout n'est renversé, ne sauroient subsister.
Tu te tais maintenant, et gardes le silence,
Plus par confusion que par obéissance.
Quel étoit ton dessein et que prétendois-tu,
Après m'avoir au temple à tes pieds abattu?
Affranchir ton pays d'un pouvoir monarchique?
Si j'ai bien entendu tantôt ta politique,
Son salut désormais dépend d'un souverain
Qui, pour tout conserver, tienne tout en sa main;
Et, si sa liberté te faisoit entreprendre1,

Tu ne m'eusses jamais empêché de la rendre;
Tu l'aurois acceptée au nom de tout l'État,
Sans vouloir l'acquérir par un assassinat.
Quel était donc ton but? De régner à ma place?
D'un étrange malheur son destin la menace,
Si pour monter au trône et lui donner la loi,
Tu ne trouves dans Rome autre obstacle que moi;
Si jusques à ce point son sort est déplorable,
Que tu sois après moi le plus considérable,
Et que ce grand fardeau de l'empire romain
Ne puisse, après ma mort, tomber mieux qu'en ta main.

1 Entreprendre pour former cette entreprise.

Apprends à te connoître et descends en toi-même :
On t'honore dans Rome, on te courtise, on t'aime;
Chacun tremble sous toi, chacun t'offre des vœux;
Ta fortune est bien haut, tu peux ce que tu veux;
Mais tu ferois pitié même à ceux qu'elle irrite,
Si je t'abandonnois à ton peu de mérite.
Ose me démentir, dis-moi ce que tu vaux,
Conte-moi tes vertus, tes glorieux travaux,
Les rares qualités par où tu m'as dû plaire,
Et tout ce qui t'élève au-dessus du vulgaire.
Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient;
Elle seule t'élève, et seule te soutient;

C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne;
Tu n'as crédit, ni rang qu'autant qu'elle t'en donne;
Et pour te faire choir je n'aurois aujourd'hui
Qu'à retirer la main qui seule est ton appui.
J'aime mieux toutefois céder à ton envie,
Règne, si tu le peux, aux dépens de ma vie.
Mais oses-tu penser que les Serviliens,
Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens,
Et tant d'autres enfin de qui les grands courages
Des héros de leur sang sont les vives images,
Quittent le noble orgueil d'un sang si généreux,
Jusqu'à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux?
Parle, parle, il est temps.

(CINNA, acte V, scène 1.)

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Quoi! vous mêler aux vœux d'une troupe infidèle !
Oubliez-vous déjà que vous êtes chrétien?

POLYEUCTE.

Vous, par qui je le suis, vous en souvient-il bien?

NÉARQUE.

J'abhorre les faux dieux.

POLYEUCTE.

Et moi, je les déteste.

NÉARQUE.

Je tiens leur culte impie.

POLYEUCTE.

Et je le tiens funeste.

NÉARQUE.

Fuyez donc leurs autels.

POLYEUCTE.

Je les veux renverser,

Et mourir dans leur temple, ou les y terrasser.
Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des hommes,
Braver l'idolâtrie, et montrer qui nous sommes.

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