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DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.

Pendant le xvIe siècle, la langue avait pris des formes arrêtées, et acquis la plupart des qualités qui la caractérisent. Mais ces qualités étaient mêlées à beaucoup de défauts: on trouve dans la plupart des écrivains la licence et la grossièreté qui régnaient dans les mœurs, du mauvais goût, des sentiments exagérés, une affectation ridicule, et cette emphase espagnole dont Corneille lui-même ne sut pas toujours se défendre. Ce fut au dix-septième siècle que ces défauts disparurent pour faire place à la décence, au bon goût, au naturel, à l'élégance, à la politesse, et que la langue parvint à ce degré de perfection qui la fixa telle qu'elle existe. Pendant cette mémorable époque, les poëtes rivalisèrent de génie et de talent avec les prosateurs; et Molière, Corneille, La Fontaine, Racine et Boileau balancèrent la gloire de Bossuet, de Pascal, de Descartes, de Fénelon, de La Bruyère et de madame de Sévigné.

RACAN.

(1589-1670.)

Honorat de Beuil, marquis de Racan, né à la Roche-Racan, en Tour raine, fut page de Henri IV, puis militaire. Il quitta le service avec le grade de maréchal de camp, et se livra aux lettres. Il a laissé des Mémoires sur la vie de Malherbe, son maître; des Bergeries, recueil d'idylles; des odes sacrées, tirées des psaumes, et des poésies diverses. Racan exprime avec grâce les petits détails; mais son style manque de force et de correction. On connaît les vers de Boileau :

Malherbe d'un héros peut vanter les exploits;
Racan, chanter Philis, les bergers et les bois.

Stances sur la retraite.

1

Tircis, il faut songer à faire la retraite 1;
La course de nos jours est plus qu'à demi faite;
L'âge insensiblement nous conduit à la mort :
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde

1 On dirait aujourd'hui faire retraite.

Errer au gré des flots notre nef vagabonde;
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable:
Plus on est élevé, plus on court de dangers :
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,
Et la rage des vents brise plutôt le faîte

Des palais de nos rois que les toits des bergers.

Oh! bienheureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain désir de gloire
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs ;
Et qui, loin retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison, content de sa fortune,
A, selon son pouvoir, modéré ses désirs!

Il laboure le champ que labouroit son père,
Il ne s'informe point de ce qu'on délibère
Dans ces graves conseils d'affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages,
Et n'observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés.

Roi de ses passions, il a ce qu'il désire ;
Son fertile domaine est son petit empire,
Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau,
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces;

Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau...

1

Crois-moi, retirons-nous hors de la multitude,
Et vivons désormais loin de la servitude

De ces palais dorés où tout le monde accourt;
Sous un chêne élevé, les arbrisseaux s'ennuient,
Et devant le soleil tous les astres s'enfuient,
De peur d'être obligés de lui faire la cour.

CORNEILLE.

(1606-1684.)

Pierre Corneille, fils d'un avocat anobli de Rouen, fut destiné au barreau; mais il préféra le théâtre. Il débuta par des comédies, bien supérieures pour la plupart à celles de ses contemporains. Molière avouait qu'il devait beaucoup au Men leur, la meilleure comédie de Corneille; cette pièce lui fit voir que c'était non dans l'intrigue, mais dans les mœurs et les caractères, qu'il fallait chercher la bonne comédie.

C'est dans la scène tragique que Corneille devait s'élever à une hauteur dont le plus heureux de ses rivaux ne l'a pas fait descendre. Il créa la tragédie fr .nçaise; il lui donna un but moral, et la fit servir à élever l'âme de Tomme, en lui montrant sans cesse des objets grands et dignes d'admiration. Il peignit l'héroïsme sous toutes ses formes: l'héroïsme de l'amour et de l'honneur, dans le Cid; l'héroïsme de l'amour de la patrie, dans Horace; l'héroïsme de la clémence, dans Cinna; l'héroïsme de la religion et de la fidélité conjugale, dans Polyeucle; l'héroïsme de l'a

1 On dirait aujourd'hui: IL se contente.

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