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L'Aveugle et le Paralytique.

Aidons-nous mutuellement,

La charge des malheurs en sera plus légère;
Le bien que l'on fait à son frère

Pour le mal que l'on souffre est un soulagement.
Confucius l'a dit : suivons tous sa doctrine.
Pour la persuader aux peuples de la Chine,
Il leur contait le trait suivant :

Dans une ville de l'Asie

Il existait deux malheureux,

L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux.
Ils demandaient au ciel de terminer leur vie;
Mais leurs vœux étaient superflus :

Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique,
Couché sur un grabat dans la place publique,
Souffrait sans être plaint; il en souffrait bien plus.
L'aveugle, à qui tout pouvait nuire,

Était sans guide, sans soutien,

Sans avoir même un pauvre chien
Pour l'aimer et pour le conduire.
Un certain jour il arriva

Que l'aveugle à tâtons, au détour d'une rue,
Près du malade se trouva;

Il entendit ses cris, son âme en fut émue;
Il n'est tels que les malheureux

1 Il n'est tels que, il n'est personne comme.

Pour se plaindre les uns les autres.

« J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres; Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux. Hélas! dit le perclus, vous ignorez, mon frère, Que je ne puis faire un seul pas;

Vous-même vous n'y voyez pas :

A quoi nous servirait d'unir notre misère? - A quoi! répond l'aveugle. Écoutez à nous deux, Nous possédons le bien à chacun nécessaire :

J'ai des jambes et vous des yeux;

Moi, je vais vous porter, vous, vous serez mon guide
Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés;

Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez.
Ainsi, sans que jamais notre amitié décide

Qui de nous deux remplit le plus utile emploi,
Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. »

Le Danseur de corde et le Balancier.

Sur la corde tendue un jeune voltigeur
Apprenait à danser; et déjà son adresse,
Ses tours de force, de souplesse,

Faisaient venir maint spectateur.

Sur son étroit chemin on le voit qui s'avance,
Le balancier en main, l'air libre, le corps droit,
Hardi, léger autant qu'adroit;

Il s'élève, descend, va, vient, plus haut s'élance,
Retombe, remonte en cadence,

Et semblable à certains oiseaux

Qui rasent en volant la surface des eaux,

Son pied touche, sans qu'on le voie,
A la corde qui plie, et dans l'air le renvoie.
Notre jeune danseur, tout fier de son talent,
Dit un jour : « A quoi bon ce balancier pesant
Qui me fatigue et m'embarrasse?

Si je dansais sans lui, j'aurais bien plus de grâce
De force et de légèreté. »

Aussitôt fait que dit. Le balancier jeté,

Notre étourdi chancelle, étend les bras et tombe;
Il se cassa le nez, et tout le monde en rit.

Jeunes gens, jeunes gens, ne vous a-t-on pas dit
Que, sans règle et sans frein, tôt ou tard on succombe?
La vertu, la raison, les lois, l'autorité,

Dans vos désirs fougueux vous causent quelque peine;
C'est le balancier qui vous gêne,
Mais qui fait votre sûreté.

La Brebis et le Chien.

La brebis et le chien, de tous les temps amis,
Se racontaient un jour leur vie infortunée.
<«< Ah! disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe au malheur de notre destinée.
Toi, l'esclave de l'homme, adorant des ingrats,
Toujours soumis, tendre et fidèle,

Tu reçois, pour prix de ton zèle,
Des coups et souvent le trépas.

Moi, qui tous les ans les habille,

Qui leur donne du lait et qui fume leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu'un de ma famille

Assassiné par ces méchants.

Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
Victimes de ces inhumains,

Travailler pour eux seuls et mourir par leurs mains, Voilà notre destin funeste!

- Il est vrai, dit le chien; mais crois-tu plus heureux Les auteurs de notre misère?

Va, ma sœur, il vaut encor mieux
Souffrir le mal que de le faire. »

L'Habit d'arlequin.

Un jour de mardi gras j'étais à la fenêtre
D'un oiseleur de mes amis,

Quand sur le quai je vis paraître

Un petit arlequin leste, bien fait, bien mis,
Qui, la batte à la main, d'une grâce légère,
Courait après un masque en habit de bergère.
Le peuple applaudissait par des ris, par des cris.
Tout près de moi, dans une cage,

Trois oiseaux étrangers, de différent plumage,
Perruche, cardinal, serin,

Regardaient aussi l'arlequin.

La perruche disait : « J'aime peu son visage;
Mais son charmant habit n'eut jamais son égal :

Il est d'un si beau vert!

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Vert? dit le cardinal,

Vous n'y voyez donc pas, ma chère?
L'habit est rouge assurément;
Voilà ce qui le rend charmant.

Oh! pour celui-là, mon compère, Répondit le serin, vous n'avez pas raison,

Car l'habit est jaune-citron;

Et c'est ce jaune-là qui fait tout son mérite.
Il est vert.—Il est jaune. — Il est rouge, morbleu ! »
Interrompt chacun avec feu;

Et déjà le trio s'irrite.

« Amis, apaisez-vous, leur crie un bon pivert;
L'habit est jaune, rouge et vert.

Cela vous surprend fort, voici tout le mystère :
Ainsi que bien des gens d'esprit et de savoir,
Mais qui d'un seul côté regardent une affaire,
Chacun de vous ne veut y voir

Que la couleur qui sait lui plaire. »

Le Singe qui montre la Lanterne magique,

Messieurs les beaux esprits, dont la prose et les vers
Sont d'un style pompeux et toujours admirable,
Mais que l'on n'entend point, écoutez cette fable,
Et tâchez de devenir clairs,

Un homme qui montrait une lanterne magique
Avait un singe dont les tours

Attiraient chez lui grand concours;

Jacqueau, c'était son nom, sur la corde élastique
Dansait et voltigeait au mieux,

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