Deux fiers serpents soudain sortent ensemble, Rampent de front, vont à replis égaux ; L'un près de l'autre ils glissent, et sur l'herbe Laissent loin d'eux de tortueux sillons; Les yeux en feu, lèvent d'un air superbe Leurs cous mouvants, gonflés de noirs poisons; Et vers le ciel deux menaçantes crêtes, Rouges de sang, se dressent sur leurs têtes. Sans s'arrêter, sans jeter un regard Sur mille enfants fuyant de toute part, Le couple affreux d'une ardeur unanime 1, Suit son objet, va droit à la victime 2, L'atteint, recule, et, de terre élancé, Forme cent nœuds autour d'elle enlacé ; La tient, la serre, avec fureur s'obstine A l'enchaîner, malgré ses vains efforts, Dans les liens de deux flexibles corps; Perce des traits d'une langue assassine Son cou nerveux, les veines de son flanc, Poursuit, s'attache à sa forte poitrine, Mord et déchire et s'enivre de sang.
Mais l'animal, que leur souffle empoisonne, Pour s'arracher à ce double ennemi Qui, constamment sur son corps affermi, Comme un réseau, l'enferme et l'emprisonne,
1 Impropre. Unanime se dit de ce qui a rapport au nombre. 2 Un taureau qu'on allait immoler.
Combat, s'épuise en mouvements divers, S'arme contre eux de sa dent menaçante, Perce les vents d'une corne impuissante, Bat de sa queue et ses flancs et les airs. Il court, bondit, se roule, se relève; Le feu jaillit de ses larges naseaux ; A sa douleur, à ses horribles maux Les deux dragons ne laissent point de trève : Sa voix, perdue en longs mugissements, Des vastes mers fait retentir les ondes, Les antres creux et les forêts profondes... Il tombe enfin, il meurt dans les tourments, Il meurt... Alors les énormes reptiles Tranquillement rentrent dans leurs asiles.
(POEME DE NARCISSE, chant III.)
Le soleil fixe au milieu des planètes.
L'homme a dit: Les cieux m'environnent,
Les cieux ne roulent que pour moi;
De ces astres qui me couronnent
La nature me fit le roi ;
Pour moi seul le soleil se lève, Pour moi seul le soleil achève Son cercle éclatant dans les airs; Et je vois, souverain tranquille,
Sur son poids la terre immobile,
Au centre de cet univers1.
Mais quelles routes immortelles Uranie entr'ouvre à mes yeux ? Déesse, est-ce toi qui m'appelles Aux voûtes brillantes des cieux ? Je te suis... mon âme agrandie, S'élançant d'une aile hardie, De la terre a quitté les bords: De ton flambeau la clarté pure Me guide au temple où la nature Cache ses augustes trésors.
Grand Dieu! quel sublime spectacle Confond mes sens, glace ma voix ! Où suis-je ? quel nouveau miracle De l'Olympe a changé les lois? Au loin, dans l'étendue immense, Je contemple seul en silence La marche du grand univers, Et dans l'enceinte qu'il embrasse Mon œil surpris voit sur sa trace Retourner les orbes divers 2.
Portés du couchant à l'aurore Par un mouvement éternel,
1 Système de Plolémée, qui place la terre au centre du monde. 2 Système de Copernic, qui a démontré que c'est le soleil, et non la terre, qui est au centre du monde.
Sur leur axe ils tournent encore Dans les vastes plaines du ciel. Quelle intelligence secrète
Règle en son cours chaque planète Par d'imperceptibles ressorts Le soleil est-il le génie
Qui fait, avec tant d'harmonie, Circuler les célestes corps?
Au milieu d'un vaste fluide1, Que la main du Dieu créateur Versa dans l'abîme du vide, Cet astre unique est leur moteur. Sur lui-même, agité sans cesse, Il emporte, il balance, il presse L'éther et les orbes errants; Sans cesse une force contraire De cette ondoyante matière Vers lui repousse les torrents.
Ainsi se forment les orbites Que tracent ces globes connus : Ainsi dans des bornes prescrites Volent et Mercure et Vénus;
La Terre suit; Mars, moins rapide, D'un air sombre s'avance et guide Les pas tardifs de Jupiter; Et son père, le vieux Saturne,
1 Belle explication du système planétaire.
Roule à peine son char nocturne Sur les bords glacés de l'éther.
Oui, notre sphère, épaisse masse, Demande au soleil ses présents; A travers sa dure surface
Il darde ses feux bienfaisants : Le jour voit les Heures légères Présenter les deux hémisphères Tour à tour à ses doux rayons; Et sur les signes inclinée, La Terre promenant l'année Produit des fleurs et des moissons.
Nicolas Gilbert naquit au village de Fontenay-le-Château, près de Remiremont, en Lorraine. Ses parents, simples cultivateurs, lui firent donner une excellente éducation. A dix-neuf ans, il alla chercher fortune à Paris. Il se lia avec des hommes du parti religieux et monarchique, et voulut se faire connaître en concourant pour les prix académiques. Les philosophes, qui dominaient à l'académie, montrèrent peu de justice à son égard : on ne fit pas même mention de son ode sur le Jugement dernier, qui renferme des beautés du premier ordre, et qui finit par deux vers sublimes. Révolté de voir son talent méconnu, le jeune poëte ecrivit deux satires véhémentes contre les mœurs et la littérature de l'époque. Ces deux satires, intitulées Le dix-huitième siècle et Mon apologie, sont pleines d'audace, de verve et d'énergie. Gilbert rend à
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