Page images
PDF
EPUB

Dont le son lent et sourd attriste la nature.
Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur,
Et la terre en silence attend dans la terreur;
Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre
Disparaît tout à coup sous un voile grisâtre ;
Le nuage élargi les couvre de ses flancs,
Il pèse sur les airs tranquilles et brûlants.

Mais des traits enflammés ont sillonné la nue,
Et la foudre, en grondant, roule dans l'étendue;
Elle redouble, vole, éclate dans les airs; '
Leur nuit est plus profonde, et de vastes éclairs
En font sortir sans cesse un jour pâle et livide.
Du couchant ténébreux s'élance un vent rapide
Qui tourne sur la plaine, et, rasant les sillons,
Enlève un sable noir qu'il roule en tourbillons.
Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière,
Dérobe à la campagne un reste de lumière.
La peur, l'airain sonnant, dans les temples sacrés
Font entrer à grands flots les peuples égarés.
Grand Dieu! vois à tes pieds leur foule consternée
Te demander le prix des travaux de l'année.
Hélas! d'un ciel en feu les globules glacés
Écrasent en tombant les épis renversés.

Le tonnerre et les vents déchirent les nuages;
Le fermier de ses champs contemple les ravages,
Et presse dans ses bras ses enfants effrayés.
La foudre éclate, tombe; et des monts foudroyés
Descendent à grand bruit les graviers et les ondes,
Qui courent en torrents sur les plaines fécondes.

O récolte! ô moissons! tout périt sans retour:
L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour.

(LES SAISONS, L'ÉTÉ.)

LE FRANC DE POMPIGNAN.
(1709-1784.)

Jean-Jacques Lefrane, marquis de Pompignan, naquit à Montauban, d'une famille distinguée dans la magistrature. Il fut avocat général, puis président à la cour des aides' de cette ville. Il cultiva les lettres, et finit par s'y vouer tout entier. Ses principes religieux et ses attaques contre les idées nouvelles lui attirèrent la haine des philosophes, et surtout de Voltaire, qui ne cessa de le poursuivre de ses sarcasmes. Il a laissé une tragédie de Didon, peu connue, des odes, des poésies sacrées, des traductions, etc.

En général, sa versification est pure, élégante, harmonieuse; mais il a peu d'invention, de chaleur, et manque de cet enthousiasme qui est le feu sacré de la poésie lyrique.

La mort de J. B. Rousseau.

Quand le premier chantre du monde 1
Expira sur les bords glacés

Où l'Hèbre effrayé dans son onde

1 Orphée.

Reçut ses membres dispersés,
Le Thrace, errant sur les montagnes,
Remplit les bois et les campagnes
Du cri perçant de ses douleurs;
Les champs de l'air en retentirent,
Et dans les antres qui gémirent
Le lion répandit des pleurs.

La France a perdu son Orphée...
Muses, dans ce moment de deuil,
Élevez le pompeux trophée

Que vous demande son cercueil.
Laissez, par de nouveaux prodiges,
D'éclatants et dignes vestiges
D'un jour marqué par vos regrets.
Ainsi le tombeau de Virgile

Est couvert du laurier fertile

Qui par vos soins ne meurt jamais.

D'une brillante et triste vie

Rousseau quitte aujourd'hui les fers; Et, loin du ciel de sa patrie,

La mort termine ses revers.

D'où ces maux prirent-ils leur source?

Quelles épines dans sa course
Etouffaient les fleurs sous ses pas ?

Quels ennuis! quelle vie errante!
Et quelle foule renaissante
D'adversaires et de combats!...

Jusques à quand, mortels farouches,
Vivrons-nous de haine et d'aigreur?
Prêterons-nous toujours nos bouches
Au langage de la fureur?
Implacable dans ma colère,
Je m'applaudis de la misère
De mon ennemi terrassé;
Il se relève, je succombe,
Et moi-même à ses pieds je tombe,
Frappé du trait que j'ai lancé...

Du sein des ombres éternelles
S'élevant au trône des dieux,
L'envie offusque de ses ailes
Tout éclat qui frappe ses yeux.
Quel ministre, quel capitaine,
Quel monarque vaincra sa haine
Et les injustices du sort?
Le temps à peine les consomme;
Et quoi que fasse le grand homme,
Il n'est grand homme qu'à sa mort.

Le Nil a vu, sur ses rivages,
Les noirs habitants des déserts
Insulter, par leurs cris sauvages,
L'astre éclatant de l'univers.
Cris impuissants, fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,

Versait des torrents de lumière

Sur ses obscurs blasphémateurs.

MALFILATRE.

(1733-1767.)

Jean-Charles-Louis de Clinchamp de Malfilâtre naquit à Caen, de parents pauvres. Il débuta dans la carrière littéraire en concourant pour les prix de poésie à Caen et à Rouen, et il fut couronné plusieurs fois. Encouragé par ces succès, Malfilâtre se rendit à Paris; il y dans la misère, et mourut à l'âge de 34 ans.

La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré,

tomba

a dit Gilbert, dont la destinée devait être aussi malheureuse. On a de Malfilâtre des odes, un poëme sur Narcisse, et des fragments de Virgile, traduits en vers français. On y remarque une brillante facilité et une grâce poétique qui rappellent quelquefois la langue de Racine.

Les deux serpents.

A cet autel de gazons et de fleurs
Déjà la main des sacrificateurs

A présenté la génisse sacrée,

Jeune, au front large, à la corne dorée ;
Le bras fatal, sur sa tête étendu,

Prêt à frapper, tient le fer suspendu...

Un bruit s'entend... l'air siffle... l'autel tremble.

Du fond du bois, du pied des arbrisseaux,

« PreviousContinue »