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THIBAULT.

(1201-1253.)

Thibault IV, comte de Champagne et roi de Navarre, le célèbre adorateur de la reine Blanche, est regardé comme le premier de nos poëtes français. A peine monté sur le trône, il prit part à une croisade qui échoua comme toutes les autres. De retour de cette expédition, il s'appliqua à gouverner ses Etats avec sagesse, et se fit chérir de ses peuples. Son séjour dans le midi lui permit d'étudier la langue des troubadours. On a de lui des chansons, des pas tourelles, des sonnets et quelques autres poésies légères. Son style tient à la fois du roman wallon et du provençal; c'est une espèce de lien entre ces deux langues, qui se séparent pour toujours, à partir de cette époque.

Chanson.

Une chançon encor voil
Faire, pour moi conforter,
Pour celi dont je me doil
Voeil mon chant renoveler:
Por ce ai talent de chanter:
Car quant je ne chant, mi oil
Tornent sovent en plorer.
Simple et france sans orgoil
Quidai ma dame trover:
Molt me fut de bel acoil,

Mès ce fut pour moi grever,
Si sont à li mi penser,

Ke la nuit, quant je somoil,
Va mes cuer merci crier.

FROISSART.

(1337-1401.)

Le xive siècle fut une époque peu poétique. Le goût de la poésie se refroidit beaucoup au milieu de nos guerres funestes contre l'Angleterre et des factions intestines qui déchiraient la France. Froissart, le célèbre auteur de la Chronique de France, d'Angleterre, etc., est le premier poëte de ce temps-là. Il nous a laissé un recueil de poésies tendres et gracieuses.

Froissart, prêtre, chanoine, et quelque temps curé, était fils d'un peintre d'armoiries de Valenciennes. Il passa la plus grande partie de sa vie à voyager pour recueillir les matériaux de sa grande histoire. Il visita successivement la France, l'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Hollande, l'Angleterre et l'Ecosse. En Angleterre, il vécut dans l'intimité du prince Noir, et fut pendant trois ou quatre ans secrétaire de la reine Philippa.

Plaisirs de Froissart.

Au boire je prens grant plaisir :
Aussi fai-je en beaus draps vestir,
En viande fresche et nouvelle,
Quant à table me voy servir,
Mon esperit se renouvelle.
Violettes en leurs saisons,

Et roses blanches et vermeilles

Voy volontiers; car c'est raisons;

Et chambres pleines de candeilles
Jeux et danses et longues veilles,
Et beaus licts pour li rafreschir,
Et, au couchier, pour mieulx dormir,
Epices, clairet et rocelle,

En toutes ces choses véir

Mon esperit se renouvelle.

Rondeau.

Reviens, amy; trop longue est ta demeure1;
Elle me fait avoir peine et doulour.
Mon esperit te demande à toute heure.
Reviens, amy; trop longue est ta demeure;
Car il n'est nul, fors toi, qui me sequeure2,
Ne secourra, jusques à ton retour.
Reviens, amy; trop longue est ta demeure;
Elle me fait avoir peine et doulour.

CHARLES D'ORLÉANS.

(1391-1465.)

Le xve siècle est une époque mémorable dans l'histoire de la civilisation. En France, la poésie s'épure et cesse d'être cultivée par des rimeurs obscurs. De vrais poëtes composent des ouvrages dignes de la

1 Demeure, retard.

2 Sequeure, secoure.

postérité. Charles, duc d'Orléans, père de Louis XII, me paraît avoir été le poëte le plus original de cette époque. Il était fils de Louis, duc d'Orléans, frère du roi Charles VI. Il fut fait prisonnier à la bataille d'Azincourt et conduit en Angleterre, où il fut retenu vingt-cinq ans. Ses poésies, publiées pour la première fois en 1803, sont un des monuments les plus gracieux de notre vieille langue.

Le Renouveau.

Les fourriers d'été sont venus
Pour appareiller son logis;
Ils ont fait tendre ses tapis
De fleurs et de perles tissus.
Cœurs, d'ennuy pieça morfondus,
Dieu mercy, sont sains et jolis;
Allez-vous-en, prenez pays.
Hiver, vous ne demourez plus.

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Il s'est vestu de broderye,
De soleil luisant, cler et beau.
Il n'y a beste, ne oyseau

Qu'en son jargon ne chante ou crye
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent en livriée jolye

Gouttes d'argent d'orfavrerie;
Chacun s'habille de nouveau :
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

VILLON.

(1431.)

Villon fut le premier poëte du peuple, comme Charles d'Orléans était le premier poëte de la bonne société. Sa vie est peu connue. On sait qu'il naquit à Paris, de parents pauvres, qu'il se lia de bonne heure avec des gens corrompus, et qu'il se plongea dans tout ce que le vice a de plus hideux. Des tours d'escroquerie, des vols nombreux amenèrent son arrestation; il fut deux fois condamné à être pendu, et il ne dut la vie qu'à la clémence de Louis XI, que ses gentillesses amusaient.

Au milieu de cette vie passée entre la faim, la prison et la potence, Villon sut se montrer quelquefois poëte gracieux, délicat et plein de charme.

Ballade des dames du temps jadis.

Dictes moy, où, ne en quel pays.

Est Flora la belle Romaine,

Archipiada, ne Thaïs,

Qui fut sa cousine germaine?

Echo parlant, quant bruyt on maine

Dessus rivière, ou sus estan ;

Qui beaulté eut trop plus que humaine?...

Mais où sont les neiges d'antan 1?

Où est la très-sage Héloïs,

Pour qui fut blessé, et puis moyne,
Pierre Esbaillart à Sainct-Denys?
Pour son amour eut cest essoyne.

1 Les neiges d'antan, de l'an passé.

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