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Qui veut en braver les efforts,
Quelle chute! quelle ruine!
Le chêne qu'elle déracine
Touchait à l'empire des morts'.

Que j'aime la voix languissante
Qui laisse tomber faiblement

Ces mots dont la douceur m'enchaute,
Et qui coulent si lentement!

O grand peintre de la Mollesse,
J'aime encor jusqu'à ta vieillesse,
Lorsque après dix lustres pesants
Amassés sur ta tête illustre,
Elle jette un onzième lustre
Qu'elle surcharge de trois ans.

Si le maître de notre lyre
Aujourd'hui chante loin de nous,
Dans l'air étranger qu'il respire,

Ses accords n'en sont pas moins doux.
Non, la veine de notre Alcée
N'a point encore été glacée
Par la froideur de ces climats
Où si souvent, de la Scythie,
Le fougueux époux d'Orythie
Rassemble les tristes frimas.

1 Expressions de La Fontaine, dans le Chêne et le Roseau. 2 Vers de Boileau.

3 Vers de J. B. Rousseau, alors exile.

Telle est la noble poésie

Que les Muses nous font goûter,
Qu'à son tour, avec jalousie,
Homère pourrait écouter.
Ne regrettons point le Méandre :
La Seine nous a fait entendre
Quelques cygnes mélodieux,
Mais partout ils ont été rares:
Si les dieux étaient moins avares,
Leurs dons seraient moins précieux.

Amateurs des pointes brillantes,
Des jeux d'esprit et des éclairs,
Toutes ces beautés pétillantes
N'immortalisent point nos vers;
Mais une constante harmonie,
A la raison toujours unie,

De l'oubli nous rendra vainqueurs.
Qu'elle soit l'objet de nos veilles;
C'est l'art d'enchanter les oreilles
Qui fait la conquête des cœurs.

Preuves physiques de l'existence de Dieu.

Oui, c'est un Dieu caché que le Dieu qu'il faut croire. Mais, tout caché qu'il est, pour révéler sa gloire, Quels témoins éclatants devant moi rassemblés! Répondez, cieux et mers; et vous, terre, parlez! Quel bras peut vous suspendre, innombrables étoiles? Nuit brillante, dis-nous qui t'a donné les voiles.

4

O cieux! que de grandeur, et quelle majesté !
J'y reconnais un maître à qui rien n'a coûté,
Et qui dans vos déserts a semé la lumière,
Ainsi que dans nos champs il sème la poussière.
Toi qu'annonce l'aurore, admirable flambeau,
Astre toujours le même, astre toujours nouveau,
Par quel ordre, ô soleil, viens-tu du sein de l'onde
Nous rendre les rayons de ta clarté féconde?
Tous les jours je t'attends, tu reviens tous les jours:
Est-ce moi qui t'appelle et qui règle ton cours?
Et toi dont le courroux veut engloutir la terre,
Mer terrible, en ton lit quelle main te resserre?
Pour forcer la prison tu fais de vains efforts;
La rage de tes flots expire sur tes bords.
Fais sentir ta vengeance à ceux dont l'avarice'
Sur ton perfide sein va chercher son supplice;
Hélas! prêts à périr, t'adressent-ils leurs vœux?
Ils regardent le ciel, secours des malheureux.
La nature, qui parle en ce péril extrême,
Leur fait lever les mains vers l'asile suprême :
Hommage que toujours rend un cœur effrayé
Au Dieu que jusqu'alors il avait oublié !

La voix de l'univers à ce Dieu me rappelle;
La terre le publie. Est-ce moi, me dit-elle,

1 Ce vers et les deux suivants manquent peut-être de clarté. Le poëte veut dire si tu fais sentir la vengeance..., est-ce à toi qu'ils adressent leurs vœux? Fais n'a point le sens de l'impératif; il signifie que tu fasses, que tu viennes à faire.

Est-ce moi qui produis mes riches ornements?
C'est celui dont la main posa mes fondements.
Si je sers tes besoins, c'est lui qui me l'ordonne;
Les présents qu'il me fait, c'est à toi qu'il les donne.
Je me pare des fleurs qui tombent de sa main;
Il ne fait que l'ouvrir, et m'en remplit le sein.
Pour consoler l'espoir du laboureur avide,
C'est lui qui dans l'Egypte, où je suis trop aride,
Veut qu'au moment prescrit le Nil, loin de ses bords,
Répandu sur ma plaine, y porte ses trésors.
A de moindres objets tu peux le reconnoître;
Contemple seulement l'arbre que je fais croître;
Mon suc, dans la racine à peine répandu,
Du tronc qui le reçoit à la branche est rendu :
La feuille le demande, et la branche fidèle,
Prodigue de son bien, le partage avec elle.
De l'éclat de ses fruits justement enchanté,
Ne méprise jamais ces plantes sans beauté,
Troupe obscure et timide, humble et faible vulgaire;
Si tu sais découvrir leur vertu salutaire,
Elles pourront servir à prolonger tes jours;
Et ne t'afflige pas si les leurs sont si courts.
Toute plante, en naissant, déjà renferme en elle
D'enfants qui la suivront une race immortelle;
Chacun de ces enfants, dans ma fécondité,
Trouve un gage nouveau de sa postérité.

(LA RELIGION, chant 1.)

CRÉBILLON.

( 1 6 7 5-1 7 6 2.)

Prosper Jolyot de Crébillon, né à Dijon, était fils d'un greffier. Il alla jeune à Paris, pour apprendre la chicane, mais il y renonça bientôt, et travailla pour le théâtre. Ses deux meilleures pièces, Électre et Rhadamiste, le placent au premier rang parmi les tragiques du second ordre.

Crébillon a surtout visé à exciter la terreur; et il a quelquefois poussé le terrible jusqu'à l'horrible et à l'atroce. On lui demandait un jour pourquoi il avait adopté le genre terrible: Je n'avais point à choisir, répondit-il; Corneille avait pris le ciel, Racine la terre ; il ne me restail plus que l'enfer, je m'y suis jelé à corps perdu. Crébillon a de grands caractères et des situations tragiques; mais son style est d'une incorrection qui va jusqu'à la barbarie. Boileau disait que ce poëte et ses vers étaient Visigoths.

Songe de Thyeste 1.

Près de ces noirs détours que la rive infernale
Forme à replis divers dans cette île fatale,
J'ai cru longtemps crrer parmi des cris affreux
Que des mânes plaintifs poussaient jusques aux cieux.
Parmi ces tristes voix, sur ce rivage sombre,
J'ai cru d'Érope en pleurs entendre gémir l'ombre;

1 Thyeste, fils de Pélops, outragea Érope, femme d'Atrée, son frère. Alrée se vengea en tuant ses deux fils et en les lui servant dans un festin.

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