Le pluriel des mots en AL. La scène se passe dans le bureau du journal le Mercure galant. La Rissole, vieux soldat ivre, se presente pour faire parler de ses exploits. Merlin, valet du rédacteur, lui donne une leçon de grammaire; et le troupier se moque des irrégularités de la langue. LA RISSOLE. Je voudrois bien être dans le Mercure : Si le roi le savoit, j'en aurois de quoi vivre; J'en enrage. MERLIN. Il fait bien donnez-vous patience... LA RISSOLE. Mordié! je ne saurois avoir ma subsistance. MERLIN. Il est vrai, le pauvre homme! il fait compassion. LA RISSOLE. Or donc, pour en venir à ma belle action, Vous saurez que toujours je fus homme de guerre, Lui mort, les Hollandois souffrirent bien des mals: On fit couler à fond les deux vice-amirals. MERLIN. Il faut dire des maux, vice-amiraux ; c'est l'ordre. LA RISSOLE. Les vice-amiraux donc ne pouvant plus nous mordre, Nos coups aux ennemis furent des coups fataux; Nous gagnâmes sur eux quatre combats navaux. MERLIN. Il faut dire fatals et navals; c'est la règle. LA RISSOLE. Les Hollandois, réduits à du biscuit de seigle, MERLIN. Il faut dire inégaux, principaux; c'est le terme. LA RISSOLE. Enfin, après cela nous fûmes à Palerme ; MERLIN. Il faut dire régals et carnavals. LA RISSOLE. Oh! dame! M'interrompre à tous coups, c'est me chiffonner l'âme, Franchement. MERLIN. Parlez bien. On ne dit point navaux, Ni fataux, ni régaux, non plus que carnavaux. LA RISSOLE. Eh! mordié! comment donc voulez-vous que je dise? Lorsqu'un moment après, pour mieux me faire entendre MERLIN. J'ai la raison pour moi qui me fait vous reprendre, Al est un singulier dont le pluriel fait aux ; C'est l'usage. LA RISSOLE. L'usage? Eh bien! soit. Je l'accepte. MERLIN. Fatal, naval, régal, sont des mots qu'on excepte. LA RISSOLE. J'ai des démangeaisons de te casser la gueule. MERLIN. Vous? LA RISSOLE. Oui, palsandié! moi je n'aime point du tout Qu'on me berce d'un conte à dormir tout debout : Lorsqu'on veut me railler, je donne sur la face. MERLIN. Et tu crois au Mercure occuper une place? LA RISSOLE. Mordié! je me bats l'œil du Mercure et de toi. MERLIN. Adicu, guerrier fameux par des combats navaux. (LE MERCURE GALANT, acte IV, scène vii.) DIX-HUITIÈME SIÈCLE. Le génie littéraire du xvIIe siècle s'était formé sous trois influences: la religion, l'antiquité et la monarchie absolue de Louis XIV. La gran deur et les abus de cette époque en enfantèrent une autre tout opposée: ce fut le XVIIIe siècle. On négligea l'étude des anciens modèles; on cultiva la philosophie sceptique, et l'on ne s'occupa guère que de réformes politiques. Les écrivains furent moins littérateurs que philosopheson se proposa moins de composer des ouvrages littéraires, que de faire des livres qui pussent agir sur les esprits et préparer les réformes qu'on appelait de tous ses vœux. Cette philosophie raisonneuse, cette liberté religieuse dégénérée en scepticisme, cet esprit de critique sociale et politique, furent funestes à la poésie, qui vit d'enthousiasme et d'inspiration. On la négligea, et on lui préféra la prose. Voltaire est le seul grand poëte de tout le siècle. Après lui, on trouve quelques beaux morceaux de poésie, mais il n'y a aucun grand poëme. |