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des maisons, des magasins et des comptoirs; les habitants furent massacrés sans distinction d'àge, de sexe et de nation; on jeta leurs corps dans le Kalidji; tout ce que ces négocians possédaient fut pillé en moins d'une heure, les meubles furent enlevés ou brisés, et on mit le feu au quartier. Pendant cette expédition, Nasif-Pacha excitait le peuple à le suivre sur la place d'El-Ebekié pour y exterminer le reste des Français enfermés dans la maison de Mohamet-Bey-el-Elfi; c'était là la résidence du quartier-général, et il y avait à peine 200 hommes, sous les ordres de l'adjudant-général Duranteau. Le pacha accourut à cet effet avec une partie de ses troupes : des grenadiers et des guides à pied sortirent avec la plus grande bravoure contre cette cavalerie, et la repoussèrent. Cette résistance inattendue détermina les chefs à s'établir dans les maisons situées sur la place.

» C'est alors que le soulèvement du Caire devint général; il se forma des attroupements dans toutes les places; on menaçait de mettre le feu aux maisons de ceux qui se tenaient enfermés. Plus de 50,000 hommes furent armés de fusils; les autres portaient des piques et des bâtons. Pendant qu'on arborait les drapeaux blancs, les crieurs des mosquées publiaient des imprécations contre les infidèles; les Mameloucks et les Janis

saires parcouraient la ville, la multitude les suivait poussant des cris affreux; les femmes et les enfans faisaient entendre des cris de joie d'usage appelés ulalus. On attaqua les maisons des Cophtes, des Grecs, des chrétiens de Syrie, et un grand nombre de ces malheureux périt sans défense; leurs corps, jetés dans les rues, y éprouvèrent pendant tout le siége les insultes publiques. On saisit Mustapha-Aga, chef de la police sous le gouvernement des Français, et les chefs de l'armée turque le firent empaler! La populace applaudit à son supplice, et le regardant comme l'assurance de l'impunité, elle se livra avec plus de furcur à la sédition et au pillage; huit soldats de la 13 demi-brigade, commandés par le citoyen Klane, sergent qui se trouvait auprès de Mustapha-Pacha lorsqu'il fut arrêté, entreprirent de se faire jour au travers de la foule; leur intrépidité leur sauva la vie. Les séditieux, voyant tomber quelques-uns des leurs, s'éloignèrent, et les Français achevèrent leur rétraite sur la citadelle, après s'être battus dans les rues dans un intervalle de plus d'une lieue; trois d'entre eux furent blessés, leurs camarades s'arrêtèrent pour les défendre, et les portèrent jusqu'à la citadelle; les révoltés, auxquels ils avaient enlevé une pièce de canon, qu'ils n'abandonnèrent que pour secourir leurs blessés, les poursuivirent jusqu'aux portes de ce

fort, étonnés et furieux de cette action aussi hardie que digne d'admiration.

Le principal but de Nasif-Pacha était d'emporter le quartier-général; mais il n'y put réussir; 200 Français soutinrent pendant deux jours ce siége extraordinaire contre les forces réunies des Mameloucks, des Osmanlis et des séditieux; ils occupaient quelques maisons voisines, où ils étaient vivement pressés, lorsqu'on aperçut la colonne du général Lagrange qui arrivait d'El-Hanka; alors un corps de 4,000 cavaliers, tant Osmanlis que Mameloucks, se porte au-devant de notre colonne. Le général Lagrange forme les quatre bataillons en carré, et se dispose à recevoir la charge: une fusillade et quelques coups de canon dispersèrent les assaillans; nos troupes continuent leur marche, et le général Lagrange entre au quartier-général vers les deux heures après midi. Le 30, il y apportait un secours aussi nécessaire qu'inattendu, et la première nouvelle de la victoire.

» La citadelle et le fort Dupuy continuèrent le bombardement de la ville, qui avait commencé dès les premiers instans de la révolte.

» Cependant, nous avions été obligés d'abandonner successivement les maisons que nous occupions sur la place; les insurgés s'avançaient aussi sur notre gauche dans le quartier cophte; ils prenaient les positions les plus propres à inter

cepter nos communications, et à conserver celles qu'ils avaient au dehors. Le général Friant arriva sur ces entrefaites avec cinq bataillons; il repoussa l'ennemi sur tous les points; mais les succès mêmes qu'il obtint lui firent connaître combien il était difficile de pénétrer dans l'intérieur de la ville. De quelque part qu'on se présentât, on trouvait dans toutes les rues, et pour ainsi dire à chaque pas, des barricades et maçonneries de douze pieds d'élévation et à deux rangées de créneaux. Les appartemens et terrasses des maisons voisines étaient occupés par les Osmanlis, qui s'y défendaient avec le plus grand courage. Les chefs de brigade Maugras, de la 75°, et Conroux, de la 61o, furent blessés dans une des premières atta→ ques de ces retranchemens. Ce dernier officier, qui mourut de sa blessure, était de la plus grande espérance.

» Le chef de bataillon Donzelot fut tué dans le même temps, près Boulac. Il avait fait toutes les campagnes de la Haute-Égypte avec la plus grande distinction à l'état-major du général Desaix.

» On mit tout en œuvre pour entretenir l'erreur du peuple sur la défaite des Français. Ceux qui parurent en douter furent tués ou emprisonnés ; nos envoyés étaient massacrés avant d'entrer dans la ville.

» Telle était la position du Caire lorsque je m'y

rendis le 6 au matin; nous n'avions à notre disposition qu'une très petite quantité de fers coulés; nous manquions surtout de bombes et d'obus: regardant comme dangereuse toute entreprise partielle, je me déterminai à attendre le retour de nos munitions, celui des troupes du général Belliard qui devait remonter au Caire aussitôt après l'occupation de Damiette, et celui de la division Reynier que je rappelai. Pendant le temps que je donnai à la réunion de nos forces, je fis achever les retranchemens, établir de nouvelles batteries et préparer des matières combustibles. Ce délai était nécessaire au succès de nos opérations militaires; je l'employai à diviser les insurgés par des correspondances et des négociations et à les intimider en faisant connaître à tous la défaite du visir; je fis parvenir des lettres aux cheiks et aux principaux habitans du pays; Mustapha-Pacha, que j'avais retenu, écrivit, par mon ordre, à Nasif-Pacha et Osman-Effendi. Les Mameloucks, le peuple du Caire et les Osmanlis ayant des intérêts très opposés ne restèrent pas longtemps unis; alors Nasif-Pacha, Othman-Kiaga et Ibrahim-Bey jugèrent convenable de capituler, et je leur accordai plusieurs de leurs demandes.

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Quoique ces conditions leur offrissent quelques avantages, la capitulation ne fut point exécutée. Ceux des habitans qui avaient excité et

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