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Bonaparte établit son camp à Cherasco, au confluent de la Stura et du Tanaro, à dix lieues de Turin.

Le général en chef est content de son armée, il lui en témoigne sa satisfaction en ces

termes :

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« SOLDATS,

>> Vous avez remporté en quinze jours 6 victoi>> res, pris 21 drapeaux, 50 pièces de canon, plu»sieurs places fortes, conquis la partie la plus » riche du Piémont. Vous avez fait 15,000 prison»niers; tué ou blessé plus de 10,000 hommes. » Vous vous étiez, jusqu'ici, battus pour des ro» chers stériles, illustrés par votre courage, mais > inutiles à la patrie. Vous égalez aujourd'hui par » vos services l'armée de Hollande et celle du » Rhin. Dénués de tout, vous avez suppléé à tout. » Vous avez gagné des batailles sans canons, passé » des rivières sans ponts, fait des marches forcées » sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie, et sou» vent sans pain. Les phalanges républicaines, les » soldats de la liberté étaient seuls capables de » souffrir ce que vous avez souffert. Grâces vous > en soient rendues, soldats! La patrie reconnais»sante vous devra sa prospérité; et si, vainqueurs » de Toulon, vous présageâtes l'immortelle cam»pagne de 93, vos victoires actuelles en présageut de plus belles encore.

D

» Les deux armées, qui, naguère vous attaquaient avec audace, fuient épouvantées devant » vous. Les hommes pervers qui riaient de votre » misère et se réjouissaient dans la pensée des triomphes de vos ennemis, sont confondus et » tremblans. Mais, soldats, il ne faut pas vous le » dissimuler, vous n'avez rien fait, puisqu'il vous » reste à faire: ni Turin, ni Milan ne sont à voir; » les cendres des vainqueurs de Tarquin sont en» core foulées par les assassins de Basseville.

D

» Vous étiez dénués de tout au commencement » de la campagne; vous êtes aujourd'hui abon» damment pourvus: les magasins pris à vos en» nemis sont nombreux. L'artillerie de siége et de » campagne est arrivée. Soldats, la patrie a droit » d'attendre de vous de grandes choses; justifie»rez-vous son attente? Les plus grands obstacles » sont franchis, sans doute; mais vous avez en» core des combats à livrer, des villes à prendre, » des rivières à passer. En est-il d'entre vous dont » le courage s'amollisse? En est-il qui préfére » raient retourner sur le sommet de l'Apennin et des Alpes, essayer patiemment les injures de » cette soldatesque esclave? Non, il n'en est pas parmi les vainqueurs de Montenotte, de Millé simo, de Dégo et de Mondovi: tous brûlent de » porter au loin la gloire du peuple français; tous » veulent humilier les rois orgueilleux qui osaient

» inéditer de vous donner des fers; tous veulent » dicter une paix glorieuse, et qui indemnise à la » patrie des sacrifices immenses qu'elle a faits; » tous veulent, en rentrant dans leur village, » pouvoir dire avec fierté: J'élais de l'armée con» quérante d'Italie.

» Amis, je vous la promets cette conquête; mais » il est une condition qu'il faut que vous juriez de remplir c'est de respecter les peuples que vous » délivrez, c'est de réprimer les pillages horri»bles auxquels se portent des scélérats suscités » par vos ennemis; sans cela vous ne seriez pas » les libérateurs des peuples, vous en seriez les » fléaux ; vous ne seriez pas l'honneur du peuple français, il vous désavouerait. Vos victoires, vo» tre courage, vos succès, le sang de vos frères » morts aux combats, tout serait perdu, même » l'honneur et la gloire. Quant à moi et aux géné> raux qui ont votre confiance, nous rougirions de > commander à une armée indisciplinée, qui ne » connaîtrait de loi que la force. Mais, investi de » l'autorité nationale, fort de la justice et de la loi, je saurai faire respecter à ce petit nombre d'hom» mes sans courage et sans cœur, les lois de l'hu»manité et de l'honneur qu'ils foulent aux pieds. » Je ne souffrirai point que des brigands souillent » vos lauriers. Je ferai exécuter à la rigueur le ré– » glement que j'ai fait mettre à l'ordre : les pil

»lards seront impitoyablement fusillés; déjà plusieurs l'ont été : j'ai eu lieu de remarquer avec plaisir, l'empressement avec lequel les bons sol» dats de l'armée se sont portés pour faire exécu» ter les ordres.

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» Peuples d'Italie ! l'armée française vient pour » rompre vos chaînes : le peuple français est l'ami » de tous les peuples. Venez avec confiance au de» vant de nos drapeaux vos propriétés, votre >> religion et vos usages seront religieusement res. pectés. Nous faisons la guerre en ennemis gé» néreux; nous n'en voulons qu'aux tyrans qui » vous asservissent. »

Après cette brillante campagne, Bonaparte adressa les rapports suivans au Directoire :

ARMÉE D'ITALIE.

LE GÉNÉRAL EN CHEF AUX MEMBRES DU

DIRECTOIRE.

«La campagne d'Italie a commencé, j'ai à vous rendre compte de la bataille de Montenotte.

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Après trois jours de mouvement pour nous. donner le change, le général Beaulieu a fait attaquer par une division de 10,000 hommes la droite de l'armée. Appuyé sur Voltry, le général Cer

voni qui y commandait, ayant sous ses ordres la 70° et la 99° demi-brigades, soutint le feu avec l'intrépidité qui caractérise les soldats de la liberté. Je ne pris pas le change sur les véritables intentions des ennemis dès l'instant que je fus instruit des circonstances de l'attaque de la droite, j'ordonnai au général Cervoni(1) d'attendre la nuit, et de se replier par une marche forcée, et en cachant son mouvement à l'ennemi sur mon centre qui était appuyé sur les hauteurs de la Madonedei-Savone. Le 21, à quatre heures du matin, Beaulieu en personne avec 15,000 hommes attaqua et culbuta Laharpe dans les positions sur lesquelles était appuyé le centre de l'armée. A une heure après midi, il attaqua la redoute de Monte-Lésino qui était notre dernier retranche

ment.

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>> Les ennemis vinrent plusieurs fois à la charge, mais cette redoute gardée par 1,500 hommes était imprenable par le courage de ceux qui la défendaient. Le chef de brigade Rampon, qui y commandait, par un de ces élans qui caractérisent une

(1) Cervoni, Corse de nation, fut nommé lieutenant en 1792. Son courage au siége de Toulon le fit élever aux grades d'adjudant-général et de général de brigade. Il commandait la droite de l'armée franç ise quand Bonaparte fit sa première campague d'Italie. En 1899, d devint chef d'état- major. Un boulet termina sa carrière militaire à Eckmuhl (29 avril 1869).

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