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LES DEUX VOISINS.

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Et l'un de ces deux hommes s'inquiétait en lui-même, disant: Si je meurs, ou que je tombe malade, que devien dront ma femme et mes enfants ?

Et cette pensée ne le quittait point, et elle rongeait son cœur comme un ver ronge le fruit où il est caché.

Or, bien que la même pensée fût venue également à l'autre père, il ne s'y était point arrêté: car, disait-il, Dieu, qui connaît toutes ses créatures et qui veille sur elles, veillera aussi sur moi, et sur ma femme, et sur mes enfants.

Et celui-ci vivait tranquille, tandis que le premier ne goûtait pas un instant de repos ni de joie intérieurement.

Un jour qu'il travaillait aux champs, triste et abattu à cause de sa crainte, il vit quelques oiseaux entrer dans un buisson, en sortir, et puis bientôt y revenir encore.

Et, s'étant approché, il vit deux nids posés côte à côte, et dans chacun plusieurs petits nouvellement éclos et encore sans plumes

Et quand il fut retourné à son travail, de temps en temps il levait les yeux, et regardait ces oiseaux, qui allajent et venaient portant la nourriture à leurs petits.

"Or, voilà qu'au moment où l'une des mères rentrait avec sa becquée, un vautour la saisit, l'enlève, et la pauvre mère, se débattant vainement sous sa serre, jetait des cris perçants.

II. A cette vue, l'homme qui travaillait sentit son âme plus troublée qu'auparavant: car, pensait-il, la mort de la mère, c'est la mort des enfants. Les miens n'ont que moi non plus. Que deviendront-ils si je leur manque ?

Et tout le jour il fut sombre et triste, et la nuit il ne dormit point.

Le lendemain, de retour aux champs, il se dit: Je veux voir les petits de cette pauvre mère.: plusieurs sans doute ont déjà péri. Et il s'achemina vers le buisson.

Et regardant, il vit les petits bien portants; pas un ne semblait avoir pâti.

Et ceci l'ayant étonné, il se cacha pour observer ce qui se passerait.

Et après un peu de temps, il entendit un léger cri, et il aperçut la seconde m`re rapportant en hâte la nourriture

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qu'elle avait recueillie, et elle la distribua à tous les petits indistinctement, et il y en eut pour tous, et les orphelins ne furent point délaissés dans leur misère.

Et le père qui s'était défié de la Providence, raconta le soir à l'autre père ce qu'il avait vu.

Et celui-ci lui dit: Pourquoi s'inquiéter? Jamais Dieu n'abandonne les siens. Son amour a des secrets que nous ne connaissons point. Croyons, espérons, et poursuivons notre route en paix.

Si je ineurs avant vous, vous serez le père de mes enfants; si vous mourez avant moi, je serai le père des vôtres.

Et si, l'un et l'autre, nous mourons avant qu'ils soient en âge de pourvoir eux-mêmes à leurs nécessités, ils auront pour père le Père qui est dans les cieux.

LA DÉSOBÉISSANCE PUNIE.

1. Un jour, un roi qui était à la chasse, se perdit. Comme il cherchait le chemin, il entendit parler, et s'étant approché de l'endroit d'où sortait le son des paroles, il vit, un homme et une femme qui coupaient du bois. La femme disait: "Il faut avouer que notre mère Eve a eu bien tort de manger du fruit défendu. Si elle avait obéi à Dieu, nous n'aurions pas la peine de travailler tous les jours." L'homme lui répondit: "Eve avait certainement grand tort de manger du fruit défendu, mais Adam aurait dû être plus sage, et ne pas faire ce qu'elle disait. Si j'avais été à sa place, et que vous eussiez voulu me faire manger de ce fruit, je n'aurais pas voulu vous écouter." Le roi s'approcha, et leur dit: "Vous avez donc bien de la peine, mes pauvres gens ?"-“ Oui,” répondirent-ils, nous travaillons comme des chevaux, depuis le matin jusqu'au soir, et encore nous avons bien du mal à gagner de quoi vivre.”—“ Venez avec moi,” leur dit le roi, "je vous nourrirai sans travailler." Dans ce mɔment, les officiers du roi, qui le cherchaient, arrivèrent, et les pauvres gens furent bien étonnés et bien joyeux. Quand ils furent dans le palais, le roi leur fit donner de

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LES TROIS SOUHAITS.

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beaux habits, un carrosse, des laquais; et tous les jours ils avaient douze plats pour leur dîner.

II. Au bout d'un mois, on leur servit vingt-quatre plats; mais dans le milieu de la table, on en mit un grand qui était fermé. D'abord, la femme qui était curieuse, voulut ouvrir ce plat; mais un officier du roi, qui était présent, lui dit, que le roi, leur défendait d'y toucher, et qu'il ne voulait pas qu'ils vissent ce qui était dedans. Quand les domestiques furent sortis, le mari s'aperçut que sa femme ne mangeait pas, et qu'elle était triste. Il lui demanda ce qu'elle avait, et elle lui répondit, qu'elle ne se souciait pas de manger de toutes les bonnes choses qui étaient sur la table, mais qu'elle avait envie de ce qui était dans ce plat couvert. "Vous êtes folle," lui dit son mari; 66 'ne vous a-t-on pas dit que le roi nous le défendait ?" Alors la femme se mit à pleurer, et dit qu'elle se tuerait, si son mari ne voulait pas ouvrir le plat. Quand son mari la vit pleurer, il fut bien fâché, et comme il l'aimait beaucoup, il lui dit qu'il ferait tout pour qu'elle ne se chagrinât pas. En même temps, il ouvrit le plat, et il en sortit une petite souris, qui se sauva dans la chambre. Ils coururent après elle pour la rattraper; mais elle se cacha dans un petit trou, et aussitôt le roi entra, qui demanda, où était la souris. 66 Sire," dit le mari, ma femme m'a tourmenté, pour voir ce qui était dans le plat, je l'ai ouvert malgré moi, et la souris s'est sauvée." "Ah! ah!" dit le roi,

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vous disiez, que si vous eussiez été à la place d'Adam, vous n'auriez pas voulu écouter les discours d'Eve; il fallait vous souvenir de vos promesses. Et vous, méchante femme, vous aviez toutes sortes de bonnes choses, et cela n'était pas assez vous vouliez manger du plat que je vous avais défendu. Allez, malheureux, retournez travailler dans le bois, et ne blâmez plus Adam et Eve puisque vous avez commis une faute pareille à celle dont vous les accusiez."

LES TROIS SOUHAITS

I. UN soir, en hiver, un homme et sa femme assis auprès de leur feu s'entretenaient du bonheur de leurs

"Pour

voisins qui étaient plus riches qu'eux. "Oh! si j'étais la maîtresse d'avoir tout ce que je souhaiterais," dit la femme, "je serais bientôt plus heureuse que tous ces gens-là."." Et moi aussi," dit le mari; "je voudrais être au temps des fées, et, qu'il s'en trouvât une assez bonne, pour m'accorder tout ce que je voudrais." Dans le même temps, ils virent dans leur chambre une très belle dame, qui leur dit: "Je suis une fée, je vous promets de vous accorder les trois premières choses que vous souhaiterez : mais prenez-y garde, après avoir souhaité trois choses, je ne vous accorderai plus rien." La fée ayant disparu, cet homme et cette femme furent très embarrassés. moi," dit la femme, "si je suis la maitresse, je sais bien ce que je souhaiterai: je ne souhaite pas encore, mais il me semble qu'il n'y a rien de si bon que d'être belle et riche."- "Mais," répondit le mari, avec cela on peut être malade, on peut mourir jeune ; il serait plus sage de souhaiter de la santé, et. une longue vie."-" Et à quoi servirait une longue vie, si l'on était pauvre," dit la femme, "cela ne servirait qu'à être malheureux plus longtemps. En vérité, la fée aurait dû nous promettre de nous accorder une douzaine de dons; car il y a au moins une douzaine de choses dont j'aurais besoin."—" Cela est vrai," dit le mari, "mais prenons du temps: examinons d'ici à demain matin les trois choses qui nous sont le plus nécessaires, et nous les demanderons ensuite."—“ J'y veux penser toute la nuit," dit la femme: “en attendant, chauffons-nous, car il fait froid." XX

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aune de

II. Alors, la femme prit les pincettes, et attisa le feu; et comme elle vit qu'il y avait beaucoup de charbons bien allumés, elle dit sans y penser: "Voilà un bon feu, je voudrais avoir une aune de boudin pour notre souper, nous pourrions le faire cuire bien aisément." A peine eut-elle achevé ces paroles, qu'il tomba une boudin par la cheminée. "Peste soit de la gourmande avec son boudin." dit le mari, "voilà un beau souhait! pour moi, je suis si en colère, que je voudrais que vous eussiez le boudin au bout du nez.' Dans le moment, l'homme s'aperçut qu'il était encore plus fou que sa femme, car, par ce second souhait, le boudin sauta au bout du

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LES CHATEAUX EN ESPAGNE.

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nez de cette pauvre femme, qui ne put jamais l'arracher. 'Que je suis malheureuse!" s'écria-t-elle, " vous êtes un méchant d'avoir souhaité ce boudin au bout de mon nez."

"Je vous assure, ma chère femme, que je n'y pensais pas," répondit le mari; "mais que ferons-nous? Je vais souhaiter de grandes richesses, et je vous ferai faire un étui d'or, pour cacher ce boudin."- -“Oh non,” reprit la femme, "je me tuerais, s'il fallait vivre avec ce boudin qui est à mon nez: croyez-moi, il nous reste un souhait à faire, laissez-le-moi, ou je vais me jeter par la fenêtre." En disant ces paroles, elle courut ouvrir la fenêtre, et son mari, qui l'aimait, lui cria: "Arrêtez ma chère femme, je vous donne la permission de souhaiter tout ce que vous voudrez."-"Eh bien," dit la femme, "je souhaite que ce boudin tombe a terre." Dans le moment le boudin tomba, et la femme dit à son mari: "Je vois que la fée s'est moquée de nous, et elle a eu raison. Peut-être aurionsnous été plus malheureux étant riches, que nous ne le sommes à présent. Croyez-moi, mon ami, ne souhaitons rien et prenons les choses comme il plaira à Dieu de nous les envoyer; en attendant, soupons avec notre boudin, puisque c'est tout ce qui nous reste de nos souhaits." Le mari pensa que sa femme avait raison, et ils soupèrent gaiement, sans plus s'embarrasser des choses qu'ils avaient eu dessein de souhaiter.

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I. ALNASCAR, à la mort de son père, se trouva possesseur de cent dragmes d'argent. Il se consulta longtemps lui-même sur l'usage qu'il en ferait; il se détermina enfin à les employer en verres, en bouteilles et autres pièces de verrerie, qu'il alla chercher chez un marchand en gros. Il mit le tout dans un panier, et choisit une fort petite boutique, où il s'assit le panier devant lui, et le dos appuyé contre le mur, en attendant qu'on vînt acheter de sa marchandise. Dans cette attitude, les yeux attachés

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