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VIII

NOTICE SUR LA FONTAINE

n'avaient point. On dirait qu'elles sont tombées de sa plume. Il a surpassé l'ingénieux inventeur de l'apologue, et son admirable copiste. Aussi élégant, aussi naturel, moins pur, à la vérité, mais aussi moins froid que Phèdre, il a atteint le plus haut degré de perfection en ce genre. Il mourut le 13 mars 1695, dans de profonds sentiments de religion.

A MONSEIGNEUR

LE DAUPHIN1

Je chante les héros dont Ésope 2 est le père;
Troupe de qui l'histoire, encor que 3 mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.

Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons:
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes;
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d'un prince aimé des dieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes.
Quelqu'autre te dira, d'une plus forte voix,
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois;
Je vais t'entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures;
Et si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris.

1 Fils de Louis XIV.

2 Esope, célèbre inventeur de la fable ou apologue. 3 Encore que, pour quoique. Tour un peu suranné.

DE

LA FONTAINE

ÉDITION CLASSIQUE

LIVRE PREMIER

FABLE I

La Cigale et la Fourmi.

La cigale ayant chanté
Tout l'été,

Se trouva fort dépourvue
Quand la bise1 fut venue:
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine

Chez la fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
Je vous paîrai, lui dit-elle,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et principal3.

La fourmi n'est pas prêteuse;

1 Vent du nord. Il est pris ici pour l'hiver.

2 Temps où l'on recueille les grains, du nom du mois d'août qui est celui de la récolte.

3 Principal. Somme prêtée. Intérêt. Le profit que l'on retire de l'argent que l'on a prêté.

C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez? j'en suis fort aise;
Hé bien! dansez maintenant.

FABLE II

Le Corbeau et le Renard.

Maître corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître renard, par l'odeur alléché1,
Lui tint à peu près ce langage:
Hé! bon jour, monsieur du corbeau!
Que vous êtes joli, que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le phénix2 des hôtes de ces bois.
A ces mots, le corbeau ne se sent pas de joie;
Et, pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie3.
Le renard s'en saisit, et dit: Mon beau monsieur,
Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute;
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.
Le corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

1 Attiré.

(Voy. Phèdre, liv. I, fable XIII.)

2 Oiseau fabuleux, que quelques anciens ont dit être unique en son espèce et renaître de sa cendre.

3 La diphtongue criarde, qui termine ce vers et les trois précédents, exprime à merveille le chant du corbeau.

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