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Peu à peu ces tristes pensées se présentèrent à lui plus sombres et plus poignantes, des larmes remplirent ses yeux, sa vue se troubla, et il lui sembla qu'il commençait le crépuscule d'une nuit ténébreuse et sans fin.

Pendant ce temps, l'exécuteur, d'un air indifférent, s'était accroupi près du fourneau dont il attisait le feu; les étincelles voltigeaient de côté et d'autre, et dans cette vaste salle on n'entendait aucun bruit que le petillement du charbon.

Les affreux préparatifs terminés, l'homme masqué, après avoir garanti sa main par un gant épais, prit entre ses doigts un fer rouge: il s'approchait de Nicolas, quand la grande porte de la salle s'ouvrit avec fracas, et un homme d'une taille élevée et vêtu de noir entra accompagné d'une suite nombreuse.

Le nouveau venu s'avança vivement vers le fourneau, et d'un violent coup de pied l'envoya rouler au loin, tandis que les morceaux de charbon et les fers rougis se répandaient de tous côtés en se noircissant sur le sol humide. Puis il se dirigea vers la table, et, se penchant sur le jeune homme, le regarda avec anxiété. Jamais le regard du comte de Bonval ne s'était reposé avec plus de joie sur un visage ami que sur celui de Nicolas, dont les yeux bleus n'étaient obscurcis que par les larmes.

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Tandis que Nicolas sautait lestement de la table, son protecteur lui remit, comme par mégarde, son épée dans la main, et, se relevant de toute sa hauteur, s'avança d'un pas ferme vers ses collègues, stupéfaits de cette entrée inopinée..

Ces graves magistrats pouvaient à peine croire qu'ils eussent devant eux le comte de Bonval lui-même en chair et en os. Depuis quelques jours on avait entendu dire que sa rualadie ne laissait aucun espoir; donc, c'était probablement le spectre du comte qui leur apparaissait. D'ailleurs, ce visage pâle et ce corps amaigri, d'où pendait en longs plis un large manteau de velours noir, semblaient leur donner raison.

A la vue de ce regard irrité, ces hommes, qui ne reculaient pas devant l'idée d'assister à un supplice affreux, se prirent à trembler comme des enfants, et ils se sentirent défaillir lorsque, d'une voix faible et presque caverneuse, le comte de Bonval leur adressa la parole.

« Je vous félicite, messeigneurs, d'avoir trouvé une si belle récompense pour ce digne homme, leur dit-il, et je ne comprends pas pourquoi vous ne m'avez pas invité à une aussi belle fête?

-On nous avait dit, répliqua le président de cette assemblée, que vous étiez malade et incapable, dans votre état, de vous occuper des affaires.

— Vous auriez pu, il me semble, me convoquer en tous cas, ou tout au moins me faire demander si je ratifierais votre décision.

-Comte, reprit le premier magistrat d'un air offensé, nous n'avons en vue que la gloire de notre pays, et toute considération humaine s'est effacée devant notre devoir. Lyon seule possède le privilége d'avoir une horloge aussi merveilleuse, et, afin de conserver ce

privilége il fallait à tout prix rendre Nicolas Lipp incapable de recommencer ce travail. C'est pourquoi nous avions résolu de le priver de la vue.

C'est en vérité une bien petite privation, répliqua le comte d'un ton moqueur; mais vous n'avez donc pas réfléchi, mes chers collègues, que l'horloge aurait besoin d'entretien? Et si quelque jour elle vient à se déranger ou à s'arrêter, quel autre que Nicolas pourra la réparer? »

Les magistrats sé regardèrent d'un air consterné. Ils n'avaient jamais songé à cela. Si l'horloge s'arrêtait, sa renommée ne durerait pas longtemps, et que penserait-on des sages magistrats qui eussent mis le seul homme capable d'entretenir cette merveille, dans l'impuissance de le faire?

Le comte de Bonval, le sourire sur les lèvres, épiait les différentes physionomies.

« Allons, dit-il aux magistrats d'une voix radoucie, je vois que vous alliez faire une méprise. Je suis certain que vous agissiez dans une bonne intention et que vous aviez surtout à cœur l'honneur de votre patrie; mais à présent que nous avons prévu les difficultés auxquelles votre décision eût donné lieu, je crois qu'il vaudrait mieux nous attacher Nicolas pour toujours en le nommant horloger en chef des magistrats de Lyon. De cette façon, nous conserverons notre horloger, et notre horloger conservera la vue. »

Un soupir de satisfaction s'échappa de toutes les poitrines, et les magistrats, heureux d'avoir été arrêtés dans l'accomplissement de cet acte de folie et de cruauté, se rangèrent à l'avis de leur conseiller.

Après quelques pourparlers, on décida qu'aussitôt le rétablissement complet du comte de Bonval, on se réunirait sous sa présidence pour adresser à Nicolas des remerciinents publics, et l'horloger, un genou en terre, jura sur l'épée du comte.de ne jamais plus s'oc-` cuper d'horlogerie, excepté pour la ville de Lyon.

Après avoir reçu ce serment, les magistrats se levèrent et félicitèrent cordialement le seigneur de Bonval, qui se retira appuyé sur le bras de Nicolas et suivi de ses gens. Il en était temps, le comte n'en pouvait plus, ses forces l'abandonnaient.

« Il est heureux, dit-il d'une voix éteinte, que ma mission soit finie, car je me sens faiblir. »

Soutenu par Nicolas, il descendit doucement les degrés conduisant à la cour du palais. En y arrivant, ils trouvèrent maître Jacques dont la figure, d'ordinaire si gaie et si joviale, avait pris une expression triste et soucieuse; il n'eut pas plus tôt aperçu son neveu avec le noble jeune homme, qu'il se livra à toutes les démonstrations de la joie.

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Dieu soit béni! s'écria-t-il, il n'est rien arrivé à Nicolas! Mais, monseigneur, laissez-moi vous accompagner, ajouta-t-il en remarquant les pas chancelants du comte.

-Non, maître Jacques, répondit le gentilhomme, retournez plus tôt bien vite à la Fleur-de-Lys, et rassurez-les tous sur le compte de Nicolas. Quant à vous, dit-il à l'horloger, venez avec moi, vous ne me quitterez pas et vous me rendrez, avec André Dubois, les soins dont j'ai grand besoin. Si je meurs, je ferai en sorte que vous soyez désormais à l'abri de tout danger; si je vis, je serai pour toujours votre ami.

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Tout en prononcant ces paroles d'espoir, Nicolas ne pouvait s'empêcher, à l'aspect de la faiblesse extrême de son bienfaiteur, d'être rempli de craintes pour l'avenir.

Hélas! ces craintes n'étaient que trop fondées. Revenu chez lui, le comte de Bonval perdit connaissance, et lorsque, plusieurs heures après, il rouvrit les yeux, son regard fixe et sans expression ne prouva que trop à ceux qui l'entouraient qu'il venait d'avoir une rechute des plus dangereuses.

Pendant sept jours et sept nuits que le comte lutta contre la mort, Nicolas et le page ne quittèrent pas la chambre du malade. Bientôt on ne conserva plus aucun espoir, car les médecins craignaient que la fièvre cessant, la faiblesse du jeune homme ne lui permit pas de vivre longtemps.

Cependant, au moment même où Nicolas et Dubois redoutaient de perdre leur maître bien-aimé, il y eut tout à coup un changement salutaire. Les forces revinrent, et enfin, quelques semaines après, le comte de Bonval se trouva si bien, qu'il permit à Nicolas de retourner chez lui.

Nicolas se rendit tout d'abord à l'auberge de la Fleur-de-Lys, où il rencontra Henriette et Pierre. Nul ne savait au juste les dangers qu'avait courus le jeune horloger; aussi, doit-on se figurer aisément l'émotion de toute la famille, lorsque Nicolas, après les avoir rassurés sur la santé du comte, leur raconta tout ce qui lui était arrivé, et comment il n'avait dû son salut qu'au dévouement de son bienfaiteur. Il n'y eut qu'une voix pour implorer les bénédictions du ciel en faveur du noble jeune homme, et maître Morin pensa ne pouvoir faire un meilleur usage du vin le plus exquis de sa cave, qu'en le buvant avec ses amis à la santé du comte et de Nicolas.

Le comte de Bonval se rétablit assez promptement; mais, avant de réunir les magistrats pour procéder à la cérémonie dont nous avons parlé, il crut prudent de leur donner un petit conseil. Il leur recommanda de garder le plus profond silence sur tout ce qui s'était passé, et sur le supplice qu'ils avaient voulu infliger à Nicolas.

Les magistrats, craignant de s'attirer l'indignation et surtout le ridicule de leurs concitoyens, trouvèrent l'avis fort sage. Ils achetèrent le silence de plusieurs, et firent tout ce qu'il était possible afin de cacher leur honteuse action. Il circula bien de par la ville quelques bruits fâcheux; cependant, l'on ne sut jamais rien de positif, et si quelques personnes soupçonnaient que le bonheur de Nicolas n'avait pas toujours été sans nuages, elles pouvaient se convaincre que la splendeur de la gloire dont il jouissait les avait entièrement dissipés.

Ce ne fut pas sans un frisson involontaire que l'horloger se retrouva de nouveau dans cette immense salle du palais de justice, où, six semaines auparavant, il avait en vain imploré la pitié de ses juges.

Mais, cette fois, toutes les portes étaient ouvertes; le peuple avait mis ses habits de fête, et, au milieu des acclamations de la foule, le comte de Bonval, au nom des magistrats réunis, accorda à Nicolas le titre de citoyen de la ville, lui donna pour toujours la possession de la maison hantée, et le nomma conservateur de l'horloge avec trois cents livres de pension par an. Le comte remit en même temps à Nicolas des titres

assurant tous ses droits. Au moment où le jeune horloger s'inclinait respectueusement pour prendre ces papiers, le comte sentit tomber sur sa main une larme brûlante. C'était une larme de reconnaissance échappée des yeux de Nicolas, qui oubliait tout ce qui se passait autour de lui pour ne penser qu'à l'instant où, dans ce même endroit, son bienfaiteur lui était apparu pour le sauver.

« Que Dieu vous bénisse, monseigneur! lui dit-il à voix basse. Je ne saurai jamais assez vous prouver ma reconnaissance; vous m'aviez déjà sauvé la vie, lorsque vous avez exposé la vôtre pour m'éviter un supplice pire que la mort.

-Chut! répondit doucement le comte; chut! Je n'ai fait que profiter de la bonne occasion que Dieu m'a donnée de faire mon devoir. C'est à lui qu'en revient toute la gloire. »

D

Puis, se levant et se tournant du côté de l'assemblée :

<< Notre horloger, dit-il, est accablé sous le poids des honneurs; ainsi, je me vois obligé de vous remercier de sa part des récompenses que vous lui avez accordées; et, pour terminer dignement ce beau jour, je vous convie tous à un repas que j'ai fait préparer dans la cour de mon château.

- Bravo! s'écrièrent tous les assistants. Bravo! Vive le comte de Bonval! Vive Nicolas! »>

Après que les magistrats se furent retirés, la foule s'écoula joyeuse, se dirigeant vers le château du comte, où la journée se termina fort gaiement.

Le 15 septembre suivant, tandis que neuf heure sonnaient à la fameuse horloge d'où l'on voyait tour à tour sortir toutes les petites merveilles que nous avons détaillées, deux couples jeunes et heureux s'acheminaient vers l'autel de la cathédrale. Le comte de Bonval et sa fiancée, Emmeline d'Anville, marchaient en avant; Nicolas et Lucie les suivaient. Ils s'agenouillèrent tous quatre l'un à côté de l'autre et reçurent ensemble la bénédiction nuptiale. L'église était pleine de monde, et les cloches, sonnant à toutes volées, semblaient envoyer au ciel les vœux de bonheur que l'on faisait pour le sage magistrat et l'habile horloger.

Nicolas vécut longtemps, honoré et estimé de tous, et lorsque la voix bruyante de quatre beaux enfants eut animé les échos de la maison hantée, toutes les sottes frayeurs des habitants du quartier s'évanouirent.

Le comte de Bonval ne laissa échapper aucune occasion de prouver l'intérêt qu'il portait à l'horloger, qu'il regarda toujours comme son plus fidèle ami.

Quant à maître Jacques, il retrouva une autre fille dans Henriette, qui lui prodigua les plus tendres soins jusqu'à la fin de ses jours.

Imité de l'anglais par MME O. DELPHIN
BALLEYGUIER.

APOLOGUE ORIENTAL.

Un meurtrier avait enterré auprès d'un jeune chêne les corps de ses victimes. Il revint cinquante ans après, et voyant l'arbre qui avait grandi et qui étendait au loin ses rameaux, il lui dit :

« C'est à moi que tu dois ce bel ombrage et cette verdure éclatante. C'est mon crime qui fait ta force et ta beauté! >>

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celèrent à une hauteur d'un premier étage de maison. Le feu gagna les on ne put porter aucun sewagons; cours à ceux qui s'y trouvaient renfermés.

Bientôt plus de deux cents personnes, hommes, enfants, vieillards, femmes, entassés les uns sur les autres, se mirent à pousser d'horribles cris; mais le feu saisissait aussitôt les malheureux. En quelques minutes, toute la population de Bellevue, de Meudon et de Sèvres fut debout. Les flammes grandissaient toujours; on retirait bien çà et là, en s'exposant à être brûlé, quelques corps mutilés; mais on ne pouvait pas avancer, et l'on vit, sans pouvoir l'arrêter, le feu anéantir les corps de ces malheureux, qui se penchaient, se dressaient dans tous les sens pour échapper à l'incendie.

Parmi les victimes nombreuses qu'on eut à regretter, se trouvait Dumontd'Urville. Le célèbre amiral, qui avait fait deux fois le tour du monde et affronté tant de dangers dans ses voyages, pendant une carrière de trente-cinq années, venait périr à quelques lieues de Paris d'une ma

nière si affreuse! Sa femme et son fils, jeune philologue de la plus belle espérance, trouvèrent la mort à ses côtés. On n'a jamais su d'une manière positive le nombre des morts; on l'évalua à quatre-vingts.

C'est Dumont-d'Urville qui avait rapporté de Milo la belle statue dite Vénus de Milo. Ayant reçu le commandement de deux corvettes, l'Astrolabe et la Zélée, il explora l'Océanie et reconnut dans l'île Vanikoro le lieu où avait péri l'infortuné Lapérouse. Il publia, sous le titre de Voyage de l'Astrolabe, la relation de son expédition. En 1837, dans

STAAL

quitte! Oh! non, n'est-ce pas, maman? (A Louise.) Tu ne partiras pas; tu seras toujours notre sœur!... MME DELAUNAY, à part. Cela se complique! MARIE, à Louise. Un si beau dévouement me rendrait heureuse et fière; mais il m'est impossible d'en profiter.

LOUISE, s'agenouillant. Me refusez-vous le titre que je réclame?

MARIE. Relève-toi, mon enfant; je t'aime de toute mon âme, mais, je le jure devant Dieu, tu n'es pas ma fille!

un nouveau voyage, il explora DUMONT D'URVILLE. les mers Australes, poussa fort avant vers le pôle antarctique, en affrontant les plus grands périls au milieu des glaces, et découvrit quel

Né en 1790, mort le 8 mai 1842.

ques nouvelles terres, notamment la terre Louis-Philippe et la terre Adélie, et fut à son retour créé contreamiral.

TOUT N'EST POINT PAROLE D'ÉVANGILE,

SUITE ET FIN.

SCÈNE XXIII.

LES MÊMES, MATHILDE.

MATHILDE, accourant. Qu'ai-je appris? Louise nous

LOUISE, se relevant. Je ne suis pas.... Quelle perplexité! (A Mme Delaunay.) Madame, au nom du ciel!...

MME DELAUNAY. Rassure-toi, Louise, tu es bien à moi! (Elle la prend dans ses bras.)

LOUISE. Est-il bien vrai ?... Que faut-il croire?... Oh! dites, répétez-moi bien que je suis votre fille !

MME DELAUNAY, l'embrassant. Louise! Ma fille!!

LOUISE. Ah! vous êtes bien ma mère !... Que je suis heureuse!... Mon Dieu! que j'ai souffert!... (Mettant la main sur son cœur.) Je le sens, je serais morte de douleur de vous quitter et de ne plus vous voir!... (Elle se jette dans les bras de Mme Delaunay.)

MATHILDE, à Marie, avec émotion. Il faut cependant éclaircir ce mystère, car l'une de nous....

MARIE. N'achève pas.... il m'est défendu de m'expliquer....

MATHILDE. Mais je ne puis pas vivre ainsi.... Parlez, de grâce, ou je vais croire.... (faisant le mouvement de s'agenouiller) que je suis....

MARIE, apercevant Caroline. Regarde!...

SCÈNE XXIV.

LES MÊMES, CAROLINE, en habits de paysanne, MADELON.

CAROLINE, accourant. Ma mère!... (Elle se jette à ge

noux devant Marie, tenant son visage caché dans ses mains.)

MATHILDE, à part. Caroline!...

LOUISE, à part. Quoi!... serait-ce Caroline?...
MME DELAUNAY, à part. Voyons comment tout cela

va finir!

MADELON, à Mme Delaunay. Madame, j'implore votre pardon!

MME DELAUNAY. Vous avez commis une indiscrétion bien grave.

MADELON. Plus que cela, madame; j'avais induit en erreur Mlle Louise!... Je vois bien maintenant que je m'étais trompée, et que c'est Mlle Caroline.....

MME DELAUNAY. C'est bien!... Laissez-moi.... MARIE, à Caroline. Ma chère fille!... Je voudrais parler, mais je ne le puis. (Elle l'embrasse.)

CAROLINE. Chère mère! votre baiser est pour moi un gage de paix et d'amour!... Il me donne la force de réparer ma faute en remplissant mon devoir. (Se relevant et d'un ton ferme.) J'ai été bien coupable envers des personnes dont je n'avais reçu que des bienfaits.... Dieu me punit dans mon orgueil; je n'ai pas le droit de me plaindre, et je ne saurais y songer lorsque sa bonté me prépare en même temps d'autres consolations.... Je subirai avec résignation l'épreuve à laquelle il me soumet avec tant de justice.... Le courage que je déploierai désormais me vaudra le pardon que je veux mériter.... (A Mme Delaunay.) Vous, madame, à qui mon cœur continuera à donner le nom de mère, (à Mathilde et à Louise) et vous, que pour la dernière fois, peut-être, je puis appeler mes sœurs, daignez accueillir l'expression d'un repentir d'autant plus vif que je me vois dans l'impossibilité de faire ou blier mes torts; si votre bienveillance doit se ralentir, ne punissez que moi, et rendez à celle que je suis heureuse d'appeler ma mère tout ce que vous m'au rez ôté....

MATHILDE. Chère sœur!

LOUISE. Pauvre Caroline !... Je ne savais pas que je t'aimais autant!

MARIE. O mon Dieu! c'est trop de bonheur! Chères enfants, je vous aime toutes trois comme si vous étiez mes filles, et je voudrais qu'il en fût ainsi; mais je ne vous suis rien; au nom de Dieu qui m'entend, voilà votre mère !

MME DELAUNAY. Oui, mes enfants, et je réclame un si beau droit. (Les trois jeunes filles entourent leur mère et se disputent ses caresses.)

CAROLINE. Oh! cette fois, vous dites bien vrai, n'estce pas? Nous sommes toutes trois vos filles, et vous nous aimez comme par le passé?... Que j'ai dû vous faire de peine!... Mais vous l'oublierez et j'y ferai tous mes efforts, afin qu'il n'y ait entre mes sœurs et moi aucune différence.

MME DELAUNAY. Le cœur est chez toi meilleur que la tête, et c'est le principal.

MATHILDE. Ah! j'ai eu bien peur pour mon compte!... MME DELAUNAY. Vraiment! Et toi donc, Louise? LOUISE. J'ai souffert; mais, au moment où vous m'avez embrassée, tout a été oublié........ tout.... (à Marie, d'une voix caressante) excepté vous, bonne nourrice, que j'aime plus que personne au monde.... après

ma mère et mes sœurs....

MARIE. Ah! je te crois, excellente enfant! (A Mme Delaunay.) Quelles douces émotions, madame!... Pourquoi ne durent-elles pas toute la vie?

que

MME DELAUNAY. Ce serait long et dangereux. (A part.) Il faut y mettre un terme. (Haut.) Mes enfants, ce qui s'est passé doit vous servir de leçon. Sachez bien dans le monde tout n'est point parole d'Évangile, et qu'avant de croire, surtout un mal qu'on vous dira de quelqu'un, il faut avoir d'autres preuves que des mots en l'air ou des propos légers et le plus souvent malveillants. Que vous est-il arrivé? Une insinuation méchante échappa à une personne qui n'est

plus (Dieu fasse paix à son âme); d'autres ont cru avoir le droit de la répéter. Afin de montrer quelles graves conséquences peuvent avoir d'imprudents propos, j'ai désiré que la chose fût poussée jusqu'au bout. Sur ma prière, Marie a bien voulu se prêter à mon stratagème. Or, les renseignements donnés autrefois par Gertrude étaient aussi éloignés de la vérité que ceux que j'ai tout à l'heure fait entendre à Jeanneton et à Madelon. La vérité, c'est qu'il n'y a rien de changé ici, si ce n'est que la bonne Marie, (à ses filles) votre nourrice, consent à partager désormais notre maison et nos affections....

MARIE. Oh! madame, c'est trop de bonheur!

MME DELAUNAY. Et que nous allons nous promettre de vivre dans la plus parfaite union.

MATHILDE. Oui!

LOUISE. Cela sera facile. CAROLINE. Nous le promettons!

SCÈNE XXV.

LES MÊMES, JEANNETON, qui a mis la robe de Caroline. JEANNETON, arrivant. Je le promets aussi. (S'essuyant les yeux.) Ah! mon Dieu! que c'est donc beau! MARIE, riant et montrant Jeanneton à Mme Delaunay. Madame, une fille de plus!

JEANNETON, à Mme Delaunay. Je suis votre fille? Ah! quel bonheur!

MME DELAUNAY. Ma pauvre Jeanneton, es-tu folle? JEANNETON. Dame! puisque vous êtes en train de retrouver des filles.... une de plus, une de moins.... MME DELAUNAY. Mais cette mascarade?...

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JEANNETON, pleurant. Ce n'est pas ma faute à moi; Mlle Caroline est arrivée auprès de moi en me disant : Donne-moi ta robe tout de suite, voici la mienne! Madelon m'a tout compté; je ne suis plus Mlle Caroline Delaunay, je ne suis qu'une simple paysanne! > Alors je me suis pressée, vite, vite, et, pour venir voir un peu ce qui se passait, j'ai mis ces habits.... (se regardant) qui ne me vont pas trop mal, comme vous

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