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Il y a assurément de l'esprit dans cette fable; mais quels discours! car ce n'est plus même un dialogue. Si, au lieu de faire une fable, l'auteur s'était contenté de faire un parallèle en vers entre la girouette et le paratonnerre, je l'aurais beaucoup mieux aimé.

Vous avez remarqué ce trait de satire lancé contre le jeune ambitieux qui veut être ministre et n'est que député. C'est un des caractères particuliers de la fable, pendant les trente ans et plus qu'a duré en France la monarchie constitutionnelle, de se railler à cœur-joie de la vie parlementaire, des députés et des ministres. On sait quelle est ma prédilection déclarée pour les temps de la monarchie constitutionnelle. Croyez-vous que j'en veuille à la fable moderne de ses railleries contre les choses et les hommes de ce temps? Tout au contraire, je l'en remercie. J'entends souvent dire aujourd'hui que le gouvernement parlementaire ne convient pas à la France; qu'il n'a été qu'un rêve plus ou moins long, mais qu'il n'a jamais eu de réalité. Voici pourtant ce qui me persuade qu'il a existé aussi réellement que quoi que ce soit en France : c'est qu'il a été très-moqué, très-raillé, et cela pendant qu'il existait, ce qui lui fait honneur. L'histoire est pleine de gouvernements qui ont été raillés le lendemain de leur chute; la monarchie constitutionnelle a été critiquée et raillée pendant sa puissance. Cette patience de l'épigramme n'a pas empêché sa mort; mais elle

honore sa vie. M. Lavalette, M. Léon Halévy, M. Viennet, nos fabulistes les plus modernes, ne se sont jamais fait faute de railler les ministres et les députés. Jé dois même remarquer que, des trois fabulistes que je viens de nommer, celui qui attaque le moins les hommes et les choses du gouvernement parlementaire est celui qui n'a jamais été ministre ni député, M. Léon Halévy. Non pas qu'il n'y ait un peu de politique dans ses fables où n'y en avait-il pas autrefois? mais c'est de la politique toute générale et qui touche de près à la morale, celle qui n'est d'aucun parti et qui s'adresse à tous les hommes. Voyez la fable intitulée le Feu d'artifice:

:

A Paris... non, à Tombouctou,

La naissance d'un prince (on sait que c'est partout
Des jours les plus heureux l'avant-coureur propice);
Amenait... un feu d'artifice!

Le reste vient plus tard... ou ne vient pas du tout...
La nuit étincelait; la rapide fusée

Sur les ailes du vent s'élançait dans les cieux,
Puis bientôt retombait en ardente rosée...

Les soleils agitaient leur cercle radieux;
C'était un océan de feux,

Soulevant ses flots d'or sous la nue embrasée...
De la foule les cris joyeux

Éclataient, grandissaient, s'élevaient avec eux.
Cependant sur la place où jaillit la lumière,
Au milieu des splendeurs de ce ciel enflammé,
Brûlait modestement un pauvre réverbère,
Pour le bien du passant chaque soir allumé.

D'enfants une troupe moqueuse

Le remarque, et, riant de sa clarté fumeuse :
« Voyez donc, disent-ils; le bel astre vraiment !
Et comme il brille en ce moment ! »

Tout en parlant, l'un d'eux jette une pierre;
Une autre la suit, et bientôt
Notre infortuné réverbère

Voit en éclats voler son verre
Et s'éteint sous ce rude assaut.
Pendant cet acte de justice,
On avait tiré le bouquet:

Tout ce grand fracas se mourait,
Et ce feu si brillant, si glorieux... durait
Ce que dure un feu d'artifice.

Chacun alors veut rentrer au logis;

Mais par malheur on n'y voit goutte;

On s'agite, on se presse, on cherche en vain sa route, Les petits sur les grands, les grands sur les petits,

On s'écrase; partout le désordre et les cris,

Plaintes, querelles, gens meurtris;

C'est un tumulte, une déroute

A faire peur aux plus hardis!...
Au loin se répand l'épouvante,

Quand, par bonheur, une main bienfaisante,
Du pauvre réverbère, après de longs efforts,
Ranimant la flamme expirante,

Donne un guide à la foule... On le bénit alors;
A sa lueur modeste on rend plus de justice;

Que dis-je? c'est un Dieu! c'est un astre, un sauveur !
C'est un flambeau céleste, à la clarté propice !...
Et ce peuple, envers lui de tant d'affronts complice,
Veut maintenant, en son honneur,

Que l'on tire... un feu d'artifice!

Il est en cet exemple un utile conseil.

Craignons le vain éclat des lueurs mensongères,
Et des rêves trompeurs redoutons le réveil.
Si, dans l'enivrement de ces feux éphémères,
On éteint partout les lumières,
Au sortir d'un chaos pareil,

On bénira, comme un soleil,

Le plus humble des réverbères 1.

Quant à M. Viennet et à M. Lavalette, tous deux députés, Dieu sait quelles libertés ils se donnent! On voit qu'ils frappent en famille. Que dites-vous, par exemple, de la fable du Chêne et du Lierre de M. Lavalette?

Un chêne à la tête superbe

Semblait régner sur les bois d'alentour.
Auprès de lui, rampant sous l'herbe,
L'humble lierre lui dit un jour :

« Soyez mon protecteur, mon maître;
Souffrez qu'à vous je m'attache, et peut-être,
Si par vous je puis parvenir,

Mon tour viendra de vous servir.

Ah! quel honneur pour moi, seigneur, si votre tête,
Brillante désormais en dépit de l'hiver,

Acceptait mon feuillage vert! »
Devant la vanité, la prudence s'arrête,
Et puis on aime à protéger.

Le lierre done grimpa, tourna, gagna le faîte;
Mais l'arbre eut à souffrir de ce luxe étranger :
A ses rameaux étreints la séve arrive à peine;
Bientôt se dessèche le tronc,

Et longtemps avant l'âge on vit tomber le chêne
Sous la hache du bucheron.

1 M. Léon Halévy, Fables, liv. III, fable v, édit.de 1845.

Hommes d'État, ma fable vous regarde :
Le lierre, vil flatteur, veut croître à vos dépens;
Il s'attache à vous; prenez garde!

Plus que vos ennemis redoutez vos clients.

Que pensez-vous de l'Os à ronger de M. Viennet?

Un jeune groom, espiègle assez malin,
Agitant un os dans sa main,

Donnait en plein air audience
Aux chiens et chats de son logis,
Qui, léchant leur museau d'avance
Et sur leur derrière accroupis,

Dévoraient de leurs yeux, brillants d'impatience,
Le rogaton qui leur était promis.

-Çà, dit le groom, quel en est le plus digne?
Je prétends le savoir avant de faire un choix.

-

Et

Rangez-vous tous sur une ligne,

que chacun fasse valoir ses droits.

- Nuit et jour, dit le dogue, on sait bien que je veille;

En paix, grâce à mes soins, notre maître sommeille;

Et, l'autre jour, un polisson,

Qui médisait de la maison,

Dans ma gueule sanglante a laissé son oreille.

Le chien qui gardait les brebis

Vante à son tour sa vigilance:
Jamais loups ne l'avaient surpris;
Il imposait par sa vaillance

A ces terribles ennemis.

Un vieux chat, composant sa mine papelarde,

Compta les rats et les souris

Que dans sa vie il avait pris:
Des caves jusqu'à la mansarde
Il n'en restait gros ni petits,
Tant il était de bonne garde.

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