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besoin, et qui forma dans la suite la bonne Comédie; il produisit sur la scene la conversation des honnêtes gens. La Comédie jusques-là n'avoit rien imité. On avoit pour toute source de comique quelques personnages bas et burlesques, des Jodelets, des Capitans, des Valets ivres ou stupides, qui outroient tout, et ne peignoient rien. Corneille supprima tous ces monstres insipides; il instruisit la Comédie à retracer nos passions, nos ridicules, notre langage; et le germe de toutes ces réformes est dans cette Mélite si imparfaite, dont il nous a depuis autorisés à rougir pour lui; mais qui est aussi supérieure à la meilleure piece de Hardy, que Tartufe ou le Misanthrope est supérieur à Mélite. » Éloge de P. Corneille, par M. Gaillard, page 24 et 25.

On a vu dans la vie de Corneille, par Fontenelle, ce qui donna lieu à cette Comédie. « La Demoiselle qui en avoit fait naître le sujet, porta long-tems dans Rouen le surnom glorieux de Mélite, et se vit ainsi dès-lors associée à toutes les louanges que reçut son illustre amant. >>

« Le Public ne rendit pas d'abord à cette piece toute la justice qu'elle méritoit. Il fallut plusieurs représentations pour lui faire sentir la supériorité qu'elle montroit sur toutes celles qui l'avoient précédées. Mais Hardy, qui étoit l'Auteur bannal du Théatre, et qui partageoit avec les Comédiens le produit de toutes les pieces, même de celles qu'il n'avoit pas composées, disoit à ceux qui lui apportoient sa part des représentations de Mélite: Bonne farce! bonne farce!

parce que cette part s'augmentoit de jour en jour. » Parfaict, histoire du Théatre François, tome quatrieme, page 461, et Anecdotes dramatiques, tome premier, page 539.

<<< Le succès de Mélite devint si prodigieux, que, dès ce coup d'essai, l'on reconnut l'excellent génie de ce nouvel Auteur, et l'on jugea qu'il alloit remettre la Comédie en crédit. Le concours y fut en effet si grand, que les Comédiens qui avoient été réduits encore une fois, faute de spectateurs, au seul Théatre de l'Hôtel de Bourgogne, se séparerent de nouveau, et établirent la Troupe du Marais du Temple.» Histoire de la Ville de Paris, liv. dix-neuvieme.

<< Avant cette époque, disent les mêmes Historiens, les Pieces de Théatre de nos premiers Poëtes commencerent à vieillir, et leurs représentations froides et languissantes, n'ayant plus cet air de nouveauté qui ne charme qu'autant qu'il surprend, ne donnoient plus aucun plaisir. Les Comédiens voulurent suppléer à ce défaut par de mauvaises farces, le plus souvent insipides, ou remplies d'obscénité; mais il n'y eut que le bas peuple, ou tout au plus quelques libertins qui s'accommoderent de ce spectacle ridicule, indigne du Théatre François. Cette licence étoit parvenue à un tel point, que le Magistrat fut obligé d'y mettre la main; ainsi la Comédie tomba dans un fort grand mépris. Les choses étoient dans cet état, et le Théatre presque abandonné, lorsque P. Corneille fit paroître sur la scene sa Mélite. » Fontenelle, dans son Histoire du Théatre François, ajoute à cette

si

cause de décadence, la vieillesse de Hardy et sa mort prochaine, qui alloit, dit-il, bientôt faire une grande breche au Théatre, quand Corneille donna Mélite.

« Il n'avoit que dix-neuf ans; et elle se sentoit encore beaucoup du ton des premiers Poëtes; quelques pensées libres et de fréquens baisers faisoient la plus grande partie du Comique. Corneille réforma, dans la seconde Edition, toutes ces indécences, et en corrigea aussi le style et la versification. >> Joly, édition de P. Corneille, in-12, 1747.

Clitandre, ou l'Innocence délivrée, Tragédie, précédée d'une Préface et d'un Argument, et dédiée au Duc de Longueville; représentée et imprimée, pour la premiere fois, à Paris, in-8. chez François Targa.

en 1632,

« Un voyage que je fis à Paris, dit Corneille, dans l'Examen de Clitandre, pour voir le succès de Mélite, m'apprit qu'elle n'étoit pas dans les vingt-quatre heures. C'étoit l'unique regle que l'on connût en ce temslà. J'entendis que ceux du métier la blâmoient de peu d'effet, et de ce que le style en étoit trop familier. Pour la justifier contre cette censure par une espece de bravade, et montrer que ce genre de Pieces avoit les vraies beautés de Théatre, j'entrepris d'en faire une réguliere, c'est-à-dire, dans ces vingt-quatre heures, pleine d'incidens, et d'un style plus élevé, mais qui ne vaudroit rien du tout; en quoi je réussis parfaitement.

Le style en est véritablement plus fort que celui de l'autre; mais c'est tout ce qu'on y peut trouver de supportable. Il est mêlé de pointes, comme dans cette premiere; mais ce n'étoit pas alors un si grand vice dans le choix des pensées, que la scene en dût être entiérement purgée. Pour la constitution, elle est si désordonnée, que vous avez peine à deviner qui sont les premiers Acteurs. Rosidor ( favori d'Alcandre, Roi d'Ecosse) et Caliste, (maîtresse de Rosidor et de Clitandre, favori du Prince Floridor, fils du Roi Alcandre) sont ceux qui le paroissent le plus par l'avantage de leur caractere et de leur amour mutuel; mais leur action finit dès le premier acte avec leur péril; et ce qu'ils disent au troisieme et au cinquieme, ne fait que montrer leur visage, attendant que les autres achevent. Pymante et Dorise (Pymante est amoureux, mais dédaigné de Dorise) y ont le plus grand emploi; mais ce ne sont que deux criminels qui cherchent à éviter la punition de leurs crimes, et dont même le premier en attente de plus grands, pour mettre à couvert les autres. Clitandre autour duquel semble tourner le noeud de la Piece, puisque les premieres actions vont à le faire coupable, et les dernieres à le justifier, n'est peut-être qu'un Héros bien ennuyeux, qui n'est introduit que pour déclamer en prison, et ne parle pas même à cette maîtresse, (Caliste) dont les dédains servent de couleur à le faire passer pour criminel. Tout le cinquieme Acte languit, comme celui de Mélite, après la conclusion des épisodes, et n'a rien de surprenant, puisque dès le qua

trieme on devine tout ce qui doit y arriver, hormis le mariage de Clitandre avec Dorise, qui est encore plus étrange que celui d'Eraste (avec Cloris dans Mélite), et dont on n'a garde de se défier. Le Roi et le Prince son fils y paroissent dans un emploi fort au-dessous de leur dignité. L'un n'y est que comme juge, et l'autre comme confident de son favori...... Les monologues sont trop longs et trop fréquens en cette piece. C'étoit une beauté en ce tems-là; les Comédiens les souhaitoient, et croyoient y paroître avec plus d'avantage..... Pour le lieu, il a encore plus d'étendue, ou si vous voulez souffrir ce mot, plus de libertinage que dans Mélite. Il comprend un Château d'un Roi, avec une forêt voisine, comme pourroit être celui de S. Germain, et est bien éloigné de l'exactitude que les séveres critiques y demandent. »

Ces fragmens de l'examen rigoureux que Corneille fit de Clitandre, tiendront lieu d'un extrait de cette Piece, qu'il seroit fort difficile de faire connoître, tant le sujet est compliqué et surchargé d'incidens. Nous rapporterions même en entier le très-long Argument qu'en donna Corneille, que l'on auroit bien de la peine encore à en sentir l'intention, et à en suivre la marche.

Clitandre n'eut d'abord que le titre de Tragi-Comédie, et ce ne fut que dans l'édition in-folio que Corneille donna de ses œuvres en 1663, qu'il intitula cette piece Tragédie, après y avoir fait de grands changemens, et en avoir retranché ce qu'il y avoit de trop libre, particuliérement une scene dans laquelle

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