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d'aversion, non plus que pour Lucain. Il falloit aussi qu'il n'en eût pas pour Stace, fort inférieur à Lucain, puisqu'il en a traduit en vers et publié les deux premiers Livres de la Thébaïde. Ils ont échappé à toutes les recherches qu'on a faites depuis un tems, pour en retrouver quelque exemplaire.

CORNEILLE étoit assez grand et assez plein, l'air fort simple et fort commun, toujours négligé, et peu curieux de son extérieur. Il avoit le visage assez agréable, un grand nez, la bouche belle, les yeux pleins de feu, la physionomie vive, des traits fort marqués, et propres à être transmis à la postérité dans une médaille ou dans un buste. Sa prononciation n'étoit pas tout-àfait nette: il lisoit ses vers avec force; mais sans grace.

Il savoit les Belles-Lettres, l'Histoire, la Politique; mais il les prenoit principalement du côté qu'elles ont rapport au Théatre. Il n'avoit pour toutes les autres connoissances, ni loisir, ni curiosité, ni beaucoup d'estime. Il parloit peu, même sur la matiere qu'il entendoit si parfaitement. Il n'ornoit pas ce qu'il disoit ; et C

pour trouver le grand CORNEILLE, il le falloit

lire.

Il étoit mélancolique. Il lui falloit des sujets plus solides, pour espérer et pour se réjouir, que pour se chagriner ou pour craindre. Il avoit F'humeur brusque, et quelquefois rude en appabon rence; au fonds, il étoit très-aisé à vivre, pere, bon mari, bon parent, tendre et plein d'amitié. Son tempérament le portoit assez à l'amour; mais jamais au libertinage, et rarement aux grands attachemens. Il avoit l'ame fiere et indépendante, nulle souplesse, nul manége; ce qui l'a rendu très-propre à peindre la vertu Romaine, et très-peu propre à faire sa fortune. Il n'aimoit point la Cour; il y apportoit un visage presque inconnu, un grand nom qui ne s'attiroit que des louanges, et un mérite qui n'étoit point le mérite de ce pays-là. Rien n'étoit égal à son incapacité pour les affaires, que son aversion. Les plus légeres lui causoient de l'effroi et de la terreur. Quoique son talent lui eût beaucoup rapporté, il n'en étoit guere plus tiche. Ce n'est pas qu'il eût été fâché de l'être; mais il eût fallu le devenir par une habileté qu'il

n'avoit pas, et par des soins qu'il ne pouvoit prendre. Il ne s'étoit point trop endurci aux louanges, à force d'en recevoir; mais s'il étoit sensible à la gloire, il étoit fort éloigné de la vanité. Quelquefois il se confioit trop peu à son rare mérite, et croyoit trop facilement qu'il pût avoir des rivaux.

A beaucoup de probité naturelle, il a joint, dans tous les tems de sa vie, beaucoup de religion, et plus de piété que le commerce du monde n'en permet ordinairement. Il a eu besoin souvent d'être rassuré par des casuistes sur ses Pieces. de Théatre, et ils lui ont toujours fait grace en faveur de la pureté qu'il avoit établie sur la scene, des nobles sentimens qui regnent dans ses Ouvrages, et de la vertu qu'il a mise jusques dans l'amour.

Fontenelle étoit neveu de Corneille, et ne devoit pas manquer de Mémoires sur son oncle; cependant cette Vie en donne bien peu de particularités personnelles. Elle fut insérée dans l'Histoire de l'Académie Françoise, et tous les Éditeurs de P. Corneille l'ont placée au-devant de leurs éditions; mais Fontenelle l'a refaite et considérable

ment augmentée. On la trouve de cette seconde maniere dans le troisieme volume des Œuvres de Fontenelle, in-12. Il s'y est étendu en dissertations sur les Ouvrages sans faire connoître beaucoup plus l'Auteur.

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Comme rien de ce qui regarde un homme tel que Corneille n'est indifférent, nous croyons que l'on sera bien-aise de retrouver ici quelques. unes des particularités échappées à Fontenelle, et quelques jugemens d'Ecrivains célebres, sur le pere de notre Théatre.

On ne peut douter que celui qui peignit les Romains de la maniere la plus sublime qui soit possible, n'eût l'ame aussi noble que César, et ne se fût bien passé de la noblesse d'institution; cependant le pere de Corneille ayant rendu, en diverses occasions, de bons services à Louis XIII, dans la Maîtrise des Eaux et Forêts de la Vicomté de Normandie, ce Monarque lui donna des Lettres de Noblesse, et Parfaict dit que la famille de Marthe le Pésant, mere de Corneille, subsiste encore, avec éclat, dans les plus grandes charges de la Magistrature.

Corneille se maria de bonne-heure et par inclination; mais il ne fallut pas moins que la

puissance du Cardinal de Richelieu pour lui faire obtenir l'objet de son amour. Un matin qu'il se présenta plus triste et plus rêveur qu'à l'ordinaire chez le Cardinal, celui-ci lui demanda s'il travailloit. CORNEILLE répondit qu'il étoit bien éloigné de la tranquillité nécessaire pour la composition, et qu'il avoit la tête renversée par la passion violente que lui inspiroit une fille du Lieutenant-Général d'Andely, nommée Lampériere, que son pere ne vouloit pas lui accorder. Le Cardinal fit venir à Paris ce pere difficile, qui arriva tout tremblant d'un ordre si imprévu ; mais qui fut bien content d'en être quitte pour donner sa fille à un homme tellement en crédit.

P. CORNEILLE eut deux fils qui servirent. Le plus jeune de ces deux ayant même été trèsgriévement blessé au siége de Douai, en présence de Louis XIV, se vit obligé de se retirer, comme on l'apprend par l'Épître de Corneille au Roi, sur son retour de Flandres; et il fut ensuite tué, dans une autre affaire, étant Lieutenant de Cavalerie. Un troisieme fils de P. CORNEILLE embrassa l'état Ecclésiastique,

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