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Le P. Le Tellier n'était donc pas un inconnu. Les diverses polémiques qu'il avait soutenues, les charges dont les siens l'avaient honoré, permettaient au Roi et à ses conseillers de l'étudier, de le connaitre. Ils durent se demander, avant de lui confier la charge si importante de confesseur du prince, ce qu'étaient la vertu, la science, le caractère de cet homme, ce qu'il fallait attendre de lui. Sa conduite passée faisait prévoir sa conduite future. Louis XIV, qui recommandait à son fils « d'examiner les hommes avant que de les mettre dans l'emploi, de ne pas se contenter d'une étude superficielle, parce que la plupart se déguisent aisément dans la passion de parvenir à l'autorité qu'ils se proposent », lui qui traitait les affaires religieuses avec tant de soin et disait que la distribution des bénéfices est sans comparaison plus importante que le service du prince et la tranquillité de ses sujets », lui qui voulait le savoir, la pitié, la conduite en ceux qu'il honorait d'une dignité ecclésiastique, quelles qu'aient été d'ailleurs ses inconséquences sur ce point, ne dut se décider, dans une question aussi grave, qu'après avoir murement réfléchi, longtemps étudié, fréquemment pris conseil. C'est du reste ce que les écrivains de l'époque s'accordent à reconnaître. La délibération de ce choix dura un mois, du 20 janvier au 21 février, remarque Saint-Simon lui-même ‘.

1 Mémoires de Louis XIV', t. I, année 1670, edit. Dreyss.

* Voici le texte complet de ce passage: Qui pourrait croire, mon fils, qu'il y eût quelque chose de plus important que notre service et que la tranquillité de nos sujets? Cependant la distribution des bénéfices, par la suite nécessaire qu'elle entraine après elle, l'est sans comparaison davantage et autant que le ciel est élevé audessus de la terre, • Fragment isolé des Mémoires de 1662, t. II, p. 487.) * Op. cit., année 1662. Fragment, t. II, p. 487, note. Memoires, t. IV, ch. xxv, p. 288.

Toutefois, au dire du même écrivain et de ceux qui l'ont copié plus ou moins servilement, ce prince, assez heureux pour distinguer de la foule et grouper autour de son trône une pléiade d'hommes illustres, se trompa lourdement sur la personne du P. Le Tellier. Mme de Maintenon, l'évêque de Chartres, le curé de SaintSulpice, les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers ne furent ni plus clairvoyants, ni mieux inspirés.

Il s'en fallait pourtant de beaucoup que tous ceux dont le monarque avait pris l'avis en cette affaire fussent disposés à fermer les yeux à la lumière, à regarder instinctivement comme d'insignifiantes bagatelles tous les reproches qu'on prodiguait aux Jésuites, à trouver admirable tout ce que faisaient ou pensaient ces religieux. Chevreuse, par exemple, conservait pour eux un « éloignement secret que ses liaisons plus qu'intimes avec Fénelon ne purent émousser1». On l'accusait également de pencher encore à cette époque vers le jansénisme; ce qui ne devait pas assurément le rapprocher d'un homme qui s'était déjà signalé par la hardiesse de ses attaques contre la secte et ses partisans, par le nombre et le retentissement des combats qu'il avait précédemment livrés.

Nous espérons prouver qu'en dépit des calomnies. qu'on a déversées sur ce prêtre et que plusieurs historiens répètent aveuglément à l'envi, il fut vraiment le ministre fidèle que le prince voulait. « Le confesseur du Roi, écrivait Chevreuse, parait avoir tout ce qu'il faut, si la cour, qu'il n'a connue jusqu'à présent que par oui-dire, ne le change pas. » La cour ne le changea pas, et Che

1 Saint-Simon.

* A Fénelon, 9 avril 1709. Cf. OEuvres de Fén., édit. des Sulpiciens.

vreuse ne s'était point trompé dans son premier jugement. En suivant pas à pas les Mémoires de SaintSimon, en les réfutant, nous aurons, croyons-nous, rétabli la vérité sur les points importants, et détruit les accusations les plus répandues contre le Confesseur.

CHAPITRE II

CARACTÈRE DU P. LE TELLIER.

Difficultés de la position du Confesseur. - Accusations de SaintSimon et leurs réfutations: la grossièreté du P. Le Tellier; son ignorance; sa dissimulation; sa violence; son ambition; son égoisme. Mérites niés ou diminués. — Réfutation générale.

La charge confiée au P. Le Tellier présentait alors, plus qu'en tout autre temps, les plus sérieuses difficultés. La tempête grondait sourdement de tous côtés, et le jansénisme s'apprêtait à pousser la guerre avec plus d'activité que jamais; à se servir, pour triompher, de toutes les armes, de la ruse comme de la violence. C'était sur le Confesseur qu'allait retomber principalement, comme Fénelon ne se lassait pas de le lui redire', le soin de diriger la défense, en éclairant le prince sur les menées secrètes du parti, et en se faisant auprès de lui l'interprète obligeant, l'intermédiaire constant, le défenseur même des évêques qui oseraient résister en face à la secte. Accepter et remplir cette tâche, signaler l'ennemi partout où il se montrerait, en dépit des menaces et des outrages, c'était se dévouer à la fureur d'adversaires nombreux et puissants.

Le Tellier ne recula point devant le devoir, et les novateurs, que la mort attendue et désirée du Roi ren

Cf. Lettres à Chevreuse, 19 décembre 1709, 12 mars 1711, etc.

dait plus terribles et plus hardis, le rencontrèrent ou crurent le rencontrer partout sur leur chemin prêt à leur barrer le passage, s'ils faisaient un pas en avant. Leur haine contre ce courageux champion ne connut plus de bornes; elle s'exhala dans des pages sans nombre, et nul plus que lui ne fut honoré de leurs injures et de leurs calomnies 1.

Saint-Simon, on le sait, s'est fait l'un des échos les plus fidèles des imputations dont ils le chargèrent. Ses Mémoires sont le résumé le plus vivant des accusations qui jaillissaient sans interruption du cerveau malade des écrivains jansénistes.

En les répétant, il parait heureux non seulement de glorifier des mécontents comme lui, mais de venger sur l'un des amis du prince l'isolement auquel il se voyait condamné. Le Tellier, le fils d'un pauvre paysan, était dans les honneurs, et lui, le grand seigneur, en était réduit à critiquer, à jalouser. La faveur du Jésuite

1 si l'on veut voir quelles monstruosités on débita contre lui, qu'on lise à la Bibl. nat, une Vie du P. Le Tellier (Histoire ecclésiastique, no 770), imprimée en Hollande. Des adversaires qui se servent d'armes pareilles n'arrivent qu'à se déconsidérer eux-mêmes.

La rédaction définitive de cet ouvrage, écrit à la diable pour la postérité, se place probablement entre les années 1740 et 1746. 11 fut composé principalement à l'aide des notes que l'auteur avait prises au jour le jour sur les événements des vingt-cinq dernières années de Louis XIV; Saint-Simon, toutefois, se servit encore des OEuvres contemporaines, et spécialement du Journal de Dangeau.

Ce que nous avons dit à propos du lieu de naissance du P. Le Tellier semble indiquer que son père était un honnête villageois d'une fortune médiocre. Était-il de plus procureur du Roi, comme plusieurs l'affirment, c'est-à-dire, avait-il pouvoir d'agir ou d'administrer au nom du prince? La chose est fort possible, d'autant que le bois de Bouteron, auprès duquel il habitait, appartenait au Roi par forfaiture, comme, d'après la Chronique, le rapporte M. Adam dans le manuscrit précédemment cité.

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