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approuvées par des évêques puissants et redoutables à leurs confrères, et les plus grands maux de l'Église, sous les empereurs chrétiens, sont venus des évêques des villes impériales, qui abusaient de l'autorité que leur place leur donnait. C'est de quoi l'histoire ecclésiastique nous fournit de bien tristes exemples.

Maintenez donc, Sire, nous vous en conjurons, maintenez les évêques du premier et du plus chrétien de tous les royaumes dans la liberté que leur ministère demande, et qu'on tente évidemment de leur ôter. Qu'il nous soit permis à tous de marquer hautement aux brebis de nos troupeaux les bons et les mauvais pâturages. En condamnant les livres hérétiques, que nous n'ayons plus à craindre que les sectaires qui les ont faits. Qu'ils nous outragent, ces sectaires, qu'ils nous outragent dans leurs libelles, c'est l'esprit de l'hérésie; nous nous y attendons et nous nous en faisons gloire.

Puissiez-vous, Sire, et par le respect que M. le Cardinal doit à ce que vous êtes, et par la reconnaissance qu'il doit à vos bienfaits, puissiez-vous obtenir de lui qu'il enlève enfin un scandale qui fait depuis longtemps gémir tous les vrais fidèles, en ôtant son approbation et sa protection à un livre qu'il ne peut plus soutenir que par des voies de fait absolument indignes de son caractère. Il y a, dans la place où il est, une vraie grandeur d'âme à pouvoir confesser qu'on s'est trompé, ou qu'on a été trompé. Quelle édification pour l'Église dans cet aveu! Quelle gloire pour Votre Majesté d'avoir refermé cette plaie de l'épiscopat, et de nous avoir tous unis pour seconder votre zèle à exterminer l'erreur! Il y a lieu de croire que M. le Cardinal cédera à ce zèle, auquel rien n'a résisté. Mais si Votre Majesté n'était pas assez heureuse pour faire pencher enfin ce prélat du côté qu'il faut, oserons-nous espérer de votre piété, Sire, que vous ferez retrancher votre privilège du plus pernicieux livre que l'hérésie ait enfanté?

Nous supplions encore un coup Votre Majesté d'être persuadée qu'il n'y a aucun ressentiment qui nous fasse agir dans cette occasion, puisque nous sommes remplis d'amour,

d'estime et de respect pour M. le Cardinal: mais ce qui nous afflige, c'est qu'avec tout le zèle qu'il a pour l'Église, il ne laisse pas de donner sa confiance à des personnes qui certainement ne travaillent qu'à établir la doctrine des nouvelles erreurs.

Quelque éclatantes que soient toutes vos autres actions, Sire, c'est toujours de ce que vous avez fait pour la religion que vous tirerez votre plus solide gloire. C'est celle-là surtout que nous souhaitons à Votre Majesté, en lui demandant ici sa protection pour nous et pour toute l'Église de France.

CHAPITRE VII

L'AFFAIRE DE NOAILLES ET DES ÉVÉQUES EST REMISE
AU DAUPHIN, PUIS RENVOYÉE AU PAPE.

Noailles rentre en grâce.

La lettre de satisfaction.

L'affaire est remise au Dauphin. - Motifs de cette remise. Le Dauphin s'applique à cette affaire.. Projet d'accommodement. — Perfidie de ce projet.-L'évêque d'Agen. - Noailles recule encore. - Noailles fait attaquer les évêques. - L'affaire à Rome.

Cependant les nuages amoncelés sur la tête de Noailles se dissipèrent promptement, et le ciel pour lui redevint calme et serein. Dangeau nous apprend, en effet, à la date du 18 mai, que quelques jours auparavant le monarque lui avait envoyé « M. Voysin pour l'assurer de son estime et de son amitié1».

Il n'est pas difficile de pénétrer les causes de ce revirement subit l'archevêque de Paris se trouvait à la cour dans la plus favorable situation. Le Roi ne se défendait qu'avec peine contre une évidente inclination à beaucoup excuser en lui, et Mme de Maintenon lui conservait toujours une bienveillance que son entètement et ses fautes avaient seulement amoindrie. Sa nombreuse famille d'ailleurs, et surtout la maréchale de Noailles, sa belle-sœur, rangeaient à ses côtés bien des courtisans.

Il n'était pas homme, on le pense, à négliger de tels secours. Dans cette circonstance spécialement, il fut

1 Journal de Dangeau.

activement servi par ses amis, qui ne se lassaient pas de tenter tous les efforts imaginables pour faire revenir Sa Majesté à son égard». Au reste, il ne s'abandonnait pas lui-même. « Quoiqu'il se fût vengé, dit Languet, il voulait encore que le Roi le vengeât de l'insulte que les deux évêques lui avaient faite; il ne cessa de crier, de se plaindre et d'intéresser par ses lettres Mme de Maintenon dans sa cause 2. » Il ne s'en tint pas là. « Il écrivit au Roi, mande Lallemant à Fénelon, une lettre très piteuse, où il promit de tout faire. C'est sur cette lettre, ajoute-t-il, qu'il doit aller mercredi à Marly 3. »

Il s'y rendit, en effet, quelques jours plus tard, le 20 mai. C'était aux yeux de tous lui donner manifestement gain de cause. Aussi Dangeau écrivait-il, en signalant cette nouvelle, que l'affaire du Cardinal prenait un très bon chemin. Il ne se trompait pas.

Les évêques avaient demandé au Roi de se pourvoir devant le Saint-Siège contre l'ordonnance de Paris; ils reçurent une communication toute différente. Malgré les avis respectueux du P. Le Tellier, Louis XIV leur envoyait, en effet, le modèle d'une lettre de satisfaction,

1 Mémoire historique présenté au Pape, no 9.

2 Op. cit., liv. XII, p. 434.

3 17 mai 1711.

S'il fallait accepter le récit du continuateur de Mézeray, le Cardinal de Noailles se serait montré bien exigeant, Louis XIV bien conciliant. Le Roi, écrit-il, envoya M. Voysin à M. le Cardinal, à qui il dit qu'il pouvait venir à la cour, et que Sa Majesté avait été surprise en cette affaire. M. de Torci lui vint dire la même chose au bout de deux jours, mais comme Son Éminence n'alla point à Marly pour cela, on jugea qu'ayant reçu par écrit l'ordre de n'y point aller, elle attendait de même une invitation par écrit pour s'y rendre. Mme de Maintenon lui écrivit donc.. (Abrégé chronologique de l'histoire de France, p. 551.) Saint-Simon est dépassé en imagination.

5 18 mai.

qu'ils devaient adresser au Cardinal. Celui-ci, de son côté, promettait d'agir effectivement contre le livre du P. Quesnel, ce qui devait donner lieu aux deux prélats de faire excuse de ce qu'ils avaient écrit.

MM. de Champflour et de Lescure furent grandement surpris de cet ordre royal; ils prièrent le P. Le Tellier d'être auprès du prince l'interprète de leur légitime étonnement. Le Jésuite s'acquitta volontiers de cette mission, mais les raisons que les deux évêques alléguaient pour se dispenser de la démarche réclamée ne furent agréées ni de Louis XIV, ni de son confesseur'.

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Chargé de leur en donner avis, le Jésuite plaide sans détours en faveur de la paix et réfute même les objections qu'ils avaient mises en avant. Selon lui, ils doivent céder au désir du prince. Excepté de parler contre votre conscience, leur écrit-il, en disant quelque chose que vous sauriez être faux, ou en rétractant ce que vous croyez vrai, je suis persuadé qu'il n'y a rien que vous ne deviez faire en cette occasion pour contenter le Roi, d'autant plus qu'il n'attend cela de vous que pour être en état d'accommoder les choses à l'avantage de l'Église. »

Les évêques, toujours humbles et conciliants, souscrivirent magnanimement aux conseils pacifiques du Confesseur. L'estime que j'ai de vos lumières et de votre piété, lui répondait M. de Champflour, m'a porté à déférer à votre sentiment, à l'égard de ce que nous

1 Lallemant écrivait à Fénelon à ce sujet : « Il n'a pas été possible de refuser au Roi l'acte qu'il demandait à l'une des parties... La situation du P. Le Tellier a été des plus fâcheuses par les raisons que vous dites. 17 juin 1711.

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A l'évêque de la Rochelle, 1er juin 1711.

36 juin 1711.

Cf. Correspondance de Fénelon.

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