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désire, c'est la liberté de défendre l'Église contre les novateurs, et l'espérance qu'on appuiera ce que je ferai pour la bonne cause, quand il méritera d'être soutenu'. » D'ailleurs, suivant la remarque de Bausset, «< il connaissait trop sa position personnelle et la disposition de la cour à son égard pour concevoir des espérances sans objet ».

Ainsi, loin que Le Tellier ait dù faire de son intervention pour le retour de Fénelon à Versailles les arrhes d'un marché honteux; loin que l'archevêque de Cambrai, comme on l'ose affirmer, promit son secours à ce prix seulement, le noble exilé conjure le Jésuite, son ami, de l'oublier entièrement, de le laisser dans l'état où Dieu l'a mis il n'en sera pas moins toujours prêt à lutter à ses côtés pour la défense de la foi.

Cet amour ardent et fort de Fénelon pour l'Église le fit applaudir au cri d'alarme parti de la Rochelle et de Luçon la démarche des deux évêques le combla de joie. C'était son droit; le fils ne doit-il pas se réjouir du bonheur de sa mère?

:

Le Tellier se joignit-il à son pieux ami pour hater la publication de ce mandement et confirmer les prélats dans leur légitime résolution? C'est ce qu'il est impossible d'établir avec certitude, les Mémoires du temps et la correspondance même de Fénelon se taisant sur ce point. Assurément, s'il connut d'avance l'Instruction pastorale, et la chose ne semble pas douteuse, il ne put que stimuler les deux vaillants champions de la vérité et leur promettre l'appui de sa juste influence. Le poste qu'il occupait lui en faisait une rigoureuse obligation 3.

1 Mémoire adressé au P. Le Tellier, 1710, n° 3.

Histoire de Fénelon, liv. VI, no 15.

Le pape Clément XI félicita chaleureusement les deux prélats

« Cependant, continue Saint-Simon, cette pièce, qui était proprement un tocsin, n'était pas faite pour demeurer ensevelie dans les diocèses de Luçon et de la Rochelle. Elle fut non seulement envoyée à Paris, qu'on en inonda, mais, contre toute règle ecclésiastique et de police, affichée partout et principalement aux portes de l'église et de l'archevêché de Paris'.

"

Cette publicité donnée à la condamnation d'un ouvrage dont Noailles se regardait comme le défenseur attitré ne pouvait manquer d'irriter ce prélat. Mais à qui la faute? Pourquoi se faisait-il le protecteur d'un livre pernicieux quesa téméraire approbation rendait plus nuisible?

Il n'est pas vrai, d'ailleurs, qu'on le voulût insulter par l'annonce du mandement, et qu'on agit en cela contre toute règle ecclésiastique et de police: on suivit simplement une coutume depuis longtemps établie, que la prudence eût peut-être conseillé d'oublier un instant. Les évêques, non plus que leurs amis Fénelon et Le Tellier, qu'il y ait eu manque de discrétion ou non, ne doivent point être mêlés à cet incident; l'affichage aux murs du palais archiepiscopal n'est pas leur fait.

« Dès que cette ordonnance eut paru à la Rochelle, dit Picot, l'imprimeur, pour s'en procurer le débit, la

de cet acte énergique. • Nous n'avons reçu que tard, leur écrivait-il, vos lettres du 1er janvier de cette année, mais elles ne nous en ont pas moins été agréables, car nous y apprenons avec plaisir quelle est votre sollicitude pastorale pour arracher les rejetons venimeux de l'hérésie jansénienne, qui croissent chaque jour, et nous avons fort loué votre zèle à poursuivre de plus en plus et à rejeter l'édition perverse et tout à fait pernicieuse du Nouveau Testament, que nous avons depuis longtemps condamnée et interdite à tous les fideles. (Dans la Correspondance de Fénelon, 4 juillet 1711.)

1 Tome V, ch. xxx, p. 413.

2 Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. I, p. 56.

fit annoncer dans les principales villes du royaume. Il en envoya des exemplaires à Paris, où son correspondant l'afficha dans tous les lieux où se mettent ordinairement ces sortes d'affiches, et notamment à la porte de l'archevêché. On assure que cela se fit sans dessein, et que ceux que l'on charge ordinairement de placer ces affiches en mirent tout naturellement partout où ils avaient coutume d'en mettre. Languet ne parle pas différemment « L'usage, dit-il, est que les affiches qui annoncent des livres nouveaux s'affichent par tous les lieux les plus fréquentés, et spécialement aux murs de la cathédrale, dans la première cour de l'archevêché de Paris'. "

»

Les évêques de la Rochelle et de Luçon achèvent de convaincre tout esprit sincère, en affirmant qu'ils sont entièrement étrangers à la diffusion de leur mandement.

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Un libraire de Paris, disent-ils, après avoir reçu des exemplaires de notre livre de son correspondant, avait fait faire ces affiches de son chef, pour s'en faciliter le débit, selon l'usage ordinaire du royaume, où les livres imprimés avec privilège du Roi sont affichés et exposés en vente partout".

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Un demi-siècle plus tard environ, les Jansénistes, que nous allons voir bondir d'indignation pour ce fait, attestèrent eux-mêmes cette coutume et n'eurent garde d'oublier un usage qu'ils trouvaient condamnable alors seulement qu'il combattait leurs projets. Le 28 avril 1752,

1 LANGUET, op. cit., p. 432.- FÉNELON (Examen de la réponse au Roi, no 11) et LAFITAU (Histoire de la Constitution Unigenitus, liv. I, p. 102) ont pleinement accepté cette version.

* Mémoire historique adresse au Pape, no 9. Cf. lettre de l'évêque d'Agen, 29 novembre 1711. Bibl. nat., ms. 23217, p. 92 v°; les évêques s'y proclament innocents.

le Parlement avait rendu un arrêt contre l'archevêque de Paris, le courageux Christophe de Beaumont; la secte « le répandit à pleines mains dans le public. On l'afficha à tous les coins de rue, on en placarda jusqu'à douze dans la cour de l'archevêché1. »

Nous allons voir quelle sotte et mesquine vengeance imagina le Cardinal, pour punir les deux prélats d'un acte qu'ils répudiaient hautement.

Nous

1 Christophe de Beaumont, par le P. REGNAULT, t. I. p. 218. trouvons également dans l'Histoire de Bossuet un fait analogue, prouvant évidemment l'existence de cet usage. Lors de l'apparition de l'Exposition de la doctrine de l'Eglise catholique, que Harlay menaçait de censurer, l'éditeur de cet ouvrage fit placarder les annonces sur les murs de l'archevêché. Bossuet en fit ses excuses à son métropolitain.

CHAPITRE VI

NOAILLES SE DÉCLARE ET AGIT CONTRE LES DEUX PRÉLATS, CEUX-CI SE PLAIGNENT AU ROI.

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Expulsion des neveux. Mécontentement du Roi. Les évêques se plaignent. Leur lettre devient publique. Le Tellier est accusé. Son vrai rôle. Le Roi promet à Noailles satisfaction. Ordonnance de Noailles. - Saint-Simon l'excuse. · Où sont les torts?

MM. de Champflour et de Lescure avaient pour lors leurs neveux au séminaire de Saint-Sulpice, où tous, « aussi bien le supérieur que les directeurs, étaient satisfaits de leur conduite ». Noailles, dont le cœur débordait d'amertume et qui ne savait comment se calmer 2, cherchait, inquiet et troublé, d'où le coup était parti : nulle part il ne trouvait de coupable; il fallait pourtant frapper. Les deux jeunes abbés furent soupçonnés d'avoir fait afficher à Paris le mandement de leurs oncles. C'en fut assez. Sans plus d'examen, il enjoignit de les jeter à l'instant à la porte de cet établissement.

En vain Leschassier, supérieur de cette maison, que sa position mettait à portée d'être bien instruit, « l'assura qu'après s'être exactement informé de la vérité, il avait reconnu qu'ils n'avaient aucune part à ces affiches 3 ».

1 Mémoire historique présenté au Pape.

* Journal de D'ORSANNE, année 1711, mai. "Mémoire historique, ut suprà.

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