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dans les courts et rares moments que laissent ces occupations si absorbantes. J'ose espérer néanmoins qu'elles ne seront pas entièrement inutiles pour la connaissance plus vraie de l'une des victimes les plus détestées du jansénisme.

ET

LE PÈRE LE TELLIER

CONFESSEUR DE LOUIS XIV

CHAPITRE PREMIER

LE NOUVEAU CONFESSEUR DU ROI.

Choix du nouveau confesseur. Ses antécédents. Ses ouvrages. On n'a pu se tromper sur lui.

Le P. de La Chaize venait de s'éteindre pieusement, le 20 janvier 1709. Sa mort laissait inoccupé le poste important de confesseur du Roi. Depuis plus d'un siècle. déjà, la Compagnie de Jésus était honorée de cette charge difficile, délicate entre toutes. Louis XIV, dont l'estime et l'affection pour cet Ordre s'étaient toujours si hautement manifestées, se décida sans peine à continuer aux enfants de saint Ignace ce témoignage de confiance.

D'ailleurs, Mme de Maintenon, qui avait elle-même désiré que l'un de ces religieux, le P. Bourdaloue, se chargeât de la direction de sa conscience, encourageait

' A son grand regret, elle fut obligée de renoncer à ce projet, le

le monarque dans ce choix, et elle contribua puissamment à le « maintenir dans le goût de ne prendre de confesseur que parmi les Jésuites, tant pour lui que pour les princes, ses enfants".

Saint-Simon a découvert d'autres motifs de cette détermination. D'après lui, l'estime et l'affection du Roi pour la Compagnie de Jésus, l'intervention de Mme de Maintenon n'y contribuèrent en rien. Le prince obéissait à de bien plus impérieuses raisons.

« Je me sens vieillir, lui dit le P. de La Chaize, quelques années avant sa mort; il vous faudra bientôt choisir un nouveau confesseur. Au nom de mon attachement à votre personne, au nom du désir que j'ai de votre conservation, je vous conjure de le prendre dans notre Société. » Puis, se hâtant de donner les raisons de cette prière, il ajoutait que « c'était une Compagnie très étendue, composée de bien de sortes de gens et d'esprits dont on ne pouvait répondre, et qu'il ne fallait point mettre au désespoir et se mettre ainsi dans un hasard dont luimême ne lui pouvait répondre, et qu'un mauvais coup était bientôt fait et n'était point sans exemple ». Cette considération unique, continue Saint-Simon, fit rappeler les Jésuites par Henri IV et les fit combler de biens. « Louis XIV, concluent les Mémoires, n'était pas supérieur à Henri IV; il n'eut garde d'oublier le document du P. de La Chaize et de se hasarder à la vengeance de sa Compagnie en choisissant hors d'elle un confesseur. Il voulait vivre, et vivre en sûreté."

célèbre prédicateur lui répondant qu'il ne pourrait la voir qu'une fois tous les six mois. Cf. BAUSSET, Histoire de Fénelon, liv. II, n° 2, I LANGUET DE GERGY, Mémoires sur Mme de Maintenon, édit. Lavallée. Mémoires de Saint-Simon, t. IV, ch. xxv, p. 287 et suiv., edit. in-12, Chéruel, 1878; c'est la seule dont nous nous soyons servi pour

Cette page accusatrice parait pour le moins bien extraordinaire. Elle nous apprend, en effet, que si le prince confie sa conscience à l'un des Jésuites, il le fait dominé par le plus vil sentiment, par ce sentiment qu'on s'accoutume difficilement à prêter au grand Roi; c'est sous l'étreinte de la peur qu'il se décide. Louis XIV a peur, comme Henri IV lui-même avait eu peur.

Ainsi parle Saint-Simon.

Qu'on lise, pour se convaincre du fondement d'une telle affirmation, la lettre qu'adressait le monarque, le 25 janvier 1662, au comte d'Estrades, son ambassadeur en Angleterre. Ce que j'ai remarqué dans toute la teneur de votre dépêche, disait Louis XIV, c'est que le Roi, mon frère, ni ceux dont il prend conseil, ne me connaissent pas encore bien, quand ils prennent avec moi des voies de hauteur et d'une certaine fermeté qui sent la menace. Je ne connais puissance sous le ciel qui soit capable de me faire avancer d'un pas par un chemin de cette sorte; il me peut bien arriver du mal, mais non pas une impression de crainte'. "

Et c'est ce prince si fier qu'on nous montre tremblant devant de pauvres religieux! Faudra-t-il donc admettre.

les citations, celle que M. de Boislisle publie en ce moment ne comprenant pas les dernières années de Louis XIV.

Veut-on savoir aussi comme Saint-Simon connait bien les sentiments de Henri IV à l'égard de la Compagnie de Jésus, écoutons ce prince parler aux supérieurs des Jésuites réunis autour de sa personne, en 1607, à Villers-Cotterets : « Je vous ai aimés et chéris, dit-il, depuis que je vous ai connus, sachant bien que ceux qui vont à vous, soit pour leur instruction, soit pour leur conscience, reçoivent de grands profits... je vous ai protégés, je le ferai encore. Puis pour montrer quel cas il faisait des accusations dont on chargeait déjà ces religieux, il ajoutait: Si pour les calomnies on coupait toutes les langues médisantes, il y aurait bien des muets. Rien de plus vrai assurément, et Saint-Simon aurait été de ce nombre.

que les années lui aient enlevé tout courage, que la vieillesse ne lui ait laissé que pusillanimité? N'allez pas croire toutefois que Saint-Simon affirme sans preuves: il vous nommera ses témoins. Cette anecdote terrible, effrayante, il la tient du premier chirurgien du Roi, de Maréchal, qui avait toute la confiance du monarque. Et Maréchal l'a reçue de la bouche même de Louis XIV. Oui, c'est le prince qui, le prenant pour confident de ses dangers, lui a tout révélé. Le chirurgien méritait sans doute plus de considération que Mme de Maintenon, qui probablement n'a pas connu ces détails!

Au reste, Maréchal a été si discret que Saint-Simon est le seul, croyons-nous, de tous les auteurs contemporains, qui ait eu connaissance de ce lugubre entretien '.

Décidément Molière s'est montré de la plus criante injustice envers les médecins et les apothicaires. S'ils ne guérissaient pas toujours leurs malades, ils savaient du moins rendre d'autres services à la société : ils donnaient à ceux qui les consultaient d'utiles renseignements pour l'histoire de leur siècle.

C'est, en effet, ce même Maréchal qui apprend à Saint-Simon que, sur son lit de mort, le Roi n'a point

1 Duclos s'est fait, il est vrai, l'écho de ce bruit, mais on sait qu'il puisait à pleines mains dans les pages encore inédites de Saint-Simon.

Le docteur DE LIMIERS, dans son Histoire du siècle de Louis XIV, explique différemment la préférence donnée par le prince aux enfants de saint Ignace. Il fallait, dit-il, qu'il y eut toujours à la cour un Jésuite en otage pour assurance que la Société n'entreprendrait rien contre le Roi Très Chrétien, et ce Jésuite depuis Henri IV fut toujours confesseur de ces Rois. Telle est, continue l'écrivain, la fine politique de ces Pères, qu'ils savent tirer les plus grands avantages de leurs plus grandes disgrâces. » Histoire du règne de Louis XIV, liv. XVI, p. 275.) Pauvres rois de France, leurs otages étaient devenus leurs maitres! Et toutes ces choses, il se trouve des naïfs pour les croire!

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