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ple; la postérité t'appelle. Puisse la couronne qu'elle te destine s'embellir à tes yeux par cette fleur qu'y ajoute l'amitié!

JOSEPH ROUGET DE LISLE.

ESSAIS

EN VERS ET EN PROSE.

ÉPITRE

A CAUMARTIN DE S.-ANGE,

INTENDANT DE FRANCHE-COMTÉ,

sur les secours qu'il fit distribuer aux pauvres de Besançon pendant l'hiver de 1789.

ÉOLE,

OLE, en mugissant, sur nos tristes contrées Verse tous les frimas des mers hyperborées. Chaque jour, de l'hiver redoublant les rigueurs, Apporte aux malheureux de plus vives douleurs. La disette, le froid, étendent leurs ravages; De la faim, de la mort, les lugubres images Me poursuivent par-tout au sein de ces remparts, Et, non moins que mon cœur, attristent mes regards

Heureux qui dans ces temps de deuil et de miseres

Ne gémit point en vain sur les maux de ses freres !
Heureux, trois fois heureux, celui dont les bienfaits
Peuvent de ces fléaux adoucir les effets!

Tu le sais, CAUMARTIN, quelle volupté pure
On goûte à suivre ainsi le cri de la nature!
Tu connais ce bonheur si doux et si touchant
D'arracher son semblable au besoin dévorant,
De voir en pleurs de joie et de reconnoissance
Se transformer les pleurs que versait l'indigence.

Du suprême pouvoir ministre généreux,

Dans des jours plus sereins, sous tes lambris pompeux,
La foule des plaisirs accourait sur tes traces.
Terpsichore à ta voix y conduisait les Graces;
Momus les y suivait, caressé par l'Amour,
Entouré par les Ris; et ton brillant séjour
De ces folâtres dieux semblait être le temple.

Quel contraste frappant aujourd'hui j'y contemple!
Sans abris, sans espoir, consumé par la faim,
De femmes, de vieillards, un déplorable essaim
Errait en gémissant autour de nos asyles.
L'air répétait au loin leurs plaintes inutiles :
Hélas! ils n'obtenaient du reste des mortels
Que d'impuissans secours ou des refus cruels ;
Ils mouraient... Dans ton cœur la pitié s'est émue:
Ton cœur restait encore à leur foule éperdue.
Tu parles: aussitôt par tes soins rassemblés,

Au sein de tes foyers, accueillis, consolés,

De leurs membres transis ils recouvrent l'usage.
L'espoir d'un sort plus doux releve leur courage;
Un salubre aliment, par degrés, sans efforts,
De leurs corps épuisés ranime les ressorts.
Échappés au tombeau par tes saintes largesses,
Contre un noir avenir riches de tes promesses,
Ils regagnent leurs toits, n'éprouvant désormais
Que ce doux sentiment que l'on doit aux bienfaits.

De Vauban, de Suffren, la main de la Victoire
A gravé les exploits au temple de mémoire:
Virgile et Fénélon, le Poussin, Raphaël,
Ceignent sur le Parnasse un laurier immortel:
Des Brutus, des Caton la grande république,
ROME récompensait par le chêne civique
Celui de ses enfans dont les heureux secours
D'un autre citoyen avaient sauvé les jours.
Par quels honneurs pompeux cette cité fameuse
Eût-elle consacré ta pitié généreuse?

Chez un peuple sensible où toutes les vertus
Reçoivent à l'envi les plus nobles tributs,
Pourquoi l'humanité, l'auguste bienfaisance,
N'ont-elles que l'oubli pour toute récompense?...

Que dis-je! quel blasphême osé-je prononcer!
Loin de toi, loin de toi ce douloureux penser!
Ah! le prix le plus beau pour un cœur magnanime

Est dans le bien qu'il fait, est dans sa propre estime. Acheve, CAUMARTIN! d'utiles travaux,

par

Rends à nos citoyens leurs droits et leur repos :
Oubliant son délire, oubliant ton injure',
A ce peuple souffrant offre sa nourriture;
Du timide orphelin, du pauvre laboureur,
Sois l'appui, sois l'égide et le consolateur.
Parmi ces nobles soins si l'implacable envie
Par ses complots encor voulait troubler ta vie,
Tu la connais trop bien pour en être surpris.
Oppose à ses fureurs un stoïque mépris;

A ses cris odieux réponds par ton silence,

Par de plus grands bienfaits, sur-tout par la clémence ;
Et, remportant sur elle un triomphe de plus,
Force la haine même à louer tes vertus.

(1) Il s'agit d'une émeute excitée contre lui par les parle

mentaires.

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