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Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage:
Dieu nous préserve du voyage!

Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,

Pestant, en sa fureur extrême,

Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.

Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde :

"Hercule, lui dit-il, aide-moi; si ton dos

A porté la machine ronde,

Ton bras peut me tirer d'ici."

Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi :
"Hercule veut qu'on se remue,

Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement qui te retient;
Ote d'autour de chaque roue

Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu'à l'essieu les enduit;

Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit ;
Comble-moi cette ornière. As-tu fait?—Oui, dit l'homme.

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Or bien je vas t'aider, dit la voix; prends ton fouet. - Je l'ai pris. Qu'est ceci? mon char marche à souhait : Hercule en soit loué!" Lors la voix: "Tu vois comme 25 Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

Aide-toi, le Ciel t'aidera."

62. Le Meunier, son Fils et l'Ane

A M. D. M.

L'invention des arts étant un droit d'aînesse,
Nous devons l'apologue à l'ancienne Grèce ;

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Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes;
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.

Je t'en veux dire un trait assez bien inventé;
Autrefois à Racan Malherbe l'a conté.

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour, tout seuls et sans témoins
(Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins),
Racan commence ainsi : "Dites-moi, je vous prie,
Vous qui devez savoir les choses de la vie,
Qui par tous ses degrés avez déjà passé,

Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé,

A quoi me résoudrai-je? il est temps que j'y pense.
Vous connaissez mon bien, mon talent, ma naissance :
Dois-je dans la province établir mon séjour,
Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la cour?
Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes :
La guerre a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes.
Si je suivais mon goût, je saurais où buter;

Mais j'ai les miens, la cour, le peuple, à contenter."
Malherbe là-dessus: "Contenter tout le monde !
Écoutez ce récit avant que je réponde.

"J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils, L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits,

Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire,
Allaient vendre leur âne, un certain jour de foire.
Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,
On lui lia les pieds, on vous le suspendit;

Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.
"Pauvres gens, idiots, couple ignorant et rustre !"
Le premier qui les vit de rire s'éclata:

"Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?

"Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense."
Le meunier, à ces mots, connaît son ignorance;

Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.
L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller,

Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure;
Il fait monter son fils, il suit, et d'aventure
Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put :
"Oh là ! oh! descendez, que l'on ne vous le dise,
"Jeune homme qui menez laquais à barbe grise!
"C'était à vous de suivre, au vieillard de monter.

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Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter." L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte,

Quand trois filles passant, l'une dit: "C'est grand'honte

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'Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,

"Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis,

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"Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage.

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- Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge;

"Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez."

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Après maints quolibets coup sur coup renvoyés,
L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe.
Au bout de trente pas, une troisième troupe

Trouve encore à gloser. L'un dit: "Ces gens sont fous;
"Le baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups.
"Hé quoi? charger ainsi cette pauvre bourrique !
"N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique?
"Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau.
66 - Pardieu! dit le meunier, est bien fou du cerveau
"Qui prétend contenter tout le monde et son père :

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Essayons toutefois si par quelque manière

"Nous en viendrons à bout." Ils descendent tous deux. L'âne se prélassant marche seul devant eux.

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Un quidam les rencontre, et dit: "Est-ce la mode
Que baudet aille à l'aise et meunier s'incommode?
"Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser?
"Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.

"Ils usent leurs souliers et conservent leur âne;

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Nicolas, au rebours; car, quand il va voir Jeanne,
"Il monte sur sa bête, et la chanson le dit.
"Beau trio de baudets!" Le meunier repartit :
"Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue;
"Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
"Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien,
"J'en veux faire à ma tête.” Il le fit, et fit bien.

Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour, ou le Prince;
Allez, venez, courez, demeurez en province;
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement;
Les gens en parleront, n'en doutez nullement."

63. Les Animaux malades de la peste

Un mal qui répand la terreur,

Mal que le Ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie ;
Nul mets n'excitait leur envie ;
Ni loups ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie;
Les tourterelles se fuyaient;
Plus d'amour, partant plus de joie.

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Le lion tint conseil, et dit: "Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune.
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux :
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait? nulle offense;
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi:
Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur ;

Et quant au berger, l'on peut dire

Qu'il était digne de tous maux,

Étant de ces gens-là qui sur les animaux

Se font un chimérique empire."

Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,

Les moins pardonnables offenses:

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,

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