Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse; Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer. Sans nulle crainte à vos affaires : Que celle De cette paix ; Et ce m'est une double joie De la tenir de toi. Je vois deux lévriers, Que pour ce sujet on envoie ; Ils vont vite, et seront dans un moment à nous. Je descends; nous pourrons nous entre-baiser tous. — Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire; Nous nous réjouirons du succès de l'affaire Une autre fois." Le galant aussitôt Tire ses grègues, gagne au haut, Mal content de son stratagème ; Et notre vieux coq en soi-même Car c'est double plaisir de tromper le trompeur. 21. Le Paon se plaignant à Junon Le paon se plaignait à Junon. "Déesse, disait-il, ce n'est pas sans raison Que je me plains, que je murmure; 5 IO 15 20 25 30 Le chant dont vous m'avez fait don Au lieu qu'un rossignol, chétive créature, Est lui seul l'honneur du printemps." "Oiseau jaloux, et qui devrais te taire, Qui te panades, qui déploies Une si riche queue, et qui semble à nos yeux Est-il quelque oiseau sous les cieux Tout animal n'a pas toutes propriétés ; La corneille avertit des malheurs à venir; Tous sont contents de leur ramage : 22. Le Lion et l'Ane chassant Le roi des animaux se mit un jour en tête De giboyer; il célébrait sa fête. Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux, Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux. Pour réussir dans cette affaire, Il se servit du ministère De l'âne à la voix de Stentor. L'âne à messer lion fit office de cor. Le lion le posta, le couvrit de ramée, L'air en retentissait d'un bruit épouvantable: Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable "N'ai-je pas bien servi dans cette occasion? Dit l'âne, en se donnant tout l'honneur de la chasse. Si je ne connaissais ta personne et ta race, L'âne, s'il eût osé, se fût mis en colère, 23. Le Loup devenu Berger Un loup, qui commençait d'avoir petite part Crut qu'il fallait s'aider de la peau du renard, Et faire un nouveau personnage. Il s'habille en berger, endosse un hoqueton, Sans oublier la cornemuse. Pour pousser jusqu'au bout la ruse, Il aurait volontiers écrit sur son chapeau : "C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau." Sa personne étant ainsi faite, 5 10 15 20 25 309 Et ses pieds de devant posés sur sa houlette, Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette ; Et pour pouvoir mener vers son fort les brebis, Chose qu'il croyait nécessaire. Les brebis, le chien, le garçon. Le pauvre loup, dans cet esclandre, Ne put ni fuir ni se défendre. Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. C'est le plus certain de beaucoup. 24. Les Grenouilles qui demandent un Roi Les grenouilles se lassant De l'état démocratique, Par leurs clameurs firent tant Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique. Gent fort sotte et fort peureuse, S'alla cacher sous les eaux, Dans les joncs, dans les roseaux, Sans oser de longtemps regarder au visage Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau. De qui la gravité fit peur à la première Qui, de le voir s'aventurant, Osa bien quitter sa tanière. Elle approcha, mais en tremblant; Une autre la suivit, une autre en fit autant, Et leur troupe à la fin se rendit familière Jusqu'à sauter sur l'épaule du roi. Le bon sire le souffre, et se tient toujours coi. "Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue. Qui les croque, qui les tue, Qui les gobe à son plaisir; Et grenouilles de se plaindre, Et Jupin de leur dire: "Eh quoi? votre désir Vous avez dû premièrement Garder votre gouvernement; Mais ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire De peur d'en rencontrer un pire." |